Du malheur d’être métis et être métisse en Angola !
Du malheur d’être métis par Fabrice Pliskin (Le Nouvel Observateur. 27/01/ 2011)
« Les grands centres de détention sont remplis aux trois quarts de Noirs et d’Arabes », affirme Bertrand Dicale dans « Maudits Métis ». Comme Eric Zemmour, sera-t-il cité en justice pour diffamation et provocation à la haine raciale par SOS-Racisme, la Licra et le Mrap ? Ou ces vigilantes associations feront-elles deux poids deux mesures, par égard à la situation de parole de Dicale ?
Fils d’un Guadeloupéen et d’une Auvergnate, érudit des cultures populaires, cet ancien journaliste du « Figaro » consacre un essai au malheur d’être métis, dans un monde où le métissage est à la mode. Malgré la popularité de Noah, le métis concentrerait en lui « la détestation portée aux Blancs ou aux Noirs ». Passons sur le premier chapitre, parfois fumeux, où Dicale compare le métis à un « paraplégique » et se lamente des arrêts du destin orthotypographique: métis s’écrit avec une minuscule, infaillible indice, selon l’essayiste, d’une persécution. Si l’on adopte ce fort raisonnement, les Noirs et les Arabes de France sont donc à l’abri de toute avanie puisqu’ils portent une majuscule. A ces propos de café du commerce triangulaire succèdent des réflexions plus stimulantes. Dicale analyse les « stéréotypes racistes gentils » (les bébés métis, comme on sait, sont les plus beaux) ou interpelle le Cran qui, au nom d’une « solidarité raciale inconditionnelle [...] démétisse les métis ».
Le livre devient passionnant quand il oppose la condition historique du métis en France métropolitaine, aux Antilles, assujetties à une typologie maniaque de la couleur de peau née de l’esclavagisme, et aux Etats-Unis. Dans ce pays, le métis est introuvable: suivant l’idéologie de la goutte de café, « toutes les gradations du noir au blanc sont considérées comme noires ». Obama est donc « un Noir de mère blanche ». « En France, écrit Dicale, plein d’ironie pour nos munificentes névroses, on refuse de le voir en métis, comme si cela contredisait une sorte de rêve américain particulier aux Français. » Ailleurs, hélas, l’auteur marque un certain penchant pour la victimisation, cette province la plus fleurie de notre poésie: « La prochaine fois, les fours crématoires, ce sera pour nous. »
Maudits Métis, par Bertrand Dicale, JC Lattès, 286 p., 18 euros.
Être métisse en Angola ! par Jo Ann (Agora Vox. 18/01/2006)
Je viens d’un pays qui fait deux fois la France : l’Angola. Du côté de chez moi, on exhibe une carte d’identité pour le moins surprenante. Parce qu’à côté des couleurs attirantes, du jaune au rouge, passant par le vert et avec, la moitié du temps, des adresses erronnées, nous avons la ligne qu’un illuminé à la direction nationale d’identification, département du ministère de la justice, a eu la brillante idée d’indiquer... la race. Et d’autres illuminés hiérarchiquement supérieurs ont eu la bonne idée de dire : "C’est une excellente idée". Ben voyons.
Qu’est-ce que cette idée de marquer la "race" d’un individu sur une pièce d’identité quand il y a la photo en couleurs qui montre les "signes distinctifs" de ce même individu ? Sans parler du fait qu’il y a des blancs qui ignorent qu’ils sont noirs (génétiquement parlant), des noirs qui se prennent pour des blancs, ou du moins passent complètement inaperçus... C’est dire si la chose a fait scandale, mais jusqu’à présent, rien n’a changé. Je dois renouveler la chose cette année, je verrai si quelqu’un a eu du bon sens, du côté de la direction d’identification. Le fait d’être catégorisé dans un pays où le "à peu près clair" n’est pas toujours bien vu pousse à se demander si c’est pour des recensements qui ont lieu tous les dix ans. Les métis composent 13% de la population.
En Angola, c’est les noirs au pouvoir, les métis à l’armée, les blancs dans les entreprises. Parmi nos ministres et vice-ministres, des métis ou des blancs, s’il y en a deux, c’est énorme. Feu le leader de l’opposition armée, du sud comme ma mère et moi, Savimbi de son nom, disait des métis : "Fils de serpent, ce sont des serpents". A l’abattoir. Des concubines de monsieur, une était métisse et par malheur (ça dépend du point de vue), elle est tombée enceinte. On lui a dit d’avorter. Elle a dit non. Elle ne s’est plus réveillée.
En Angola, pays bien-aimé (sans ironie), les noirs reprochent aux métis d’être métis. C’est malheureux, mais c’est comme ça. Que faire ? Principalement, non seulement on a la race marquée en toutes lettres, mais aussi, ce n’est pas marqué mestiça (race métisse) ni même mulata (race mulâtresse - ça sonne tout de suite moins bien) qui, dit en passant, est légèrement une insulte du côté de chez moi. Mais bon. On préfère mulata à mista (race mixte), qui, comble de l’ironie, en portugais veut aussi dire "croque-monsieur". Vous demandez une tosta mista, c’est une tartine avec du fromage et du jambon qu’on vous sert. Depuis quand, moi, métisse de cinq générations, et tous les autres, avons-nous des têtes fromage-jambon ? Comment faire la différence, de toutes façons, dans une fratrie comme la mienne, où il y a des métis comme moi, des blancs comme une de mes petites soeurs, et des noirs comme ma grande soeur ? On est tous enfants de mon père, où donc est passé le métissage de ma grande soeur dans la carte d’identité ? Il n’y en a pas, à part pour le nom de famille, et encore...
C’est triste, mais c’est comme ça. C’est mon pays...