International transparency ou comment faire taire Wikileaks

Publié le par Un monde formidable

International transparency par Audrey Pulvar (France Inter. 06/12/10)

Ennemi public numéro 1, une sale affaire de viol collée aux basques, Julian Assange, l’homme le plus recherché du monde, nous disaient les journaux encore avant-hier (Ben Laden aurait-il été détrôné ?), s’est présenté de lui-même, avec ses avocats, après arrangement avec la police britannique, au tribunal de Westminster, à l’heure convenue. Il avait pris toutes les garanties et remplissait, d’après ses avocats, toutes les conditions pour être laissé en liberté sous caution. Mais le juge chargé de décidé de son sort, estime qu’il pourrait fuir la Grande-Bretagne, et a donc décidé de le maintenir en détention. Julian Assange, simple justiciable, répondant d’accusations de coercition, violences sexuelles et viol, réclamé par Stockholm et objet d’un mandat d’arrêt international ?   C’est ce que s’évertue à démontrer la procureure suédoise qui demande son extradition. Non, affirme-t-elle, les crimes reprochés à Julian Assange n’ont rien à voir avec la publication récente par son site Internet de centaines de milliers de documents compromettants pour les diplomaties de plusieurs grandes puissances mondiales et singulièrement, l’américaine.

Ah bon ? Mais alors pourquoi le ministre américain de la Défense a-t-il parlé de « bonne nouvelle » à propos de cette arrestation ? Qu’importe, on ne demande qu’à la croire, madame la procureure suédoise, et qui, ici, s’offusquerait de la diligence mise à faire aboutir les plaintes de deux femmes, pour viol ?

Concours de circonstance, donc, et non troublante coïncidence. Julian Assange n’est pas le Robin des Bois, prince de la vérité, redresseurs de torts dont l’Interplanet’ a si souvent tendance à s’enticher. Il n’est pas que cet homme qui permit la révélation en 2007 des turpitudes du pouvoir Kenyan, ni celui grâce auquel on en sait un peu plus sur les exactions commises par l’armée américaine en Irak, exemple le tir au pigeon depuis des hélicoptères, dans la position du gibier, des civils irakiens, dans la position du chasseur, de soldats américains, ni encore à l’origine de révélations sur les errements de l’ISAF en Afghanistan ou de la complaisance des autorités pakistanaises à l’égard des talibans terroristes. Et on passe sur les flèches décochées au pouvoir algérien, saoudien ou iranien.

Non, Julian Assange dans les journaux est, depuis deux semaines, un présumé violeur, un mégalo, colérique, impérieux, dictatorial ! Un irresponsable, un délinquant pervers nous dit Le Figaro.  Alors ? Le faire taire. Attaques massives du site Internet Wikileaks pour le saturer voire le détruire, suspension effective par ses hébergeurs dans plusieurs pays, réclamée par le gouvernement en France, comptes de Wikileaks et d’Assange bloqués, on s’étonne de pouvoir encore librement taper Wikileaks dans un moteur de recherche !

La transparence totale revendiquée par Wikileaks peut faire peur et recèle des dangers dont on ne mesure pas forcément l’ampleur. Elle a au moins pour vertu de démontrer le rôle et l’utilité du métier de journaliste. Jeter sur Internet aux vus et sus de tous tout type de document n’est pas du journalisme. Analyser ces documents, les recouper, mettre en relief l’information par des analyses et de la perspective, voilà peut-être qui fait la différence permettant de se prémunir des excès de cette toute puissante transparence sans pour autant se priver d’une source d’information à la fois aussi utile et sujette à caution qu’une autre.

Tout dire, tout montrer sans distinction renforcera, craignent certains, l’opacité des Etats, de plus en plus protégés et méfiants. Tout dissimuler, tout rendre inaccessible n’est-ce pas installer la suspicion des citoyens et ouvrir la boîte à fantasmes ? Cela s’appelle un cercle vicieux.

 

Publié dans Société

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