Burkina Faso. Prétoriens, soldatesque, long fusils, contestations et usure d'un pouvoir (4)

Publié le par Un monde formidable

Au Burkina Faso, "un soulèvement populaire est peu probable". Entretien avec Damien GlezPropos recueillis par Charlotte Chabas (Le Monde| 19.04.11)

Depuis trois semaines, le Burkina Faso est ébranlé par des mouvements de colère, impulsés notamment par l'armée. Pour Damien Glez, directeur de l'hebdomadaire satirique burkinabé Le Journal du jeudi, la contestation ne menace pas le président Blaise Compaoré, à la tête du pays depuis vingt-quatre ans.

Quelle est la situation au Burkina Faso ?     Damien Glez : Vu de l'extérieur, on a l'impression qu'il y a une contagion [des troubles]. Mais la situation s'est calmée à Ouagadougou, et il y a simplement des répliques dans les provinces. Sur le modèle d'un ricochet, l'épicentre s'est calmé, et seules les vaguelettes subsistent à présent. Ça annonce a priori le calme.

Quelles sont les revendications de ces mouvements de colère ?    Ce qui est complexe, c'est que ces mobilisations portent des revendications très différentes. La garde présidentielle s'est par exemple soulevée pour une histoire d'indemnité logement. Mais il y aussi des étudiants qui manifestent contre les violences policières après la mort de l'un d'entre eux. Les syndicats sont sur le pied de guerre concernant la vie chère. Et plus généralement, il y a une lassitude d'une partie de la population qui en a assez de voir le président toujours tourné vers les enjeux internationaux, et très peu intéressé par les problèmes nationaux. Au Burkina, beaucoup voient Blaise Compaoré davantage comme un "super ministre des affaires étrangères" que comme un président.

Quelle est justement la stratégie de Blaise Compaoré pour gérer la crise ?   Compaoré est quelqu'un de très muet, en général. Jouer les "endormis" lui a souvent réussi. En treize ans, il n'est intervenu sous forme d'allocution que deux fois. Sa stratégie, c'est seulement d'avoir décapité toutes les autorités : il a suspendu tous les chefs d'état-major et dissous le gouvernement. Ensuite, il fait du saupoudrage, grâce à des mesures ciblées vers des groupes en colère. Mais c'est une réaction à très court terme, rien n'est fait pour régler les problèmes de fond, notamment dans l'armée.

Mardi, le président a nommé un nouveau premier ministre, Luc-Adolphe Tiao, pour freiner la contestation. Est-ce un bon choix ?   C'est un choix assez surprenant, car Compaoré a choisi de ne pas nommer quelqu'un issu du milieu militaire. Tiao est un communicant : il a été président de l'équivalent du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) au Burkina, et était ces dernières années ambassadeur en France, donc il a aussi un côté diplomate. Dans l'ensemble, il a une image politique assez neutre. Il n'a jamais participé à une campagne, n'a pas été élu. Stratégiquement c'est un bon choix, parce que la mutinerie s'en est prise aux symboles du pouvoir central. Reste donc à savoir comment il va être accueilli par les militaires.

Peut-il y avoir une révolution au Burkina Faso sur le même modèle que les révolutions du monde arabe ?  Un soulèvement populaire est peu probable. Les revendications sont tellement diverses qu'elles ne peuvent pas s'agglomérer pour faire une révolution. Il y a beaucoup de colère contre Blaise Compaoré ; un cap a été franchi en passant du mutisme à la mutinerie. Aujourd'hui, les gens n'ont plus peur de Blaise Compaoré. Mais l'armée a attaqué les civils, a pillé les magasins, les soldats n'ont fait aucun geste pour rassembler un front uni et cohérent contre le pouvoir en place. D'autant plus que le mouvement reste très intellectuel et urbain. La masse électorale qui a permis à Compaoré d'obtenir 80 % des votes à la dernière élection, souvent analphabète et manipulée par les cadeaux en tout genre, n'est pas prête à basculer dans la contestation. Demain, s'il y avait une élection, il y aurait de grandes chances que Compaoré soit réélu.

 

 

« C'est très inquiétant que les forces de l'ordre deviennent les forces du désordre ». Entretien avec Damien Glez, dessinateur de presse. Propos recueillis par Laure Constantinesco (TV5. 20/04/11)

Le journaliste franco-burkinabé Damien Glez écrit et dessine pour plusieurs médias dont le Journal du Jeudi, célèbre hebdomadaire satirique qui fête ses 20 ans. Pour nous, il revient sur les divers mouvements de révoltes qui secouent le Burkina Faso depuis le 20 février 2011, avec une accélération à la mi-avril.

Vous avez assisté aux manifestations de ces derniers jours à Ouagadougou...     Les manifestations ont été très violentes et très militaires ces derniers jours. En février, suite à la mort de Justin Zongo, c'étaient des marches plus traditionnelles - démocratiques et populaires - d'étudiants et d'élèves. Il y a eu un peu de violence mais nous journalistes pouvions sans problème « couvrir » ces manifestations. Rien à voir avec ce qui s'est passé ensuite quand les militaires puis les soldats de la garde présidentielle ont pris le « relais » de la contestation : ils tiraient à l'arme lourde. Vendredi dernier (15 avril, NDLR), la ville de Ouagadougou était entièrement entre les mains des mutins. Certains étaient éméchés, la plupart armés. Ils réquisitionnaient les véhicules. Plus personne n'osait circuler dans les rues. Je les ai vus depuis mon bureau au journal, mais nous n'avons pas pu couvrir l'événement. Il y a d'ailleurs eu très peu d'images, car c'était trop dangereux. Samedi matin (le 16 avril, NDLR), ce sont les commerçants qui sont entrés dans la danse, excédés par les pillages. Ils ont attaqué la mairie, cassé des bâtiments publics, notamment la façade de l'Assemblée nationale, et brûlé une partie du parc automobile. Il y a eu des échauffourées entre les deux camps, militaires et commerçants.

Vous attendiez-vous à un mouvement de révolte d'une telle ampleur ?     La façon dont ça s'est enflammé nous a surpris. Il y a eu un effet boule de neige. Des mécontentements étaient latents, des mouvements syndicaux étaient organisés depuis pas mal de temps (ils ont défilé le 8 avril, NDLR) notamment pour protester contre ce qu'on appelle ici la « vie chère ». Tout cela, on le voyait arriver.  Ensuite, un élément conjoncturel a mis le feu aux poudres : la mort de l'élève Justin Zongo lors d'une manifestation le 20 février, une mort imputée à la police par ses proches. Ça a été le déclic sans lequel il n'y aurait sans doute pas eu ces événements. Les élèves ont protesté de manière violente - des commissariats, des bâtiments publics incendiés par exemple. Les manifestations ont été relayées dans plusieurs villes début mars. La répression policière a été violente et a contribué à énerver tout le monde. Puis les militaires se sont dit que c'était le moment pour glisser eux aussi leurs revendications.

Y a-t-il aussi un lien avec les révoltes arabes ?   Je ne pense pas. Il y a certes des mouvements politiques qui essayent de s'organiser sur le modèle des révolution arabes. Par exemple sur Facebook on trouve des pages intitulées « Blaise Compaoré doit partir ». Mais les gens ici ne sont pas très connectés à Internet.  Je crois que ces mouvements sont plus reliés à des crises internes au Burkina et que la mort de Justin Zongo a rappelé celle de Norbert Zongo (l'assassinat de ce journaliste avait fait grand bruit en 1998, NDLR). Quand les gens ont vu cette nouvelle affaire Zongo, au-delà de la symbolique des noms de famille, ils se sont mobilisés comme ils l'avaient fait en 1998. Le mouvement militaire rappelle un peu un mouvement de 2006, pendant lequel il y avait eu des affrontements entre policiers et militaires.

Comment voyez-vous la suite des événements ?    Difficile de lire dans le marc de café ! Néanmoins, l'impression que l'on a de l'intérieur c'est que ça tend à se calmer un peu. À Ouagadougou, le calme semble être revenu, les représentants de la Garde présidentielle se sont officiellement excusés à la télévision lundi soir. On a le sentiment que ce sont maintenant les garnisons de province qui veulent revendiquer les mêmes primes que leurs collègues de la Garde présidentielle. Mais je ne pense pas que ce soit très organisé.

Les mesures prises par le président Compaoré - nouveau Premier ministre, nouveau chef d'État-major, versement de primes et indemnités - vont-elles suffire à apaiser la colère ?   Il y a en effet un danger de saupoudrage : satisfaire les uns et les autres par des petites mesures. Par exemple la Garde présidentielle s'est officiellement soulevée pour une affaire d'indemnité de logement. Elle leur a été versé depuis. Mais ça ne résout pas le problème d'une armée qui ne se révèle ni républicaine, ni civique. Il y a un problème de fond à régler, sur le recrutement, la formation... L'incendie va être éteint mais c'est très inquiétant que les forces de l'ordre deviennent les forces du désordre. Ils sont capables de martyriser les gens, et ils n'ont plus peur des figures du pouvoir civil et militaire : le maire de Ouagadougou a été agressé à son domicile ; la maison de Gilbert Diendiéré, le chef d'état-major particulier du président, a été saccagé !  Il y a en tout cas une décrédibilisation du pouvoir : il maîtrise moins le volet militaire, qui est un pilier du régime. L'armée a toujours rythmé la vie politique au Burkina, qui a connu 5 coups d'État. Compaoré lui-même est issu de ce monde. Et maintenant, on s'aperçoit qu'il n'y a plus d'unité militaire derrière le chef de l'État.

Est-ce la fin de Blaise Compaoré ?    Non, on n'imagine pas a priori un coup d'État. Je pense que l'organisation défaillante des militaire ne le permet pas, de plus ils ne font rien pour que la population, les syndicats ou les magistrats les soutiennent - pillages, rumeurs de viols. Je ne pense pas qu'ils se retrouvent tous côte-à-côte dans la rue. Mais Compaoré va devoir faire pas mal de concessions et se poser la question de son avenir politique. Il est au pouvoir depuis 24 ans, et on lui prête l'intention de modifier la Constitution pour se représenter. Il va peut-être y réfléchir à deux fois avant de tenter ce coup de force.

Publié dans Afrique de l'Ouest

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