Burkina Faso. Genèse d'une crise: quand un assassinat devient une affaire d’Etat

Publié le par Un monde formidable

Quand un assassinat devient une affaire d’Etat par Vincent Ouattara* (Le Monde Diplomatique. Février 2009)

 

C’était le 13 décembre 1998, à 16 heures. La mort attendait le journaliste Norbert Zongo et ses compagnons (1) à environ cent kilomètres au sud de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, dans une localité du nom de Sapouy. Le véhicule 4  4 qui les transportait est carbonisé. Les corps également. L’affaire va ébranler le Burkina Faso (2).

Dès le 16 décembre naît le Collectif des organisations démocratiques et des partis politiques. La pression populaire oblige à mettre en place une commission d’enquête indépendante (CEI), le 18 décembre. Celle-ci comprend onze membres, dont trois représentants du pouvoir et différentes personnalités associatives. Après quelques hésitations, le Collectif accepte d’y participer.  Le 7 mai 1999, le rapport de la CEI atteste que la mort de Zongo est due à des motifs purement politiques liés à ses investigations sur l’assassinat de David Ouédraogo, chauffeur de M. François Compaoré, le frère du président. Accusé de vol par son « maître », Ouédraogo aurait été remis aux soldats de la « garde présidentielle », et torturé à mort. Le rapport identifie six suspects et recommande que des poursuites judiciaires soient engagées. Mais deux des représentants de l’Etat à la CEI se désolidarisent de ces conclusions...

Sous la poussée des manifestations de rue réclamant justice, le président Blaise Compaoré annonce la transmission du dossier à un juge d’instruction, une réforme du régiment de la sécurité présidentielle, la prise en charge sociale des familles de Zongo et de ses compagnons assassinés. Mais la tension ne baisse pas : en août 2000, cinq membres de la garde présidentielle sont inculpés dans l’affaire Ouédraogo. Parmi eux, MM. Marcel Kafando, Edmond Koama et Ousseini Yaro, également suspectés dans l’affaire Zongo. Ils sont reconnus coupables.  Condamné à vingt ans de prison pour actes de torture et assassinat dans l’affaire Ouédraogo, M. Kafando est tombé gravement malade en août 2001 et se trouve en convalescence chez lui. Ayant recouvré la santé, on s’attend à ce qu’il soit jugé dans le cadre du dossier Zongo ; mais, le 19 juillet 2006, à la surprise de tous, le juge Wenceslas Ilboudo prononce un non-lieu en sa faveur, sur la base de la rétractation d’un témoin à charge. Le 16 août, la chambre d’accusation du tribunal de grande instance de Ouagadougou confirme le non-lieu rendu en précisant que seules des « charges nouvelles » permettraient de rouvrir l’enquête.

On pourrait en trouver dans la falsification du rapport de la CEI : des passages auraient été supprimés, notamment ceux mettant en évidence des contradictions dans la déposition de M. François Compaoré. Il en serait de même pour le rôle joué par le richissime homme d’affaires Oumarou Kanazoé, qui bénéficie sans doute des largesses du pouvoir. Mais la demande de réouverture du dossier, en considération de ces faits, est rejetée par le ministère public le 18 juillet 2006.

Le 20 octobre 2008, à l’occasion de la 10e Journée nationale pour la liberté de la presse, le Centre national de presse Norbert-Zongo a lancé une pétition ; pour le dixième anniversaire de sa mort, des milliers de manifestants ont réclamé eux aussi la réouverture de l’enquête. En 2008, quinze meetings ont été organisés, trois journées « villes mortes », deux journées de deuil.

La détermination de la population est d’autant plus forte que, depuis des années, le pays connaît des crimes de sang classés sans suite, pendant que la « communauté internationale » félicite les autorités et accorde des titres honorifiques à son président. Le 1er février 1992, soit deux mois après l’assassinat du professeur d’université Oumarou Clément Ouédraogo, à la grenade, en plein centre de la ville, l’Ecole des hautes études internationales de Paris a élevé le président Compaoré au rang de docteur honoris causa. Le chef de l’Etat burkinabé jouit de soutiens politiques importants à Paris, où certains rêvent de lui attribuer le prix Nobel de la paix pour son rôle dans la « résolution » du conflit ivoirien (3).    Pourtant, face au mécontentement populaire, le gouvernement s’était senti obligé de mettre sur pied un « collège de sages », début 2001, avec mission de déceler les causes de cette crise. Ce collège a recommandé : vérité, justice et réconciliation nationale. Le gouvernement a donc créé une commission chargée de la mise en œuvre de ces principes. Le 30 mars 2001 s’est ainsi tenue la Journée nationale du pardon. La cérémonie, qui avait eu l’aval des autorités coutumières et religieuses, concernait tous les crimes commis depuis l’indépendance du pays. Mais l’assassinat de Zongo et de ses compagnons en était exclu. Le Collectif des organisations démocratiques et des partis politiques a refusé de cautionner cette journée et s’est recueilli sur les tombes des victimes.

Depuis le non-lieu prononcé par la justice, un mouvement des « femmes en noir » se réunit, chaque premier dimanche du mois, au cimetière de Gounghin (à Ouagadougou), où sont enterrés le journaliste et ses compagnons. A cette occasion, elles font des prières et réclament la réouverture du dossier. Malgré les menaces et les intimidations, elles veulent affirmer la présence des femmes dans les luttes pour l’émancipation et la citoyenneté. Zongo a libéré la parole. Des conférences sont organisées en mémoire des victimes, des prix sont attribués en leur nom, etc.  Les artistes musiciens du continent se joignent à la lutte des Burkinabés pour la justice. Le journaliste assassiné est cité dans Les Martyrs du chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly (4). Une autre figure emblématique du reggae, Alpha Blondy, lui a consacré une chanson dont le refrain est : « Au clair de la lune, mon ami Zongo, prête-moi ta plume et j’écrirai un mot... » Chanteurs, militants, associations... tous sont animés d’une même volonté : mettre un terme à l’impunité, en finir avec le crime politique au Burkina Faso et dans le reste du continent.

Les autorités burkinabés ont-elles compris ce qui se passe dans leur pays ? Ont-elles compris ce que révèle l’émotion provoquée en Afrique et dans le monde entier par l’assassinat de Zongo, de ses compagnons et de bien d’autres dont les tombes restent parfois inconnues ?

(1) Son jeune frère Ernest Yembi Zongo, son chauffeur Abdoulaye Nikièma, dit « Ablassé », et un de ses employés, Blaise Ilboudo.

(2) Lire Bruno Jaffré, « Le Burkina Faso ébranlé par l’« affaire Zongo » », Le Monde diplomatique, août 1999.

(3) Le socialiste Guy Penne et les anciens ministres de la coopération de droite Michel Roussin (aujourd’hui responsable Afrique du groupe Bolloré) ou Jacques Godefrain (ministre de la coopération du gouvernement Juppé) figurent parmi ces puissants soutiens politiques.

(4) Dans l’album Cours d’histoire, sorti en Côte d’Ivoire en 1999.

 *Vincent Ouattara, Enseignant à l’université de Koudougou (Burkina Faso), auteur de L’Ere Compaoré. Crimes, politique et gestion du pouvoir, Klanba Editions, Paris, 2006.


Publié dans Afrique de l'Ouest

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