La longue marche des Libanais d'Afrique(2). "Ta patrie est là où tu réussis"

Publié le par Un monde formidable

Sénégal-Liban : la face cachée de l'intégration Par Cécile Sow (Jeune Afrique.13/10/2009) 

Installés au pays de la Teranga depuis plus d’un siècle, les Libanais sont considérés comme des « Sénégalais entièrement à part ».

Les Libanais ont-ils de vilains défauts? Si l’on en croit nombre de Sénégalais, « ils adorent l’argent », « ce sont de grands fraudeurs », « ils sont trop riches » et, pour couronner le tout, « ils sont racistes ». Mais cette piètre opinion affichée à l’égard « des fils du pays du Cèdre » s’apparente plus à des clichés ressassés qu’à une réalité vécue au quotidien. D’ailleurs, depuis une dizaine d’années, il y a comme un rapprochement entre les « Sénégalais bon teint » et ces milliers de Libano-Sénégalais, qui pour beaucoup n’ont jamais mis les pieds dans leur pays d’origine, ont oublié la langue arabe et maîtrisent parfaitement le wolof. Autre signe d’intégration: ils ne vivent pas en vase clos. Eux aussi sont frappés par la pauvreté. 

Environ 60 % de pauvres

« On peut affirmer sans exagérer qu’environ 60 % d’entre eux sont pauvres ou connaissent de sérieuses difficultés financières », assure Dalale Derwiche, la présidente de l’association de femmes Al-Hoda (« Sur la bonne voie »). En vingt ans, leur niveau de vie s’est considérablement dégradé. « Dans les années 1970, nous assurions une aide ponctuelle. Actuellement, nous soutenons une quarantaine de familles. Le plus souvent, elles n’arrivent pas à payer les loyers, la scolarité des enfants ou les soins de santé », ajoute Dalale.

Ce phénomène s’est accentué dans les années 1990 avec l’arrivée massive dans le petit commerce des « Baol-baols ». Ces Sénégalais pour la plupart mourides (confrérie islamique très active dans les affaires) ont investi l’agro­alimentaire, l’électroménager et le textile, longtemps dominés par les Libanais. Face à cette concurrence, beaucoup ont dû fermer boutique. Quelques-uns se sont reconvertis dans la petite industrie. D’autres sont allés tenter leur chance ailleurs, en Gambie, en Guinée-Bissau, en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire… Entre 1970 et 2009, la communauté est ainsi passée de 50000 membres à moins de 30000. Rares sont ceux qui retournent vers la terre de leurs ancêtres, où ils n’ont plus guère d’attaches. Exceptés quelques privilégiés qui ont acquis des terrains et des biens immobiliers.

Ceux qui ne veulent pas quitter le Sénégal – la plupart y sont nés – s’installent dans les villes de l’intérieur ou dans la banlieue dakaroise, car la vie y est moins chère. L’association Al-Hoda constate qu’ils sont de plus en plus nombreux à Pikine et Guédiawaye. Le plus souvent, il s’agit de métis et de couples mixtes. Malgré la bonne entente entre les communautés, le métissage est encore mal vu. Alors, quand ça va mal, on s’en va et on recherche un certain anonymat.

C’est à Guédiawaye, dans un petit appartement qu’il partage avec sa mère, son demi-frère, son épouse sénégalaise, ses cinq enfants et deux locataires, que Mounir Safieddine, 47 ans, a reçu Jeune Afrique. Hormis sa couleur de peau, rien ne différencie Mounir de ses amis sénégalais. Il manie le wolof à merveille et se dit parfaitement intégré. Il a grandi dans ce quartier, accueilli par une famille sénégalaise. « Après la séparation de mes parents [une mère métisse et un père libanais], moi et mes deux frères nous avons été rejetés à cause de nos origines africaines », explique-t-il avec pudeur. Seul un oncle paternel est resté en contact.

Pourtant, et paradoxalement pourrait-on ajouter, la très grande majorité des Libanais affiche avec fierté sa nationalité sénégalaise. Et en de nombreuses occasions, elle laisse exploser sa « sénégalité ». Par exemple, lors des matches de football. Quand la sélection nationale, les Lions de la Teranga, dispute une rencontre importante, les jeunes Libanais portant des tee-shirts aux couleurs du pays enfourchent des scooters et sillonnent Dakar en agitant des drapeaux vert-jaune-rouge. Pour eux, il n’y a aucun doute, ils sont sénégalais. Oui, mais des citoyens à part. 

Absence sur la scène politique

« Ils s’engagent très peu en politique et, à quelques exceptions près, n’ont jamais occupé de hautes fonctions dans l’administration. Il n’y a jamais eu de ministres libanais », constate Haïdar el-Ali, deuxième vice-président du Conseil régional de Dakar, fondateur de la Fédération démocratique des écologistes du Sénégal (FDES), un parti d’opposition. Pour lui, ses compatriotes ont peur de s’engager à cause des préjugés. Aly Saleh, un métis, a été maire de Dahra (capitale économique du Djolof, à 280 km de Dakar) pendant dix-huit ans et a milité avant l’indépendance dans les formations qui donnèrent naissance au Parti socialiste. Il connaît « très bien le problème », mais ne veut pas en dire plus. « Sujet trop sensible et douloureux » pour un homme qui a été membre d’un cabinet ministériel de 1962 à 1967, sénateur de Linguère en 1999 et premier questeur du Sénat. « Je n’ai jamais eu de difficultés avec les populations, qui sont beaucoup plus préoccupées par les actions du candidat que par ses origines », glisse-t-il.

« Le problème est plutôt du côté de l’élite intellectuelle, qui a du mal à nous accepter au sein des instances dirigeantes », soutient pour sa part une personnalité libanaise sous le couvert de l’anonymat. Selon elle, ses compatriotes s’intéressent pourtant de plus en plus à la vie publique et aimeraient y participer. « Lors de la présidentielle de 2000, pour la première fois, beaucoup sont allés voter », soutient-elle. Un premier pas vers une citoyenneté pleine et entière.

« Au Sénégal, nous n’avons pas de problèmes ethniques mais l’intégration des minorités n’est pas une évidence. On nous considère encore trop souvent comme des Sénégalais entièrement à part », résume Fayçal Sharara, vice-président du patronat, issu de la grande famille des Sharara. « Les choses avancent tout de même, et lorsque j’ai été le président de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal [Ipres], de 2001 à 2003, quasiment personne n’a évoqué mes origines », conclut cet homme de 60 ans, retiré des affaires mais bien décidé à peser au sein de la société civile sénégalaise.

 

Côte d'Ivoire-Liban : Dagher, un homme d'influence par Pascal Airault (Jeune Afrique. 13/10/2009)

À la tête d’un groupe à la santé florissante, il est un relais essentiel entre la communauté et le pouvoir.

Jeudi 1er octobre, 16 heures. Conseil économique et social (CES) à Abidjan. La première dame Simone Gbagbo, le président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly, le président du CES Laurent Dona Fologo, plusieurs ambassadeurs, anciens ministres et personnalités ont répondu présent à l’invitation de Roland Dagher, qui organise une cérémonie de dédicace de son ouvrage Si je peux me permettre… Un livre dans lequel ce Libano-Ivoirien revient sur son parcours personnel et l’histoire de la Côte d’Ivoire, d’Houphouët-Boigny à Laurent Gbagbo.

Issu d’une famille de grands commerçants venue tenter sa chance en Afrique, Dagher a vu le jour le 8 mai 1952 à Bamako, au Mali. Ses parents tenaient un comptoir et avaient des plantations d’arachide dans la région de Kita. Fervents partisans de la libération de l’Afrique, ils apportaient un soutien logistique au Rassemblement démocratique africain (RDA) de Modibo Keita, père de l’indépendance malienne. Peu après le décès de ses parents, Roland pose son baluchon sur la Lagune Ébrié à la fin des années 1960, le nouvel eldorado. « Il suffisait d’avoir le sens de l’initiative pour que tout ce que vous touchiez ici devienne de l’or », explique-t-il. Le « Midas libanais » crée une petite épicerie à Marcory avant de se lancer dans la distribution de produits courants, pétroliers et phytosanitaires puis dans le négoce international. Suivront une confiserie à Bouaké, une imprimerie industrielle à Abidjan – qui imprime toujours les principaux quotidiens de la place – et la reprise de plusieurs entreprises… 

Son sens des affaires et son entregent l’amènent rapidement à côtoyer les cercles du pouvoir. Dagher l’autodidacte avait ses entrées sous Houphouët-Boigny… Au décès du « Vieux », il se rapproche du « sphinx » de Daoukro, Henri Konan Bédié, qu’il appuiera même après sa chute en 1999 en lançant le Cercle national Bédié (CNB). Avant de tomber sous le charme du président Laurent Gbagbo, qui le fera nommer au Conseil économique et social comme représentant de la société civile. « C’est un honneur d’être membre de cette institution », assure l’intéressé, qui y siège avec un autre Ivoirien d’origine libanaise, Fouad Omaïs. Homme d’affaires prospère, Dagher soutient aujourd’hui ouvertement le chef de l’État. Il est aussi un relais essentiel entre la communauté libanaise et le régime…

Marié en 1973 à sa compatriote May, naturalisé en 1980, Dagher se fend régulièrement de tribunes dans les journaux dans lesquelles il joue de sa fibre patriotique à propos du processus de paix, de l’école ou encore de l’armée nationale. Mais sa principale « fierté » est son fils unique, Roland junior, à qui il confie progressivement les rênes de ses sociétés. Un empire familial que ce trentenaire dynamique compte développer. On le dit prêt à lancer une chaîne de télévision. « Il est encore trop tôt pour parler de quoi que ce soit », esquive le jeune homme plein d’ambitions.

 

Omaïs et Fakhry : deux familles qui ont réussi Par Khatidja Kassam (Jeune Afrique.13/10/2009)

 « Ta patrie est là où tu réussis. » Ce dicton libanais illustre parfaitement l’épopée de quelques grandes familles libanaises installées en Côte d’Ivoire depuis trois générations.

Les Omaïs ont été les pionniers dans l’industrie plastique (Sotici, créée en 1972) et dans l’hôtellerie (Hôtel Tiama). Ils sont également parmi les représentants officiels de la communauté libanaise en Côte d’Ivoire, à travers le chef de famille Fouad Omaïs, membre du Conseil économique et social. La famille Fakhry, installée depuis environ cent ans, a des activités dans le commerce du textile (Wrangler), la grande distribution (Trade Center), les hôpitaux (Polyclinique internationale de l’Indenie) et l’hôtellerie (Ivotel). « Notre priorité est la diversification », explique Abdul Fakhry, la cinquantaine, qui incarne cette nouvelle génération d’entrepreneurs sans complexe. De quoi menacer des positions acquises? Certainement. Et des exemples le prouvent. C’est ainsi que les Galeries Peyrissac d’Abidjan, dont le siège était en France, ont été rachetées en 2007 par le groupe Yeshi (distribution, industrie, services…), créé en 1979 par Abdul Hussein Beidoun à Abid­jan. Le temps des comptoirs coloniaux est révolu. Les grandes familles libanaises sont à la tête de véritables conglomérats.

Cameroun-Liban : la fin d'une époque Par Georges Dougueli (Jeune Afrique.13/10/2009)

La disparition du patriarche Saleh Azar laisse Hajal Massad (88 ans) seul en première ligne. Les deux hommes ont toujours appliqué la même recette: business et discrétion.

Arrivé de son Liban natal en juin 1952, Saleh Azar, jeune maronite en quête d’aventures, foule une terre inconnue: le Cameroun n’est encore qu’un lointain territoire d’Afrique centrale sous tutelle française. L’Afrique n’est certes pas aussi éloignée que l’Amérique, dont toute la jeunesse libanaise de l’époque rêve. Mais, vue du Liban, c’est déjà le bout du monde… Et comment ne pas se laisser tenter par l’appel du large quand, dans ses lettres, un oncle travaillant comme agriculteur au Cameroun décrit un pays de cocagne? Le jeune homme prend l’avion pour Yaoundé. Il n’en repartira plus. Saleh Azar est décédé le 31 août dernier et a été inhumé dans la capitale camerounaise, où il aura vécu et travaillé pendant cinquante-sept ans. D’abord agriculteur, il se reconvertit en exportateur de cacao puis en vendeur de matelas, avant de racheter Le Marseillais, un restaurant qui va devenir l’une des tables les plus réputées de la ville.

Sa fille Élise, belle métisse issue d’une union avec une Camerounaise, épouse un des neveux du chef de l’État. Les portes du Palais s’ouvrent pour la fille de l’ancien vendeur de matelas qui va y convier des amies. En 1994, l’une d’elles, Chantal Vigouroux, rencontre puis épouse le président Paul Biya. La suite de l’histoire n’a rien du conte de fées. Élise décède brutalement à la suite d’un accident de la circulation en septembre 1996. Chaque année, le Yaoundé Élise Azar Athletics International Meeting (Yelaim) honore sa mémoire.

La disparition de Saleh Azar, figure de la première génération d’immigrants libanais, laisse le « vieux » Hajal Massad, 88 ans, consul honoraire du Liban au Cameroun, seul en première ligne. Il est l’âme d’une génération qui tient à préserver une ligne de conduite qui n’a jamais varié. Il s’agissait de donner des gages d’intégration, d’éviter tout engagement politique, tout en nouant des relations privilégiées avec les pouvoirs, de fuir les domaines d’activité en concurrence frontale avec les nationaux, d’acheter des terres afin de montrer qu’on s’établissait pour longtemps, etc.

Jusqu’à ce jour, la formule a permis aux quelque 3000 Libanais de se fondre dans le paysage. Les familles Omaïs (transport), Khoury (bois), Fadi (transport) emploient plusieurs centaines de personnes sans grand bruit. Néanmoins, certains se sont retrouvés au cœur d’affaires, se démarquant ainsi de la légendaire discrétion des anciens. Cela a été le cas pour Nassar Bouhadir, patron libanais de la société forestière Petra, opposé au ministre de l’Environnement, Sylvestre Naah Ondoua, dans l’affaire du « sanctuaire à gorille de Mengame ». Selon plusieurs chroniqueurs politiques, l’homme d’affaires serait directement à l’origine du limogeage de ce membre du gouvernement en 2002. Il en est de même de la famille Hazim, propriétaire de la quatrième compagnie forestière du pays épinglée par l’ONG Global Witness et poursuivie par l’État camerounais sur des soupçons d’exploitation illégale de la forêt.

Publié dans Afrique

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