USA. Avec les Marines, en préparant l’Afghanistan
Avec les Marines, en préparant l’Afghanistan par Luis Lema, Envoyé spécial à Quantico. (Le temps 10/06/2009)
Dans l’immense base de Quantico, en Virginie, les officiers suivent un entraînement poussé avant d’aller au front. Rencontres
Ils se sont nichés dans les deux immeubles de la rue principale. Par les fenêtres, on voit pointer le bout de leurs fusils automatiques, desquels partent de plus en plus souvent des rafales continues. Aujourd’hui, il n’y a pas eu besoin de discuter avec les chefs du village ou avec le «cheik» pour obtenir les redditions. Nul besoin, pour reprendre le jargon, de «prendre en compte les considérations civiles». Tous les civils ont fui. Le peloton de 50 hommes, soutenu par des salves de mortier, peut lancer l’attaque. Pour tuer ou être tué.
Dans la base militaire de Quantico, en Virginie, les officiers du corps des Marines se préparent activement à la guerre. Le gros des renforts décidés par Barack Obama en Afghanistan sera constitué de ces troupes d’élite, dont le seul nom suffit à évoquer la détermination et le professionnalisme de l’armée US. The few, the proud, the Marines (les élus, les fiers, les Marines), disent les publicités martiales qui entrecoupent tous les événements sportifs à la télévision. Le nombre d’inscrits est en augmentation constante, depuis que les attentats du 11 septembre 2001 avaient déjà servi à multiplier les vocations. Et sur cette base gigantesque de plus de 300 km²(plus grande que le canton de Genève), les officiers qui les encadreront bientôt piaffent d’impatience.
«La blague, ici, c’est de se dire qu’on sera envoyés en Irak pour faire la circulation», rigole Robert Shuford, 32 ans, dans sa tenue de camouflage. En Irak, le capitaine a déjà passé presque deux ans, jusqu’en 2006. «Entre cette époque et maintenant, c’est le jour et la nuit», glisse-t-il en avouant qu’il rêve aujourd’hui de partir pour les montagnes afghanes afin de mettre enfin en pratique l’entraînement poussé qu’il subit ici. Ses deux parents sont des Marines, désormais à la retraite en Caroline du Nord. Et les deux parents de son père l’étaient aussi. «C’est quelque chose que nous avons dans le sang, je pense.»
A Quantico, plus personne ne s’étonne de croiser des «cheiks» en longue tunique de laine, des insurgés irakiens ou des civils paniqués. Le recours à ces figurants a accompagné les changements de tactique et d’entraînement, désormais autant axés sur la manière de combattre une insurrection, de rendre efficace un barrage sur une route ou de dialoguer avec la population locale, que sur le développement d’une guerre conventionnelle. «Nous mettons beaucoup d’emphase sur la compréhension des autres cultures», souligne le lieutenant-colonel Joe Shusko, qui dirige le programme d’arts martiaux auquel doivent participer tous les Marines. Mais il prévient: «Notre but reste de leur montrer comment tuer.»
Au terme d’une bataille acharnée, les fumigènes se dissipent sur la petite ville reconquise aux insurgés. Les Marines n’ont eu à subir que la perte d’un seul homme, touché au cœur par une balle colorante. Et Prescott Paulin, qui a fait ses études en business à l’Université de l’Arizona, explique: «C’est le moment parfait pour intégrer les Marines pendant quelques années. Mon frère, qui vient de sortir du collège, est au chômage. Mais moi, j’ai le luxe d’avoir un emploi stable payé par le gouvernement.» Dans quatre ans, lorsqu’il s’agira ou non de renouveler son contrat, Prescott Paulin réintégrera sans doute la vie civile, muni de cette expérience prestigieuse. D’ici là, comme ses camarades, il peut compter sur un salaire de quelque 50 000 dollars par année, et de toute une série de compensations en matière notamment de couverture santé.
Lorsqu’ils sont déployés à l’étranger, les Marines sont en outre exemptés d’impôts. Des considérations financières qui, en pleine récession, jouent un rôle de premier plan. Mais auxquelles Prescott Paulin ajoute encore celle-ci: «Lorsque je serai revenu d’Afghanistan ou d’ailleurs, j’aurai fait ma part pour défendre mon pays. Je pourrai alors me consacrer à mon propre business la conscience claire, sans rien devoir à personne.»
Bien qu’ils ne parlent pas politique («Nous sommes prêts à aller là où on nous envoie sans discuter»), les officiers concèdent qu’un frisson de désapprobation a parcouru les rangs lors de l’élection de Barack Obama., avant qu’ils soient rassurés par la volonté affichée du président de «poursuivre le travail» en Afghanistan. «Nous avions peur qu’il se montre mou et qu’il décide de poser les armes», explique un lieutenant en second qui a fait plusieurs années au sein de l’US Air Force avant de rejoindre récemment les Marines pour, dit-il, «être plus dans l’action».
Les officiers se sont maintenant regroupés dans une clairière pour disséquer l’assaut qu’ils viennent d’entreprendre. Plusieurs d’entre eux notent consciencieusement les remarques de leurs supérieurs sur de petits carnets. «Ici, ce n’est pas tout de prendre un immeuble par les armes. On nous apprend aussi à nous comporter correctement avec des civils et à respecter l’image des Marines», assure Manuel Nin, originaire de la République dominicaine. Pour lui, cet engagement est aussi un travail qui lui permettra, plus tard, de payer son loyer et ses factures d’électricité ainsi que de fonder une famille. Mais d’ici là, c’est surtout un motif de fierté: «Quand je raconte mes histoires dans le quartier, à Saint-Domingue, mes copains n’en reviennent pas. Tu es vraiment un Marine? Comme dans les films?»