USA: "Le changement, c’est moi".

Publié le par unmondeformidable

USA: "Le changement, c’est moi". La gauche reste dans l’expectative par David Corn (The Washington Post. Source : le Courrier international du 15 au 21/01/09)

De nominations en nominations, le nouveau président s’est rapproché du centre. Ce qui suscite bien des inquiétudes dans le camp progressiste.

Plus ça change, plus c’est la même chose… En voyant les nominations du président élu Barack Obama, on est tenté de se demander si le conservatisme n’a pas triomphé du changement et les centristes des progressistes. Passons-les en revue rapidement. Hillary Clinton, qui apportait son soutien à la guerre en Irak jusqu’à ce qu’elle se présente à l’élection présidentielle, s’est vu attribuer le poste le plus prestigieux du cabinet : celui de secrétaire d’Etat. Robert Gates, ministre de la Défense au cours du second mandat de Bush, demeurera à son poste au sein de la nouvelle administration. La conseillère d’Obama en matière de politique étrangère, Susan E. Rice, considérée comme la plus progressiste de son cercle rapproché, a été choisie pour le poste d’ambassadrice aux Nations unies, à New York. Obama a certes élevé cette fonction au rang ministériel en l’intégrant à son cabinet, mais Susan Rice n’en sera pas moins quotidiennement éloignée de Washington. Or, en politique, c’est la proximité avec le pouvoir qui compte.

L’équipe économique d’Obama n’est pas particulièrement progressiste non plus. Lawrence H. Summer, qui s’était opposé, lorsqu’il était ministre des finances du président Clinton, à la réglementation des instruments financiers qui ont ouvert la voie à la crise des subprimes, va prendre la tête du Conseil économique national. Et comme ministre des Finances, Obama a choisi Timothy Geithner, l’ancien président de la Réserve fédérale de New York [qui a activement participé au plan de sauvetage des banques américaines pendant la crise financière].

Il n’est dès lors pas surprenant que de nombreux progressistes soient déçus, irrités, voire hystériques. Bien entendu, les nominations d’Obama sont synonymes de changement. Un changement net par rapport au statu quo impopulaire de Bush et Cheney. Mais ces nominations vont-elles dans le sens du changement que les progressistes – qui ont constitué une partie cruciale de la base politique d’Obama au cours de sa campagne – appellent de leurs vœux ?

Obama cherche peut-être à réussir un coup subtil : une sorte de libéralisme furtif drapé de centrisme bipartisan. On comprend fort bien que les progressistes soient inquiets. “Je me sens incroyablement frustré”, confie Chris Bowers, ­blogueur du site OpenLeft. “Même après deux victoires écrasantes consécutives, n’y aurait-il que deux équipes possibles pour gouverner notre nation : l’une exclusivement composée de républicains de droite, et l’autre d’un mélange centriste de démocrates et de républicains ?” Des journalistes de l’hebdomadaire The Nation ont décrit l’équipe de sécurité nationale d’Obama comme un nid de faucons. Ils ont dénoncé ses conseillers économiques comme étant des adeptes d’un “clintonisme recyclé” qui prônent “un respect néolibéral sans faille du marché”, et commenté le maintien de Robert Gates à son poste de ministre de la défense comme un “signe déprimant d’immobilisme”.

L’autre jour, deux fonctionnaires du ministère du Travail qui ont travaillé dur pour la campagne d’Obama m’ont transmis leur message au nouveau président : s’il vous plaît, donnez-nous David Bonior comme ministre du Travail. Cet ancien membre du Congrès était l’un des plus farouches opposants aux accords de libre-échange comme l’ALENA. “Ne mérite-t-on pas d’avoir notre mot à dire sur au moins une des nominations ?” commentait l’un d’eux [c’est finalement Hilda Solis qui a été nommée ministre du Travail par Obama].

Mon intuition est que le nouveau président a fait un calcul. En bâtissant son gouvernement, il a décidé de ne pas créer un contre-establishment (progressiste) à Washington. Il a plutôt choisi une formule bipartisane et centriste pour mettre en œuvre des politiques qui se situent, elles, plutôt à gauche. Lorsqu’on a demandé à Obama, au cours d’une conférence de presse, le 26 novembre dernier, si la nomination de vieux routiers de Washington indiquait que son administration n’allait pas faire peau neuve, il a répondu : “Ce que nous allons faire, c’est combiner l’expérience et les idées neuves. Mais vous devez comprendre d’où vient d’abord et avant tout la vision du changement. Elle émane de moi.” Son boulot, a-t-il ajouté, est de “s’assurer que… cette équipe mette en œuvre ses politiques”. En d’autres termes : le changement, c’est moi.

Les démonstrations d’ouverture d’Obama ne sont pas perçues par certains progressistes comme le changement qu’ils espéraient. Mais pour l’instant, il n’y a aucun signe de rébellion. Ils sont probablement plusieurs à retenir leur souffle et à attendre de voir si Obama est capable de prendre l’establishment en otage à des fins progressistes. Quant à moi, je n’ai pas encore la main sur ma fourche. Pendant la campagne, Obama et son équipe ont fait preuve de sens tactique et stratégique. Peut-être se montreront-ils aussi adroits une fois au pouvoir

Publié dans Obama

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