Côte d’Ivoire. Comme des spectateurs impuissants

Publié le par Un monde formidable

Comme des spectateurs impuissants mais fallait-il s’attendre à autre chose ?  par Audrey Pulvar (France Inter. 06/12/10)

Impuissants face à un échec écrit d’avance, malgré la mobilisation de la communauté internationale en Cote d’Ivoire. Un homme s’avance, le buste ceint d’une écharpe orange, le pas alourdi par un collier en or, solennel, bien semblable à celui qui orne le cou de l’ancien colonisateur quand il est investi. Mimétisme et a-lié-na-tion ont encore de beaux jours devant eux. L’homme qui s’assoit pesamment dans son trône de velours rouge, entouré de dignitaires endimanchés parmi lesquels on pourrait sans difficulté trouver deux ou trois personnes soupçonnées de forte implication dans les massacres et disparition d’opposants de ces dix dernières années, mais dont les grosses berlines ronronnent encore à l’entrée du Palais Présidentiel, cet homme donc, Laurent Gbagbo, s’autoproclame président démocratiquement élu, avec l’aide d’un complaisant Conseil Constitutionnel et en dépit du résultat constaté par une Commission Electorale Indépendante donnant la victoire à son allié d’hier, Alassane Ouattara, pire ennemi aujourd’hui.  Lequel Ouattara, considéré par la communauté internationale comme le vainqueur de l’élection, a été élu gràce au report des voix du premier tour de son pire ennemi d’hier, aujourd’hui allié, Henri Konan Bédié. Ouattara qui vit terré dans un hôtel, sous protection de l’ONU et c’est de là qu’il a quant à lui annoncé qu’il prenait les rênes d’un pays déjà à soixante pour cent sous contrôle d’une armée rebelle.

Chacun refusant de reconnaître la victoire de l’autre, chacun composant son Gouvernement et nommant son Premier ministre. Sauf que l’un a l’armée avec lui et la possibilité d’instaurer un couvre-feu général, de fermer les frontières, de couper les liaisons satellites permettant de recevoir les médias étrangers et de verrouiller la presse.

La mobilisation sans précédent des Ivoiriens pour ce scrutin ? Que nennie ! Les menaces de représailles du FMI sur l’effacement de la dette ? Qui en souffrira ? Pas le Président autoproclamé ni ses affidés.  Les protestations de l’Union Européenne, de l’ONU, de la France ? Ingérence ! Il se trouve des élus français pour apporter du crédit à cette accusation.  Les heures qui viennent diront si la médiation tentée par l’ancien président sud-africain, Thabo M’Beki aura servi à quelque chose, mais on se permet de douter qu’il obtienne mieux qu’un statu quo. Une partition du pays, entre le nord sous domination et trafics des rebelles et le sud dont le cacao est contrôlé par le pouvoir de Laurent Gbagbo et de sa femme, Simone. Pour le moment et malgré les inquiétudes des chancelleries internationales, les incidents recensées depuis trois jours sont rares, et ont fait moins de dix morts.

Mais des armes circulent en Côte d’Ivoire, et les partisans des camps Ouattara et Gbagbo sont chauffés à blanc. Pour le moment et malgré les inquiétudes du Quai d’Orsay, les 12 à 15 000 Français expatriés présents sur place ne semblent pas trop craindre la chasse aux blancs, organisée en 2004 et qui avait vu revenir en France, en catastrophe plusieurs d’entre-eux.  Dix ans de présidence Gbagbo : des massacres, une guerre civile, une partition, une économie encore plus dépendante des marchés, fluctuants du cacao, une élection présidentielle au moins cinq fois reportée et foin de la concorde qui régna dans le pays pendant au moins trente ans, entre communautés venus de différentes ethnies et de nations voisines, vers ce qui fut considéré pendant longtemps comme l’un des phares du Continent Africain nouveau.

« Il y a des villes, nous dit l’écrivaine Véronique Tadjo, dans Le Monde Magazine cette semaine, des villes comme Abidjan qui vous regardent en baissant les yeux, comme ça, parce qu’elles ont manqué une occasion de bien faire et qu’elles savent qu’il aurait mieux valu y réfléchir à deux fois. Des villes nostalgiques parce qu’elles se sentent délaissées, mais qui pourtant veulent encore y croire, plus fort que jamais, à tous ces espoirs qui semblent aller à la casse… ».

Cette chronique était dédiée à tous les journalistes et opposants emprisonnés et tués depuis dix ans en Cote d’Ivoire, avec une pensée toute particulière pour Jean Hélène, notre confrère d’RFI assassiné par un policier à Abidjan le 21 octobre 2003 et Guy-André Kieffer, journaliste indépendant disparu depuis avril 2004 en Côte d’Ivoire, alors qu’il enquêtait sur la filière cacao et que ses investigations mettaient en cause jusqu’à Simone Gbagbo.

Publié dans Afrique de l'Ouest

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