Manifeste pour la défense du journalisme comme auxiliaire de la démocratie
Manifeste pour la défense du journalisme comme auxiliaire de la démocratie (Source: La Croix. 06/06/11)
A partir des éléments recueillis dans son étude, Technologia a développé 33 propositions dans lesquelles figurent les pistes d’actions tirées de l’examen des conditions d’exercice des journalistes. Parmi ces 33 propositions, 13 sont jugées essentielles tant pour la profession des journalistes que pour la défense de la démocratie.
I- Doter les rédactions d’une véritable « autonomie juridique »
Cette autonomie juridique permettrait de garantir l’indépendance de la rédaction au regard notamment des pouvoirs publics et des propriétaires privés des médias. Dans ce but, l’équipe rédactionnelle désigne un représentant jouant le rôle de porte-parole et bénéficiant de la même protection que les représentants du personnel. L’équipe rédactionnelle est alors consultée avant tout changement de politique éditoriale ou rédactionnelle. Elle dispose notamment du droit de s’opposer à la désignation du directeur de la rédaction chargé de mettre en oeuvre cette nouvelle politique. En cas de non prise en compte de ce véto par les actionnaires, les journalistes peuvent faire jouer la clause de conscience, prévue dans le Code du travail.
II- Renforcer la reconnaissance de la déontologie
Annexer à la Convention Collective Nationale de Travail des Journalistes du 1er novembre 1976 (refondue le 27 octobre 1987), la Charte déontologique des journalistes dite Charte de Munich afin de donner à cette Charte un caractère juridique.
III- Instaurer un Droit d’alerte éditoriale et un droit de retrait
Une procédure similaire au droit d’alerte du comité d’entreprise doit voir le jour pour offrir la possibilité de mettre en garde au sujet de toute évolution du projet éditorial. Le journaliste pourrait également recourir à un droit de retrait lorsqu’il juge que l’indépendance de l’exercice de sa profession est compromise.
IV- Mettre l’imagination au pouvoir : carte blanche à la prise de risques…éditoriaux
Lutter contre l’usure psychologique, assurer une meilleure qualité du travail, revaloriser le travail de terrain et la prise de risques éditoriaux doivent être au coeur des entreprises de rénovation de la presse. Il ne s’agit pas de créer des challenges internes qui renforcent les inégalités et la concurrence, mais de développer un dispositif de « carte blanche » ponctuelle pour TOUS les journalistes, afin que chacun puisse (sur un pourcentage de son temps de travail à discuter avec les partenaires sociaux) couvrir et approfondir un sujet qui lui tient à coeur.
V- Casser le formatage en brassant les milieux sociaux
En amont de la carrière, tout se passe à l’école… de journalisme. Il est utile de soutenir les opérations de démocratisation et d’imaginer des partenariats avec les écoles, dans l’intérêt même d’une profession qui gagnerait à brasser plus de milieux sociaux.
VI- Prendre le management au sérieux
Dans chaque entreprise de presse, lancement de la réflexion pour la mise en place (ou le renforcement si nécessaire) d’une structure RH suffisamment nombreuse pour mettre en oeuvre le soutien RH et plus particulièrement les adaptations nécessaires en termes de formation professionnelle continue tout au long de la carrière afin que chaque journaliste conserve des compétences professionnelles à jour lui permettant de conserver une employabilité maximale.
VII- Assurer une véritable régulation par le dialogue social
Favoriser et encourager le dialogue social et l’activité des Délégués du Personnel et des CHSCT en tant que mode de régulation sociale (formation des membres, respect des heures de délégation, inspection régulière, droit d’enquête, prévention des risques…). Etendre ce dialogue social riche à tous les salariés afin de traiter en amont les petits problèmes qui peuvent devenir des risques professionnels.
VIII- Assurer une plus grande transparence au niveau du financement de la profession
Afin de mieux contrôler l’utilisation des subventions reçues par les médias (« Combien d’argent perçu ? », « Comment a-t-il été utilisé ? »), instaurer une information consultation systématique obligatoire pour les représentants du personnel DP ou élus CE. Dans ce but, il faudrait supprimer tous les seuils actuels qui seraient restrictifs à cette consultation.
Conditionner l’octroi des subventions issues des impôts payés par les citoyens à « un label de qualité sociale » du média qui doit faire l’objet d’un accord entre les partenaires sociaux.
IX- Favoriser les transferts de connaissance, renforcer les collectifs, assurer le maintien du métier par le tutorat
Les jeunes journalistes doivent pouvoir bénéficier d’un « mentor officiel » afin d’apprendre les finesses du métier. Les journalistes les plus anciens pourraient trouver un grand plaisir à apporter leur soutien bienveillant à un ou deux journalistes.
X- Se former tout au long de sa vie de journaliste
Les journalistes ne manquent pas de formation initiale, mais souffrent d’un manque de formation continue. Il est nécessaire de l’encourager. Pour cela, demander aux partenaires sociaux de confirmer et renforcer les finalités de la Commission Nationale Paritaire de l’Emploi des Journalistes (CNPEJ) en formation initiale et lui donner de vrais moyens d’investigation et de proposition. Faire connaître aux employeurs et recruteurs le référentiel et les critères actuels de la CPNEJ -reconnaissance des cursus de formation au journalisme-. Etendre si possible les référentiels et critères à l’ensemble des cursus de formation au journalisme, cursus internes aux entreprises, cursus initiaux ou cursus « tout au long de la vie » (validation des acquis de l’expérience, par exemple).
Mais aussi, penser la formation des formateurs en journalisme, « en perpétuel éveil », comme doit l’être la profession, y compris pour les formateurs universitaires. La légitimité scientifique des enseignements du journalisme doit être renforcée.
Constituer également un observatoire des métiers dans les grandes structures, afin de connaître les tâches réelles –valorisation, évaluation de la charge, etc. - et les intégrer aux dispositifs de formation, d’évolution des métiers, et de mobilité professionnelle.
XI- Pour les pigistes : « papiers rédigés, papiers payés ! »
Afin d’assurer une revalorisation des salaires à la pige qui ont été peu augmentés au cours des cinq dernières années, il est nécessaire de régler les piges sur la base du travail réellement effectué ou commandé et non pas sur celui qui est retenu in fine pour publication.
XII- Mais que veut le public ?
Engager une réflexion avec l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) et le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie) afin d’intégrer à leurs enquêtes sur les pratiques culturelles, la « demande d’informations des citoyens ou la demande médiatique ».
XIII- Une arme au service du citoyen !
Faire prendre conscience au public de jouer son rôle, de par sa responsabilité et à travers son implication pour renforcer les valeurs d’indépendance et de démocratie, sans aucune manipulation, de ce qui faisait autrefois de ce métier sa force : son autonomie. A cette fin, de multiples initiatives doivent être engagées pour favoriser la compréhension du fonctionnement des médias celle de la fabrication de l’information par le grand public.
Mieux communiquer et développer la connaissance du métier en organisant, selon une périodicité qui reste à définir, « une Opération portes ouvertes » pour les grands médias afin de permettre aux journalistes d’accueillir sur leur lieu de travail (ou de faire visiter leur lieu de travail) les citoyens intéressés.