Marseille, porte du sud

Publié le par unmondeformidable

"Ecoutez, c'est moi, le port de Marseille, qui vous parle (...) Je vous ferais voir toutes les couleurs de la lumière; comment le soleil se lève et comment il se couche en des endroits lointains. Vous contemplerez de nouveaux signes dans le ciel (...)

Je vous emmènerais de race en race. Vous verrez tous les Orients-le proche, le grand, l'exrème (...)

Je vous ferais connaître toutes les femmes, celles dont le voile prend au-dessous des yeux, celle au voile blanc, celle au voile noir, celle au bambou coupant le front. En kimono, en pagne, drapées ou culottées. Vous sentirez se poser sur vous des regards dont vous n'avez aucune idée. Il y en aura de brûlants, de tranchants, d'insistants, de royaux, d'indéchiffrables. Vous verrez des femmes qui, lorsqu'elles marchent, font le bruit d'une vitrine de joaillier qui s'écroule, tellement elles sont, ces créatures, couvertes d'or, d'argent, d'ambre, d'ivoire et de verroteries. Vous en verrez aux cheveux coupés franchement en brosse, d'autres à qui il faut deux jours et l'aide de toute la famille pour préparer une coiffure qu'on touche plus pendant un mois.  (...) 

Tu arracheras des ananas, tu mangeras des mangues,tu boiras le lait de la noix des cocotiers. Tu verras des arbres en feu, mais qui ne flambent pas, quoiqu'ils s'appellent flamboyants. Tu verras les champs de thé, les grandes plaines inondées où le riz qui pousse n'est encore qu'un tapis de velours frémissant et vert. Tu verras des arbres alignés à l'infini ainsi que des soldats d'une armée immense. Comme eux il saignent mais ce n'est que du caoutchouc (...)

Tu apprendras que les singes ne vivent pas derrière des grilles, mais en grande assemblée libre (...) Tu ne croirais pas (...)

Mais tu verras. Tu verras qu'il n'y a pas qu'un soleil (...) mais deux: le bon soleil qui donne le sourire à l'enfant, réjouit le malade, fait chanter les tuiles des toits, les feuilles des arbres, les toilettes des femmes et le coeur de hommes, puis le méchant soleil qui tombe sur l'enfant, le malade, les tuiles, les feuilles, les femmes, les hommes et assomme tout.

Je te ferais sentir la chaleur mortelle; entendre les vents des déserts; observer toutes les religions. Peut-être te montrerais-je un typhon.

Je suis le port de Marseille. C'est moi qui te parle. Vois mes bateaux qui s'en vont..."

Albert Londres (Marseille, porte du sud)

Publié dans Immigrations

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