Israel. B’tselem arme les Palestiniens de… caméras

Publié le par unmondeformidable

B’tselem arme les Palestiniens de… caméras  par Antoine Ajoury ( L’Orient Le Jour. Beyrouth. 18/12/08)

Le Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés équipe les Palestiniens de caméras pour filmer les exactions des colons et les abus des soldats de l’Etat hébreu.

« Salope, salope, salope… » Appuyée à la grille qui entoure la maison de la famille Abou Ayesha à Hébron, une femme colon insulte copieusement la mère du foyer. L’une de ses filles a filmé la scène. C’était en mars 2007. Depuis, la vidéo, intitulée Charmouta, a été largement diffusée sur Internet et par les médias, en Israël et à travers le monde. Ce film, montrant une Israélienne qui insulte pendant plusieurs minutes sa voisine palestinienne, fait partie d’un programme intitulé « Riposte » (« Shooting Back ») et initié par B’tselem, le Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens, basé à Jérusalem.

Alors que le projet en était à cette époque à ses premiers balbutiements, il a rapidement reçu le soutien de donateurs américains, touchés par la situation précaire et injuste de cette famille palestinienne de Hébron, victime de harcèlement et de violences quasi quotidiennes de la part d’ultranationalistes vivant dans la colonie de Tel Rumeida, de l’autre côté de la rue. Armés d’un caméscope distribué par B’tselem, les membres de la famille Abou Ayesha filment ainsi régulièrement les exactions perpétrées par les colons. On voit souvent de jeunes radicaux qui n’ont même pas atteint l’âge de la puberté s’attaquer verbalement aux Abou Ayesha, les insultants, jetant des pierres sur leur maison, sous le regard passif des forces de l’ordre israéliennes qui obligent tout simplement les Palestiniens à rentrer se terrer chez eux ou tentent mollement de disperser les jeunes colons pleins de rage et de haine.

B’tselem a déjà enregistré plus d’une quarantaine d’abus commis par les colons ou par l’armée israélienne contre les Palestiniens en 2007 à travers toute la Cisjordanie, et plus d’une douzaine de cas en 2008.

Le but initial de l’ONG israélienne était de chercher des moyens efficaces de prouver les violations des droits de l’homme qui ont lieu dans les territoires occupés. En effet, selon une étude publiée récemment par l’organisation israélienne Yesh Din (« Il y a justice »), sur dix plaintes de Palestiniens visant des colons, neuf sont classées sans suite, faute de preuves tangibles. Il s’agissait donc de rassembler des preuves qui puissent être utilisées devant un tribunal pour appuyer une enquête ou confirmer des témoignages.

C’est le cas d’une vidéo filmée par une étudiante palestinienne lors d’une manifestation contre la barrière de sécurité à Nihilin montrant l’arrestation d’un jeune Palestinien par un officier de l’armée israélienne. Alors que le détenu, yeux bandés et mains liées, est entraîné vers la fourgonnette de l’armée, un soldat vise sa jambe et lui tire dessus, à bout portant, une balle en caoutchouc. La scène sera diffusée quelques semaines plus tard par B’tselem, provoquant un scandale au sein de l’armée israélienne. Le Palestinien sera libéré, des poursuites seront engagées contre le soldat qui a tiré, une enquête sera ouverte contre l’officier responsable de l’arrestation et le bataillon en question sera muté suite à une inculpation pour « comportement impropre à l’éthique militaire ». (...)

Une autre vidéo montre plusieurs hommes armés de bâtons qui tabassent sauvagement des bergers palestiniens vivant à Khirbet Susiya, en juin 2008. Auparavant, des colons étaient venus menacer des membres de la famille A Nawajah en leur ordonnant de quitter les lieux. Avec sa caméra pour seule arme, la jeune Mona A Nawajah, les a toutefois attendus et a pu filmer, d’une main tremblante, l’attaque des colons. En voyant le caméscope, fourni par B’tselem, les assaillants se sont masqué le visage avant de filer.

L’affaire avait fait du bruit après la diffusion du clip sur la chaîne de télévision britannique BBC. Alors que la police semblait ne rien faire pour retrouver les coupables, la vidéo est venue à point pour confirmer l’attaque. À la suite de la diffusion, trois colons avaient été interpellés.

Le projet s’est avéré par la suite un outil efficace de dissuasion, un moyen de protection. Des Palestiniens ont ainsi remarqué à plusieurs reprises que certains colons commençaient à avoir peur d’être filmés en train de s’attaquer ou d’insulter leurs victimes devant une caméra. Depuis, certains Palestiniens se promènent avec une caméra – même cassée – uniquement pour dissuader un quelconque agresseur. À ce jour, plus de 100 caméscopes d’une valeur moyenne de 300 dollars ont été distribués dans le cadre du programme « Riposte ». Près de 200 autres devraient l’être prochainement. En outre, B’tselem recueille à peu près 50 heures de pellicule par mois enregistrant pour la plupart les agissements des colons radicaux implantés dans les territoires. Les vidéos recueillies par les Palestiniens sont par la suite archivées par l’organisation pour être distribuées plus tard aux médias et aux agences internationales d’information en vue d’une large diffusion.

Les journalistes ne pouvant être partout à la fois pour couvrir les heurts et les agressions dont les Palestiniens sont victimes, le projet de distribution de caméra fait donc de la population civile des « journalistes-citoyens », pouvant recueillir les exactions commises contre eux. Les familles palestiniennes qui en bénéficient vivent généralement dans des zones de la Cisjordanie où les heurts avec les colons sont assez fréquents, notamment à Hébron, mais aussi dans des régions sujettes à des incursions de l’armée israélienne venue rechercher des suspects.

Ainsi, à Qalqilia, un Palestinien a pu filmer, caché dans sa maison, des soldats qui obligent les adultes du quartier, arrêtés, à se déshabiller devant leur famille et leurs voisins pour inspection. D’autres images montrent d’énormes bulldozers démolissant des maisons palestiniennes.(...) Face aux colonies implantées en Cisjordanie, aux exactions des ultranationalistes, à la barrière de sécurité, aux barrages éparpillés à travers tout le territoire, aux incursions de l’armée israélienne, les caméras de B’tselem deviennent un outil de résistance, une arme pacifique pour lutter contre les violations systématiques des droits des Palestiniens. (...)

 (...) B’tselem est accusée d’être une organisation très « propalestinienne ». Les détracteurs du projet estiment en outre qu’on peut facilement manipuler les images. Alors que d’autres affirment que les vidéos sont prises hors contexte, le montage final ne montrant pas ce qui s’est passé avant la scène diffusée. Dans un contexte de défiance de part et d’autre, les colons argumentent que les séquences filmées ne sont que des réactions à des provocations antérieures. Divers trucages antérieurs contribuent à conforter leurs thèses. Il n’en reste pas moins que ces images vidéo filmées par les Palestiniens eux-mêmes viennent contrebalancer une couverture médiatique parfois partiale et parfois censurée du conflit israélo-palestinien.

 À propos de B’tselem

B’tselem, le centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés, a été créé en 1989 par un groupe d’éminents universitaires, avocats, journalistes ainsi que des membres de la Knesset. L’association s’efforce de faire connaître et d’éduquer le public et les politiciens israéliens sur les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés afin de combattre le phénomène de négation largement répandu dans la société israélienne et de créer une culture des droits de l’homme en Israël. (...) En tant qu’organisation israélienne, B’tselem œuvre principalement en vue de modifier la politique de l’État hébreu dans les territoires occupés et pour s’assurer que le gouvernement israélien, puissance occupante, protège les droits humains des habitants et se conforme aux obligations du droit international en vigueur. B’tselem est une organisation indépendante, financée par des contributions de fondations européennes et nord-américaines qui encouragent les activistes des droits de l’homme dans le monde,  ainsi que par des individus israéliens et étrangers. 

Publié dans Palestine - Israël

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