Un bâtard américain

Publié le par Un monde formidable

Un bâtard américain. Par Jérôme Charyn. Traduit de l'américain par Jeanne Guyon. (Le Point 02/04/2009)

La « couleur » d'Obama sera bientôt dominante aux Etats-Unis

Des comme lui, c'est du jamais-vu. Considérer Obama comme le premier président « noir », c'est passer à côté de ce qu'il est et de ce qu'il est devenu. Il incarne par le geste, par la parole, l'émergence d'une nouvelle Amérique qui ne privilégie aucune race particulière. Obama est un métis venu de nulle part. Fils d'un prince kenyan prolétaire et d'une mère blanche issue de l'Amérique profonde, il est né à Hawaii, terre de métissage où les Blancs sont eux-mêmes une minorité, et une peau non blanche comme la sienne sera bientôt la « couleur » dominante aux Etats-Unis. Les Blancs sont sur le déclin, sur la terre de Lincoln, de Jefferson et de George W. Bush. Il est à cet égard significatif qu'Obama n'ait pas mentionné Lincoln dans son discours d'investiture ; il ne nous a pas non plus rebattu les oreilles avec le racisme et la scandaleuse injustice dont furent victimes les Noirs américains.

A l'instar de George Washington, il est lui aussi un père fondateur, mais il appartient au XXIe siècle, où un mélange d'Asiatiques, de Latinos, d'Antillais, d'hindous, de musulmans et de juifs-des bâtards comme lui-ont défini une nouvelle culture. Le drame de « W » et de ses cadres républicains blancs, c'est de ne pas avoir vu la révolution en train de se faire sous leur nez, dont l'avatar est Obama lui-même. Il n'est ni postcolonial, ni post quoi que ce soit. Il existe en dehors de tout dogme. Il n'a pas non plus repris à son compte les platitudes du Rêve américain et du pauvre petit garçon noir qui sort de la Harvard Law School pour devenir un gourou de Wall Street ou un avocat d'affaires multimillionnaire. Obama a tourné le dos au monde des affaires et de l'université en faveur de l'engagement social dans les pires ghettos de Chicago. Et ce sont ses qualités de tacticien sur le champ de bataille qui ont permis au général Obama de vaincre John McCain et la machine de guerre républicaine.

Il n'a pas vraiment changé d'approche depuis qu'il est président des Etats-Unis. Il est audacieux, intrépide, prêt à opérer un repli tactique en cas de nécessité. Il ne ressemble à aucun autre président, ni à Lincoln ni à Roosevelt ; c'est d'un général comme Washington qu'il semble le plus proche, quand celui-ci était à la tête d'une bande de fermiers qui combattaient le roi George III et la plus puissante armée du monde. Washington a mené une guerre tactique, battant le plus souvent en retraite sur son cheval blanc ; bien que dépourvu de véritable armée, il a su maintenir la cohésion de la jeune nation qui luttait pour affirmer son existence, et cela par la seule force de ses convictions. En sept années de guerre, Washington n'a jamais pris la moindre permission ; il vivait aux côtés de ses hommes, il jeûnait avec eux et se transformait même en brigand pour leur procurer vêtements et nourriture. Tel est le pays imaginaire et réel où a pénétré Obama au début de son mandat. Lui aussi est un « brigand ». En cette époque périlleuse et incertaine, il a dû apprendre à marcher sur la corde raide, à trouver le juste équilibre entre prudence et témérité. Il est notre général en chef et, en tant que tel, il doit savoir quand donner l'assaut et quand se replier face à cet étrange incendie qui a consumé nos richesses et anéanti nos forces vitales.

Obama a hérité de problèmes auxquels aucun président n'a jamais été confronté, pas même Roosevelt, des problèmes causés par une culture de la cupidité, avec des gangsters de la finance qui opèrent sans contrôle, conduisent leurs entreprises au bord de la faillite et s'attendent à toucher des bonus en récompense des milliards de pertes qu'ils ont occasionnées. Obama ne parviendra peut-être pas à rabaisser leur orgueil, mais au moins a-t-il contrecarré leur trajectoire toxique. Il a compris que les banques et les agences de courtage ne pourront pas soigner le mal dont souffre l'Amérique, même si elles redevenaient solvables.

Ce qu'Obama doit faire, c'est redonner vie à une classe moyenne endettée jusqu'au cou. Il lui faudra aussi résoudre l'équation de l'assurance-maladie, dont les coûts explosent, ce qui explique que les Américains aient l'un des taux de mortalité les plus élevés en Occident. Il devra révolutionner un système éducatif qui récompense les plus mauvais enseignants et n'empêche pas de nombreux jeunes d'abandonner l'école. Obama n'a pas promis de panser les plaies.

Pareil à un capitaine Achab tranquille et bienveillant, il a accepté la confrontation avec la Baleine blanche, s'attaquant à une foule de chantiers à la fois, tout en sachant que les réponses ne viendront peut-être pas pendant son mandat, ni même de son vivant. Mais il sait aussi que, sans un virage à 180 degrés, l'Amérique risque de ne pas survivre. Et, en bon gestionnaire, il est prêt à prendre des risques, à parier sur l'avenir

Publié dans Obama

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article