USA. Une notion bien américaine : la race

Publié le par Un monde formidable

Une notion bien américaine : la race par Darryl Fears / The Washington Post (Source :  Le Courrier Internatinal . 17/10/02)

Le classement de la population par races a pour but de lutter contre les discriminations. C'est pourquoi certains, au sein de la communauté noire, redoutent la disparition de ces catégories

Lorsque les parents de Maya McDougall regardent leur fille, ils ne voient qu'un bout de chou avec les yeux en amande qui fait ses premiers pas dans le salon. Mais Meki Cox McDougall, d'origine noire et chinoise, et Chris McDougall, d'origine irlandaise et italienne, savent pertinemment que les autres ne portent pas le même regard sur leur fille. Ils se demandent si elle finira par être un jour entièrement acceptée dans un pays obsédé par la couleur de peau. Les résultats du recensement 2000 ont été plus que jamais l'occasion pour le pays de tenter de répondre aux complexes questions qui le taraudent : qu'est-ce que la race, et en quoi nous définit-elle ?

Le recensement 2000 permettait pour la première fois à la population de se définir comme appartenant à plus d'une race, et de choisir entre 126 catégories et combinaisons. Parmi celles-ci figurait celle qui correspond à la petite Maya : blanc, noir, amérindien et asiatique. Le classement par races accomplit plusieurs fonctions essentielles dans les Etats-Unis d'aujourd'hui : il permet de redessiner les circonscriptions, de distribuer les aides fédérales et de faire respecter les lois sur les droits civiques. Des mesures jugées fondamentales pour en finir avec les discriminations et assurer l'égalité des chances.


Au moment de remplir le questionnaire du recensement 2000, il y a deux ans, Meki Cox McDougall fut tentée de cocher toutes les cases et de déclarer sa fille et elle-même comme étant "multiraciales". Mais cette option n'était pas possible. Cédant à une revendication de longue date, le gouvernement fédéral a inclus la possibilité de choisir plus d'une race ; en revanche, il a rejeté la proposition visant à créer une catégorie "multiracial". Comme beaucoup d'autres personnes, Meki Cox McDougall en est arrivée à se demander si le gouvernement n'aurait pas intérêt à supprimer l'ensemble des questions portant sur la race. A leurs yeux, le fait d'enfermer les gens dans des catégories ne fait qu'aggraver les divisions raciales aux Etats-Unis. "Je dis souvent que ce n'est pas un problème racial qu'ont les Etats-Unis. C'est un problème de raisonnement", déclare Yehudi Webster, professeur de sociologie à l'Université de Californie de Los Angeles. Les Européens, explique-t-il, ont inventé les catégories raciales il y a plusieurs siècles, lorsqu'ils sont arrivés sur de nouveaux continents et qu'ils ont colonisé des peuples qui ne leur ressemblaient pas. Mais, depuis, ils se sont mélangés à ces gens, brouillant les frontières qu'eux-mêmes avaient tracées. "La plupart des anthropologues s'accordent à dire que la notion de race n'a aucun fondement, il y a trop de métissage", poursuit-il.


La couleur de peau reste toutefois un élément déterminant dans la société et la politique américaines, influant sur la manière dont les gens sont perçus sur leur lieu de travail, dans la rue, par la police et la justice. C'est pour cela que le classement de la population en races est nécessaire, estime Hilary Shelton, de la NAACP [l'Association nationale pour l'avancement des gens de couleur]. "La race, ce n'est pas une vue de l'esprit. C'est quelque chose de bien réel... Quand un automobiliste se fait arrêter en raison de son apparence, il y a toutes les chances pour que ce soit un Noir."


Que ce Noir ait la peau claire ou foncée, qu'il soit un immigré africain ou un Américain métis, ça n'a guère d'importance aux Etats-Unis, constate Ronald Walters, professeur de sciences politiques à l'Université du Maryland et africain-américain. "Soixante-dix pour cent de la population noire a du sang autre, surtout écossais, irlandais et amérindien. Pourtant, on nous définit comme noirs", dit-il.

La raison en est une invention purement américaine, connue sous le nom de théorie de la "seule goutte de sang" [one drop theory]. Dans son livre Who is Black ? One Nation's Definition [Qui est noir ? La définition d'une nation], le professeur F. James Davis, de l'université d'Etat de l'Illinois, rappelle que des gouverneurs de Virginie sont à l'origine de la théorie selon laquelle toute personne comptant une goutte de sang noir dans ses veines est noire.
 Pour bon nombre de militants africain-américains, la théorie de la "seule goutte de sang" a le mérite de la clarté. 

Aussi injuste qu'elle puisse paraître, elle a eu l'avantage d'accroître la population noire et de permettre la création d'une force politique menée à l'époque par des métis comme W.E.B. DuBois, Ralph Bunche, Booker T. Washington et Malcolm X. La communauté noire a appris à aimer toutes les nuances qui la caractérisent, pense F. James Davis, si bien que désormais "l'idée même de devoir changer représente une menace". La crainte est que la création d'un groupe "multiracial" ne fasse fondre la population noire, au moment même où la communauté latino devient numériquement aussi importante. C'est l'une des raisons pour lesquelles le débat suscite tant de remous au sein de la communauté noire.

Au coeur du débat se trouvent des gens comme Anette Hewlett, une femme noire à la peau claire qu'on prend souvent pour une blanche, et Elliott Lewis, un homme un peu plus foncé. Tous deux sont métis. Tous deux vivent à Washington. Mais ils se perçoivent de façon totalement différente. "J'ai coché la case 'noir', c'est ce que j'ai toujours fait", confie Anette Hewlett, urbaniste. "La société nous dit qu'il suffit d'une goutte de sang noir pour être noir. Que cela nous plaise ou non, c'est comme ça."
Quant à Elliott Lewis, journaliste de télévision indépendant, il explique : "Je n'adhère pas à cette théorie de la 'goutte de sang'. Je me rappelle parfaitement que, lorsque j'avais dix ans, certains de mes camarades noirs me traitaient de bâtard. Quand on vous assène ce genre de remarques dès votre enfance, vous en arrivez à vous demander quelle est votre place dans la société, confie M. Lewis. J'ai rencontré d'autres personnes métisses qui partageaient ce sentiment." Anette Hewlett s'est aussi sentie rejetée par les Noirs.

Histoire: 1790 Le premier recensement ne propose que trois catégories : "Blancs", "affranchis" et "esclaves". Population totale : 3,5 millions. Les Noirs représentent 19,3 % de la population, et neuf sur dix sont esclaves. 1860 Deux catégories sont ajoutées : "Amérindiens" et "Chinois", qui ne représentent que 1 % des 31 millions d'habitants. 1930 C'est l'année où la population est le moins diverse : 89,8 % des 123 millions d'habitants sont blancs. 1980 Introduction de la catégorie "Hispaniques". Ils représentent 11,5 % de la population. 2000 Avec 126 combinaisons possibles, le recensement est plus diversifié que jamais. Les Blancs non hispaniques représentent 69,1 % des 281 millions d'habitants.

Publié dans Métis

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