USA. La guerre des cartels mexicains franchit la frontière des Etats-Unis
La frontière mexicaine, nouveau front pour l'armée américaine (Source : Le Monde. Avec AFP et Reuters. 18.03.09)
La guerre des cartels mexicains débordant au Texas voisin, les Etats-Unis envisagent d'envoyer plus de troupes ou d'agents spécialisés dans la lutte contre la drogue à la frontière avec le Mexique. Lors d'une audition au Sénat, le général Victor Renuart, chef du commandement de la zone Amérique du Nord, a expliqué, mardi 17 mars, que toutes les composantes des forces de l'ordre et de l'armée seront probablement concernées. Les forces déployées à la frontière avec le Mexique ont d'ores et déjà recours à des méthodes utilisées en Irak et en Afghanistan, comme les drones capables de localiser les tunnels.
Une équipe formée de représentants de plusieurs agences gouvernementales s'est réunie cette semaine au département de la sécurité intérieure pour élaborer une stratégie afin d'épauler Mexico dans sa lutte contre les trafiquants de drogue, et étudie notamment la possibilité d'envoyer des renforts à leur frontière commune, longue de plus de 3 000 km, par laquelle les cartels fournissent en drogue les Etats-Unis, a-t-il déclaré lors d'une audition parlementaire. "Il existe clairement un besoin en hommes supplémentaires", a-t-il dit. L'équipe chargée de la stratégie "devra décider de la meilleure option, que ce soit l'envoi de gardes nationaux ou de forces de l'ordre supplémentaires", a-t-il ajouté.
Les cartels mexicains se battent pour le contrôle du trafic de drogue vers les Etats-Unis, premier client mondial de la cocaïne. Selon les autorités mexicaines, les violences liées au trafic de drogue ont provoqué la mort de plus de 5 300 personnes dans l'ensemble du pays en 2008, malgré les 36 000 militaires et policiers déployés contre eux depuis deux ans par le gouvernement. Le chef d'état-major général américain, l'amiral Mike Mullen, en visite au Mexique début mars, avait dit partager "le sérieux souci" causé par le crime organisé et les cartels de la drogue, et avait proposé d'accentuer la "coopération militaire" entre les deux pays.
La guerre des cartels mexicains franchit la frontière des Etats-Unis. Par Nicolas Bourcier. (Source : Le Monde. 24.03.09)
El Paso (Texas). « N'y allez pas. » D'emblée, l'injonction de Ramon Bracamontes prend des allures de mise en garde. Les mots, le ton de ce journaliste texan d'El Paso, enquêteur reconnu, calme et d'habitude souriant, en disent long sur le degré d'inquiétude qui prévaut de ce côté-ci de la frontière. Evoquer le Mexique et la ville d'en face, Ciudad Juarez, située juste de l'autre côté du Rio Grande et de son "rideau de fer", c'est prendre le risque de subir une logorrhée interminable de crimes et d'horreurs liés à la guerre des narcotrafiquants et leurs sicaires. "Moi-même, j'ai peur, insiste-t-il. Les autorités américaines au Mexique m'ont affirmé qu'elles ne pouvaient plus assurer la protection des ressortissants des Etats-Unis. Et de ce côté-ci, nous assistons, chaque jour un peu plus, au débordement de cette violence."
C'est dire l'importance de la première visite, prévue les mercredi 25 et jeudi 26 mars, de la secrétaire d'Etat Hillary Clinton au Mexique. Sa venue a été placée sous le signe de la lutte contre la drogue. Plus de 800 policiers et militaires y ont été tués depuis décembre 2006. Quelque 6 000 assassinats y ont été recensés l'année dernière (le double de 2007). Avant Noël, les autorités ont découvert dans la petite ville de Chilpancingo, enveloppées dans des sacs en plastique, huit têtes décapitées de soldats puis trois autres dans une glacière à Ciudad Juarez en janvier. Quelques jours plus tard, c'était au tour du responsable de la police locale de démissionner sous la pression des cartels de la drogue. Le maire de la ville frontière, lui, a fini par s'installer avec sa famille en face, à El Paso.
Déjà, en décembre 2006, lors de son élection, le président mexicain, Felipe Calderon, avait admis que "le crime organisé était devenu hors de contrôle". Depuis, le chef de l'Etat, conservateur et partisan d'une stratégie musclée contre le crime organisé, a déployé sur le territoire 45 000 soldats contre les gangs des narcotrafiquants, dont près de 5 000, cagoulés de noir et lourdement armés, pour la seule ville de Ciudad Juarez. Les arrestations se sont multipliées - souvent de façon arbitraire, d'après les organisations de défense des droits de l'homme. Les règlements de compte dans les prisons ont atteint de nouveaux sommets. Tout comme les attaques contre des domiciles, les extorsions, les saisies de cocaïne, les prises d'otages et les meurtres avec plus de 1 100 homicides pour les seules huit premières semaines de l'année. Les autorités mexicaines assurent que le pouvoir central est en train de gagner. A les en croire, l'explosion de violence serait paradoxalement le fruit des efforts de l'Etat pour désorganiser le trafic de drogue. En novembre 2008, Noe Ramirez, le procureur en charge de l'unité spécialisée dans le crime organisé, n'a-t-il pas été inculpé pour avoir fourni des informations au cartel de Sinaloa contre un demi-million de dollars par mois ? Et Francisco Velasco Delgado, le chef de la police de Cancun, arrêté pour avoir protégé le cartel dit du Golfe, commanditaire présumé de l'assassinat en janvier d'un général ?
Pour Washington, l'effort reste insuffisant. Rendu public il y a quelques semaines, un document du Pentagone concluait que deux grands pays pouvaient connaître un effondrement rapide de l'Etat : le Pakistan et, précisément, le voisin mexicain. Un avis rejeté fermement par Mexico, mais alimenté depuis par de nombreuses voix. Barry McCaffrey, général à la retraite et "M. Drogue" de Bill Clinton, affirme que les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d'avoir "un narco-Etat à leur porte", ajoutant que "les dangers et les problèmes croissants du Mexique menacent la sécurité nationale de notre pays". Déjà, l'Arizona subit une hausse alarmante de la criminalité. Selon différentes sources, l'Etat frontalier serait devenu la principale plaque tournante nord-américaine de l'immigration illégale et du narcotrafic. Ailleurs, sur l'ensemble du territoire, les cartels mexicains contrôleraient la plupart du marché, d'après un rapport du Centre national de renseignement des drogues. Liés aux gangs américains, ils seraient parvenus à s'implanter dans 230 villes des Etats-Unis.
C'est dans ce contexte que le général Victor Renuart, le chef du commandement de la zone Amérique du Nord, a expliqué, lors d'une audition au Sénat, le 17 mars, que Washington envisageait d'envoyer plus de troupes ou d'agents spécialisés à la frontière. Selon lui, toutes les composantes des forces de l'ordre et de l'armée seront probablement concernées dans ce combat sans pour autant donner une estimation chiffrée des besoins. Deux semaines auparavant, Rick Perry, le gouverneur républicain du Texas, avait exigé l'envoi de 1 000 hommes supplémentaires. "Je me fiche de savoir s'il s'agit de militaires, de gardes nationaux ou d'agents des douanes, a-t-il lâché. Nous sommes très préoccupés par le fait que le gouvernement fédéral ne s'occupe pas de la sécurité à la frontière de façon adéquate." Une équipe formée de représentants de plusieurs agences gouvernementales s'est réunie la semaine dernière afin d'épauler Mexico. Une initiative qui fait suite au déjeuner, le 12 janvier à Washington, entre Barack Obama et le président mexicain. D'après l'hebdomadaire The Economist, citant des sources mexicaines, M. Calderon aurait proposé un "partenariat stratégique" et la mise en place rapide d'un groupe binational d'experts afin d'améliorer la coopération entre les deux pays.
Devant l'éventualité d'une nouvelle militarisation de la frontière, le président mexicain a exhorté, il y a quelques jours, Washington à surveiller, de son côté, plus étroitement ses importations d'armes et leur vente aux particuliers. Il a demandé des contrôles plus stricts à la frontière d'où les cartels reçoivent leur arsenal et des millions de dollars en espèces en provenance des Etats-Unis. Après Hillary Clinton, le président américain effectuera à son tour une visite officielle, les 16 et 17 avril, au Mexique. La première en Amérique latine depuis son accession à la Maison Blanche.
Des liens très denses:
La frontière : 3 200 kilomètres de long ; 14 villes jumelles de part et d'autre de la frontière, des centaines de lignes aériennes. Quelque 5,5 millions d'Américains passent au Mexique chaque année, dont la moitié vers les plages de Cancun.
Les échanges : Plus de 85 % des exportations mexicaines sont destinées aux Etats-Unis qui assurent 75 % des importations du pays.
Les trafics : Entre 75 % et 90 % des armes utilisées par les narcos proviennent des Etats-Unis. Plus des deux tiers de la drogue y arriverait par le Mexique.
L'initiative Merida. Signé en 2008, ce plan prévoit 1,4 milliard de dollars d'aide pour lutter contre l'insécurité au Mexique. Pour nombre d'élus nord-américains, elle est insuffisante.