Diaspora burkinabè : Les "Italiens" de Béguédo - 2005-09-12

Publié le par unmondeformidable

Diaspora burkinabè : Les "Italiens" de Béguédo par S. Nadoun Coulibaly (Source Sidwaya -12/09/2005).

On les appelle à Béguédo des "Italiens". Ils sont environ 3 000, partis en Italie à la conquête du bien-être. Aujourd’hui, ils font la renommée et la fierté de leur cité d’origine grâce aux centaines de millions qu’ils y rapatrient. Résultat : Béguédo rayonne par la qualité de ses infrastructures.

A Béguédo, 140 km à l’Est de la capitale dans le Boulgou, chaque famille a son "Italien". "Mes trois frères et mes deux fils vivent en Italie. Ils m’ont construit une maison et m’ont acheté une moto Yamaha V80, une mercedès 200. Grâce à leur soutien, j’ai pu effectuer le pèlerinage à La Mecque", témoigne El hadj Soumaïla Bara, résidant à Béguédo. Comme lui, ils sont nombreux à bénéficier du soutien des "Italiens".

Un "Italien" de Béguédo, selon nos informations, rapatrie en moyenne par an, 2 millions de F CFA à ses frères restés au pays. Ils constituent de ce fait, le poumon économique de leur cité d’origine. Béguédo a les allures d’une ville moderne, car les investissements des rapatriés d’Italie sont remarquables. La cité se construit petit-à-petit. Une ville en chantier où des mini-villas poussent comme des champignons. Des motocyclettes "Italie au revoir", des voitures d’occasion dominent la circulation. "Je suis content des Italiens parce qu’ils ont développé le village" se réjouit El hadj Bara pour qui l’aventure italienne a commencé dans son village avant de gagner d’autres localités : Niagho, Ouarégou, etc.

A Béguédo, les "Italiens" investissent dans le bâtiment. Avoir une maison au village est une priorité pour eux. "Béguédo n’a plus de problème de logement. Nous disposons d’un habitat décent. Les Italiens construisent des maisons pour les membres de leur famille respective", explique une résidente, Fatimata Bara. "Au regard des infrastructures, Béguédo se porte bien. J’ai construit une maison pour mes parents. Je leur envoie de l’argent six fois l’an en raison de 250 000 F CFA", indique Inoussa Bara, travailleur contractuel à Napolie (une ville italienne). D’ailleurs, un quartier de Béguédo porte le nom de cette cité italienne. Ainsi, M. Bara rapatrie annuellement plus de 1 500 000 F CFA à ses frères. Marié, père d’un enfant, celui-ci vit en Italie depuis 2003 et rêve d’avoir une villa à Ouaga 2000. A l’instar de Inoussa, Oumar Bara vit à Brescia (Italie) depuis 1989. Après avoir travaillé dans la société Passotti, il s’est installé aujourd’hui à son propre compte comme livreur particulier. Cet ancien taximan à Abidjan, affirme avoir conscience que les manants ne disposent pas de ressources suffisantes pour satisfaire leurs besoins. En cette saison hivernale marquée par la famine, Oumar Bara note : "De retour en Italie, J’enverrai entre 300 et 400 000 F CFA à ma famille pour l’achat de céréales". En Italie, la plupart des "Italiens" de Béguédo travaillent dans les exploitations agricoles ou dans les usines de fabrique d’objets électroménagers. Livreurs, ouvriers agricoles, électroniciens, trôneurs, autant de petits métiers qui leur permettent de réaliser des économies.

Ils vivent en majorité au Nord de l’Italie où selon des témoignages, "il est plus aisé de vivre et d’avoir un travail rémunéré". Ils perçoivent un salaire mensuel, compris entre 800 et 1500 euros, soit entre 524 000 et 980 000 F CFA. Ils épargnent ainsi de l’argent qu’ils rapatrient aux manants. Analphabètes, pour la plupart, ils ont tenté l’aventure italienne en quête d’un mieux-être. Ce sont les conquérants d’un autre type de développement : s’immigrer pour améliorer le sort des leurs, semble être leur leitmotiv. La présence massive des Bissa en Italie est due à leur grande solidarité, explique notre guide, Ismaël Bara. "Si un Bissa va en Italie, il fait tout pour y faire venir son frère. C’est la solidarité qui a fait que nous sommes nombreux en Italie", laisse entendre Mariam Bara, employée de AESY’S. Cette électronicienne de 23 ans vit depuis cinq ans en Italie. Avec son français chatouillé, elle nourrit une seule ambition : "construire une villa à Ouaga 2000". Après quoi, dit-elle, je rêve d’avoir un bon mari. Pour elle, l’Italie a amélioré sa situation financière. "Ce pays m’a permis de m’instruire et de découvrir le monde" , souligne -t-elle. 

Afin de s’organiser pour faire front commun, les Bissa d’Italie sont regroupés au sein de l’Association des ressortissants de Béguédo en Italie (ARBI). A travers elle, les "Italiens" contribuent au développement de Béguédo. Construction de la maternité de Béguédo, du Collège d’enseignement générale, dons de 4 ambulances au Centre de santé de Béguédo, financement à hauteur de 5 millions F CFA de la réfection de la piste Béguédo-Fingla, le soutien de l’ARBI est inestimable, affirment les résidents. "J’ai été émerveillé par la qualité des infrastructures à Béguédo", se réjouit Kadiatou Kompaoré, qui a vécu 11 ans à Brescia (Italie), sans venir dans son "Bayiri natal". L’ARBI, selon un informateur anonyme serait le lobby des Bissa en Italie. "Avec le cachet de l’ARBI, les prétendants à l’immigration en Italie obtiennent facilement leur visa et autres documents nécessaires", indique la même source. D’ailleurs, pour faire partir leur famille en Italie, les "Italiens" se servent de ce cadre. Mais dans l’ensemble, ils avouent que les conditions d’immigration en Italie deviennent de plus en plus drastiques.

Malgré cet état de fait, la fièvre de l’Italie est présente dans les esprits à Béguédo. Trois jeunes sur quatre interrogés à Béguédo rêvent d’aller en Italie. Ils sont convaincus que l’Italie est la porte du salut. "Les Italiens reviennent avec beaucoup d’argent. Mon rêve est de faire comme eux", confie un jeune résident. "J’ai déjà fait en 2003 une tentative infructueuse pour l’Italie. En ce moment, j’économise pour partir là-bas", renchérit notre guide Ismaël Bara. Selon une source bien informée, trois élèves du CEG de Béguédo auraient rejoint cette année leurs parents en Italie. Des départs comme ceux-ci sont courant à Béguédo, soutient toujours le même informateur pour qui, avant de demander la main d’une fille dans ce village, il faut aller d’abord en Italie. L’Italie est donc un pôle d’attraction. Les "Italiens" aident à leur façon les autres à s’envoler pour le pays de Berlisconi. "Notre souhait est de faire venir d’autres afin d’inverser la tendance c’est-à-dire amorcer le développement de Béguédo" souligne Oumar Bara "moi, j’ai emmené deux frère en Italie", explique Ali Bara.

Entre Béguédo et Niagho, reliés par le Nakambé, les relations ne seraient pas au beau fixe. Une rivalité de façade sévirait entre les deux localités. Mais les résidents de Béguédo sont peu bavard sur cette rivalité. "Sur cette question, je n’ai rien à dire", affirme El Hadj Soumaïla Bara. "Ce sont des interprétations, chacun grouille pour développer son village", souligne Ali Bara, employé de Industrie Pasotti. Marié, père de trois enfants, il séjourne depuis 1992 en Italie, il dit avoir construit à Béguédo et à Ouaga 2000. Béguédo ayant le pouvoir économique et Niagho l’intellect, la rivalité stérile cède aujourd’hui la place à une concurrence dans l’édification des deux cités.

 


Publié dans Afrique de l'Ouest

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