Suisse. Où il est question résistance, de libre circulation et de la victoire de trois femmes
Libre circulation: c'est "Oui" à 59,6%. LeMatin.ch & les agences. 08 février 2009
Les Suisses ont de nouveau confirmé la voie bilatérale avec Bruxelles. Ils ont accepté dimanche, par 59,6 % des voix, la reconduction de la libre circulation des personnes et son extension à la Bulgarie et la Roumanie. Malgré sa netteté au final, ce résultat n'était pas acquis d'avance vu les réticences à l'égard des deux nouveaux membres de l'Union européenne (UE) et la conjoncture difficile. Un peu plus de 1,51 million de citoyens ont suivi le Conseil fédéral, l'économie et la majorité des partis. Les opposants, UDC en tête, ont obtenu environ 1,02 million de suffrages.
Vingt-deux cantons ont dit "oui", de surcroît sans rideau de rösti entre les deux côtés de la Sarine. La palme revient aux Vaudois, avec 70,2 % d'avis positifs. Cela avait déjà été le cas lors du vote de 2000 sur les premières bilatérales, mais avec un taux d'acceptation de 80 % à l'époque. La deuxième place est occupée par Neuchâtel (69,4 %). Suivent le Jura (66,9 %) et Bâle-Ville (66,8 %).
La poursuite et l'extension de la libre circulation à Bucarest et Sofia ont aussi trouvé grâce aux yeux des Fribourgeois (64,5 %), des Bernois (62,9 %) et des Genevois (62,4 %). A l'instar de la majorité des cantons alémaniques, le Valais (59,6 %) est en dessous des 60 %. Après avoir refusé la précédente ouverture à l'Est en 2005, Nidwald, Uri et Obwald sont de nouveau dans le camp des europhiles, mais leur enthousiasme reste modéré (50,3 %, 51,8 % et 52,3 %). La barre des 55 % n'a pas non plus été franchie à Schaffhouse (54,3 %).
Un "non" est sorti des urnes dans quatre cantons. Comme pour tous les scrutins européens, les Tessinois ont posé leur veto, à 65,8 % des voix. Idem, mais sur des scores moins nets, de Schwyz (56,6 %), Appenzelle Rhodes-Intérieures (53,4 %) et Glaris (51 %).
L'extension de la libre circulation à la Roumanie et la Bulgarie pourrait entrer en vigueur au plus tôt le 1er avril. Le régime transitoire de sept ans prévu démarrera une fois que le processus de ratification sera achevé, a indiqué dimanche Eveline Widmer-Schlumpf. Comme ses collègues Doris Leuthard et Micheline Calmy-Rey, la ministre de la justice s'est félicitée devant les médias du résultat positif sorti des urnes. La cheffe de la diplomatie s'est dite "très fière d'être suisse ce soir", la Suisse étant le seul pays à avoir approuvé tous les scutins européens alors même qu'elle n'est pas membre de l'UE. Mme Calmy-Rey s'est aussi réjouie de voir que le "oui" a atteint près de 60 %. Ce vote augmente l'acceptabilité de la voie bilatérale avec Bruxelles, puisque le score n'était pas aussi élevé lors des derniers scrutins, selon elle.
De sang-froid. Ariane Dayer. Le Matin. CH ; 08 février 2009
Ça n'a pas été le cas et le soulagement est immense. La fierté l'est aussi: en acceptant la reconduction et l'extension des accords bilatéraux avec l'Union européenne, la population suisse a refusé de jouer avec les allumettes de la xénophobie. Elle a fait preuve, ce dimanche, d'un sang-froid et d'une maturité exemplaires. Une rationalité magnifique, mais qui a sa contrepartie: en matière européenne, les Suisses restent sur le plan intellectuel ou comptable, ils n'engagent pas le coeur.
C'est bien là le sens exact du vote d'hier: un plébiscite pour la voie bilatérale. Et rien qu'elle. Nous n'irons jamais vers l'Europe par amour d'un projet politique et culturel. Nous n'en approcherons qu'en dressant l'addition de nos intérêts sectoriels. Un jour, peut-être, nous aurons tellement accumulé d'accords bilatéraux que nous serons devenus membres sans nous en être aperçus.
Certains se diront alors que l'important était d'y arriver. D'autres, qu'ils auraient préféré se prononcer en toute conscience. Et qu'on n'est pas vraiment acteur de l'histoire lorsqu'on se contente de la subir. En Suisse, ceux qui rêvent d'Europe se sont habitués au processus: ne plus rien revendiquer pour ne braquer personne, trembler certains dimanches d'angoisse, puis soupirer, recommencer à se taire. Et se résoudre à ce mot affreux, mais seul admis: les bilatérales.
Le triomphe de trois femmes. Par Viviane Menétrey et Fabian Muhieddine - . Le Matin. CH. 08 février 2009
«Je... enfin, plutôt nous nous réjouissons du résultat.» Lapsus révélateur d'Eveline Widmer-Schlumpf. Pour la première fois de l'histoire suisse, trois femmes ont remporté une votation. Et même si la conseillère fédérale grisonne refuse d'imputer le triomphe à cette union, c'est bien vers ses deux collègues féminines qu'elle s'est tournée, tout sourire, pour corriger sa phrase. La magie d'un trio Il est vrai que tout au long de la dure campagne, Micheline Calmy-Rey, Eveline Widmer-Schlumpf et Doris Leuthard étaient incontournables. Et leurs arguments bien affûtés. Hier, pourtant, les conseillères fédérales avaient le succès modeste. La victoire de trois femmes? «Je ne sais pas. J'ai tout entendu à ce sujet», répond Micheline Calmy-Rey.
Cependant, le oui des Suisses a été net, alors que tous les sondages prévoyaient un résultat beaucoup plus serré. Seule explication: la magie de ce trio a bel et bien opéré.
Le pari était pourtant loin d'être gagné. Les trois conseillères fédérales défendent les intérêts différents, non seulement de trois départements, mais surtout de trois tendances politiques. «Elles ont fait preuve de cohésion: le sujet a été plus important que leurs différences», constate le Vert genevois Antonio Hodgers. Et puis, poursuit la conseillère nationale libérale Martine Brunschwig Graf, «chacune a occupé son propre terrain, et là, elles ont été complémentaires». Jacqueline de Quattro partage cette analyse. Pour la conseillère d'Etat vaudoise: «Elles ont su réunir leurs sensibilités, et cette solidarité a été bien perçue.»
«Un gage de sécurité» Solidaires, soit. Mais on a tout de même du mal à imaginer trois hommes du Conseil fédéral relever le même défi. La victoire d'hier est bien celle de trois femmes. «Oui, répond la socialiste Géraldine Savary. Aujourd'hui, les femmes sont un gage de sécurité et de sincérité, car on se rend compte qu'elles ne sont pas fautives dans la crise financière que traverse le monde.» Antonio Hodgers confirme: «Quand une femme mène campagne, c'est un engagement de sincérité. Ça tient à la façon de présenter les choses.»
La popularité et le charme Mais les trois conseillères fédérales ont un autre avantage sur leurs collègues masculins: la popularité. «Evidemment que cela a influencé le résultat, commente le président du Parti socialiste suisse, Christian Levrat. Ce n'est pas un Christoph Blocher en fin de course qui aurait gagné. Elles étaient très engagées. Dans certaines régions, elles ont fait trois meetings en une semaine.» Et Christophe Darbellay de renchérir: «Quand elles parlent, on les croit. Les gens savent qu'elles ont les pieds sur terre.» Fulvio Pelli, le président du Parti radical, nuance: «Oui, trois femmes, c'est original. Mais les Suisses votent avant tout pour les idées.» Vraiment? Yvan Perrin n'en est pas si sûr. Hier, le vice-président de l'UDC était dans le camp des grands perdants. Et pourtant. Il parlait d'«un trio de charme». Même s'il ne peut s'empêcher d'ajouter: «Un trio de charme qui a forcé la main des Suisses.»