USA. Foi d’athée
Foi d’athée. Par Fabrice Rousselot. Le Temps. Genève. 23 février 2009
Star du magazine «Vanity Fair», Christopher Hitchens fait un tabac aux Etats-Unis avec un brûlot athée.
L’homme qui a osé défier Dieu en terre d’Amérique supporte mal le décalage horaire. Epaules basses et paupières lourdes, Christopher Hitchens dit qu’il vit à un train d’enfer et qu’il est un «peu surpris de tout ce qui se passe autour de lui». Depuis plus d’un quart de siècle qu’il est installé à Washington, il a pourtant fait de la controverse son fonds de commerce. Journaliste-écrivain-essayiste, incontestable star du magazine sur papier glacé Vanity Fair, son accent british, sa gouaille et son allure fripée sont devenus outre-Atlantique autant de signes distinctifs d’un intellectualisme européen engagé et polémique. Christopher Hitchens écrit sur tout et ne se refuse rien. En une vingtaine de livres et des centaines d’articles, il s’est attaqué pêle-mêle à la monarchie britannique, Henry Kissinger, Bill Clinton et Mère Teresa. Mais cette fois, comme il le dit lui-même: «C’est autre chose. Je suis entré en résistance active contre la religion, et cela marque une étape déterminante dans ma petite existence», assène-t-il très sérieusement en sorte de préambule.
Tout est parti d’un livre, Dieu n’est pas grand: comment la religion empoisonne tout, publié en 2007 aux Etats-Unis, désormais traduit en français. En deux ans, Hitchens, qui a endossé déjà pas mal de costumes, s’est taillé les habits du pourfendeur le plus en vue de la chose religieuse dans un pays où le conservatisme chrétien reste une valeur sûre. Il n’a cessé d’enchaîner les meetings et les débats, attirant des foules de plus en plus impressionnantes. «Je suis invité partout, et les gens viennent en masse. A Los Angeles, ils m’ont fait passer au Wilshire Theatre, car il n’y avait pas de salle assez grande. Dans le Colorado, ils sont venus par m illiers. Et ça continue.»
Le New York Times n’a pas hésité à parler du «phénomène Hitchens». La presse anglo-saxonne a aussi fait du trublion l’un des chefs de file d’un courant en vogue, celui des «nouveaux athées». Le plaçant aux côtés du philosophe Daniel C. Dennett, du scientifique Richard Dawkins et de l’essayiste Sam Harris. «Tous les trois ont écrit de nombreux ouvrages avec une critique radicale de la religion. Je les ai invités chez moi, et nous sommes très officiellement devenus les «quatre cavaliers de l’athéisme». Parce que nous pensons vraiment qu’il faut mettre fin à la prédominance de Dieu sur la planète.» Le livre, devenu un best-seller, est à l’image de son auteur. Brillant, drôle (chapitre 3: «Brève digression sur le porc ou pourquoi le ciel déteste le jambon»), il est aussi incroyablement efficace et documenté, avec des analyses en profondeur des textes du Coran, de l’Ancien et du Nouveau Testament. En trois cent vingt et quelques pages, Hitchens ne laisse aucun espace pour le compromis et crucifie Dieu sous toutes ses formes. Pourquoi tant de haine? «Parce que, pour moi, il n’y a pas de demi-mesure, la religion est la pire invention de l’homme, rétorque-t-il. Je suis un athée forcené, ce livre est le livre de toute une vie.»
Le «non-Dieu» donc, comme point d’ancrage d’une existence pour le moins chahutée, où les genres se mélangent. L’éducation, elle est évidemment anglaise. Naissance à Portsmouth, père officier dans la Navy, le jeune Christopher est envoyé en pension dès 8 ans. Puis ce sera Cambridge et Oxford pour cet excellent élève. Rien d’extraordinaire donc si ce n’est, déjà, ces interrogations sur le Créateur. Dès 9 ans, explique-t-il, il se pose des questions quand son institutrice remercie Dieu pour avoir peint la nature en vert, une couleur «reposante» pour les yeux… Sa mère, qui a elle aussi rejoint la marine britannique, est d’origine juive polonaise. Mais il n’apprendra que très tard son judaïsme. «Elle voulait surtout devenir Anglaise, et elle a fait abstraction de tout le reste. Aujourd’hui, quand on me demande si je suis juif, j’ai du mal à ne pas répondre oui, mais cela ne correspond pas à grand-chose pour moi.»
Dans les années 60, Hitchens a l’âge de toutes les révoltes. Trotskiste forcené, il se rend à Cuba en 1968 et commence à développer un intérêt pour l’écriture. Il décroche un job au New Statesman, la revue de gauche britannique. «Puis est venu l’appel vers les Etats-Unis, sans que je sache vraiment pourquoi.» En 1981, il débarque à New York, puis à Washington. «Je connaissais Tina Brown (l’ancienne patronne anglaise de Vanity Fair, ndlr), elle m’a offert de devenir un collaborateur régulier du maga zine. C’était une occasion en or.»
C’est à Vanity Fair que Hitchens va bâtir sa réputation. Le provocateur érudit, l’intello grande gueule qui crie haut et fort son goût pour l’alcool et la cigarette. Il peut tout aussi bien écrire une longue série de trois longs articles sur son propre relookage, de la tête aux pieds (masque de boue, traitement des cheveux à la kératine, photos sous la douche et épilation dont on ne donnera pas tous les détails…) que livrer des analyses remarquables sur l’Iran ou la Chine (il a été désigné l’année dernière comme le cinquième des 100 intellectuels les plus influents de la planète par la très sérieuse revue Foreign Policy). En plein débat sur la torture à Guantanamo, il décide de tester le supplice de la baignoire. «Je fais des choses pour marquer les esprits, dit-il. Le relookage, c’était aussi pour prouver que l’industrie du cosmétique représente une vaste escroquerie. Quant à ma séance de torture, elle a été plus efficace que n’importe quelle analyse pour démontrer que les Etats-Unis ne respectaient pas les Conventions de Genève.»
Jamais à une contradiction près, le gauchiste revendiqué soutient la guerre en Irak, et se fait l’un des hérauts de la lutte contre Al-Qaida et le terrorisme après les attentats du 11 septembre. «Ma position sur l’Irak est très simple, assume-t-il. George W. Bush était l’un des présidents les plus incompétents de l’histoire, mais je lui serai éternellement reconnaissant de nous avoir débarrassés de Saddam Hussein. Je suis très proche des leaders kurdes d’Irak et, comme eux, je voulais la fin de ce dictateur.» Avec le départ de Bush, Hitchens parle d’un pays «en plein bouleversement et prêt à autre chose». Américain depuis peu, il a voté pour la première fois le 4 novembre pour Barack Obama, et souligne avec une certaine fierté que sa dernière fille, de son deuxième mariage, va à la même école que les deux filles du président. «Mais, pour l’instant, Obama ne m’impressionne pas vraiment. J’ai du mal à le cerner. Il a fait du changement son slogan, parce qu’il a senti ce qui se passait. En fait, l’Amérique est en train de changer, et elle changera avec ou sans lui.» Et le voilà qui recreuse son sillon. «Vous allez voir. Pendant longtemps, on a dit à tout le monde que les non-croyants étaient minoritaires aux Etats-Unis, mais c’est faux. La religion n’est pas invincible. Il faut y croire.»
Il est midi. L’heure du scotch avant le déjeuner. Un rituel immuable. «J’ai beaucoup réduit. L’alcool m’aide à écrire et à réfléchir. Je fais juste un peu attention, et je ne fais plus de mélanges. Mais, quand on s’en prend à Dieu, on a bien le droit à un petit verre, non?»