USA. Cessons d’agiter l’épouvantail Al-Qaida

Publié le par Un monde formidable

Cessons d’agiter l’épouvantail Al-Qaida par Fareed Zakaria (The Washington Post. 09/2010)

Sommes-nous aujourd’hui plus en sécurité qu’on ne l’était le 11 septembre 2001 ? Bien sûr. Dans les années 1990, Al-Qaida disposait de camps d’entraînement qui ont peut-être vu passer près de 20 000 combattants. Le réseau terroriste a pu ensuite agir avec succès parce que la plupart des gouvernements le traitaient comme une nuisance et non comme une menace essentielle pour la sécurité nationale. Après les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, la communauté internationale a brutalement changé d’attitude et les nombreuses mesures de sécurité imposées depuis ont fait la preuve de leur efficacité.  Les forces américaines sont aussi passées à l’offensive en Afghanistan, elles ont renversé le régime qui soutenait Al-Qaida, détruit ses camps et pourchassé ses recrues dans les montagnes. Washington, en association avec d’autres gouvernements, a suivi et systématiquement perturbé les communications, les déplacements et les canaux financiers qui alimentent les opérations terroristes. On peut penser ce que l’on veut de ses autres décisions, mais la politique mise en œuvre par Bush en 2001 et 2002 pour garantir la sécurité du territoire américain tout en s’en prenant à Al-Qaida s’est avérée habile et a été en grande partie un succès.

Le réseau terroriste a été encore plus fragilisé par la décision du président Obama de durcir la campagne au Pakistan. Par conséquent, la “centrale” d’Al-Qaida, Oussama Ben Laden et sa bande, s’est disloquée et compte aujourd’hui à peine 400 combattants. Elle s’est montrée incapable d’exécuter des attentats à grande échelle. Ceux perpétrés après le 11 septembre 2001 ont été commis par des groupes locaux, qui se considèrent comme affiliés au réseau, contre des cibles beaucoup plus modestes : une boîte de nuit à Bali, des cafés à Casablanca et à Istanbul, des hôtels à Amman, des trains et des métros à Madrid et à Londres. Le problème de ce genre d’attentats, c’est qu’ils tuent des civils ordinaires, non des soldats ou des diplomates américains, et qu’ils dressent la population locale contre les extrémistes islamistes.

Al-Qaida était une menace dans la mesure où l’on pouvait craindre que le groupe inspire un pourcentage du milliard et demi de musulmans de la planète et déclenche des vagues irrépressibles de djihadistes. Or l’attrait de l’islam militant est en chute libre dans l’ensemble des pays musulmans. Ces dernières années, les imams et les dirigeants musulmans dans le monde entier ont régulièrement dénoncé les attentats suicides, le terrorisme et Al-Qaida. Certes, nous ne sommes pas en sécurité à cent pour cent et nous ne le serons jamais. Les sociétés ouvertes et la technologie moderne se conjuguent pour accoucher d’un danger permanent. Nous pourrions encore accroître notre sécurité, mais ce serait au prix de bien des restrictions imposées à notre liberté de mouvement, de rassemblement, d’association et de communication.

La question qu’il convient de se poser est : sommes-nous allés trop loin ? La formidable extension des pouvoirs de l’Etat et de la bureaucratie, qui s’est ajoutée au complexe militaro-industriel déjà impressionnant né de la guerre froide, est-elle justifiée ? Une organisation qui ne compte pas plus de 400 membres et dont l’impact planétaire se dilue nécessite-t-elle le système de réaction institutionnelle permanent que nous avons créé ? Il y a quelques années déjà que je pose ces questions et j’ai décrit notre réaction massive et exagérée dans l’hebdomadaire Newsweek dès 2008, sans grand effet. Pendant les années Bush, la gauche répugnait à reconnaître que le gouvernement pouvait avoir accompli quoi que ce soit de positif dans la lutte contre le terrorisme. Le problème est nettement plus grave à droite, où, pour beaucoup, c’est aujourd’hui un acte de foi que de penser que nous vivons sous la terrible menace de vastes hordes de terroristes islamistes, même sur notre territoire.

Cette campagne qui vise à diffuser un sentiment de danger imminent a favorisé un climat de peur et de colère. Elle a engendré le soupçon à l’égard des musulmans américains – plus assimilés que partout ailleurs dans le monde. Ironie du sort, c’est précisément ce que recherche le terrorisme. Ben Laden savait qu’il ne parviendrait jamais à affaiblir directement les Etats-Unis, même en faisant sauter une dizaine d’immeubles ou de bateaux. Mais il pourrait provoquer une réaction exagérée qui verrait l’Amérique s’affaiblir elle-même.

Publié dans Amérique du Nord

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