Suisse. Les défenseurs des sans-papiers dans le collimateur
Les défenseurs des sans-papiers dans le collimateur par Etonam Akakpo-Ahianyo (Syfia Suisse) 07-08-2009
En Suisse, défendre la cause des sans-papiers est de moins en moins facile. Associations et particuliers, bien que soumis aux pressions des autorités, ne se découragent pas. Les "anges gardiens" veillent sur les migrants.
Assis devant une tasse de café à moitié vide, Lionel Roche, vice-président du Centre de contact Suisses-immigrés (CCSI), une association de défense des sans-papiers de Fribourg (30 km au sud-ouest de Berne), ne décolère pas : "La commune a supprimé sans aucun motif, depuis février 2009, la subvention de 15 000 Francs suisses (10 000 €) qu’elle nous accordait. C’est fâcheux que les autorités cherchent à fragiliser de la sorte notre lutte en faveur des sans-papiers." Ces propos résument le sentiment de la plupart des associations de défense des droits des migrants, estimées à une centaine dans ce pays.
En Suisse, défendre la cause des sans-papiers n’est pas aisé. Leurs défenseurs racontent souvent dans les médias leurs mésaventures et dénoncent la répression qui s’abat sur eux depuis plus d’une décennie. Sous le titre "Les militants se disent victimes du zèle policier", le quotidien suisse Le Courrier, évoquait, par exemple, dans son édition du 26 mars 2009; les déboires de Nanda Ingrosso et de Jean-Michel Dolivo, deux personnalités engagées dans la défense des immigrés à Lausanne (100 km au sud ouest de Berne, la capitale). Accusés d’être les instigateurs d’une marche non autorisée, en décembre 2008, ils ont écopé chacun d’une amende de 210 CHF (133 €). S’estimant victimes d’une injustice, ils ont publiquement dénoncé ces condamnations abusives et l’application de plus en plus tatillonne des règlements de police.
Pour avoir découvert des affiches de l’ONG Solidarité sans frontières (SSF), appelant à manifester, collées par des inconnus à un emplacement non autorisé, Graziella de Coulon, la coprésidente de SSF a été condamnée en août 2008 à une amende de plus de 225 €. "Visiblement, on nous accuse d’avoir du cœur", déclare sœur Marie-Thérèse Grigoletto, de Point d’ancrage, une association catholique protectrice des pauvres. Pour cette religieuse de 60 ans, du groupe Église-migrants, il est de plus en plus dur de porter assistance à ceux qui sollicitent de l'aide.
En Suisse, les membres des associations de défense des clandestins, que certains surnomment "anges gardiens" ou "protecteurs", œuvrent pour améliorer le triste sort des immigrés. "Après avoir surmonté des difficultés dans notre pays d’origine, la galère continue ici ! On nous bloque avec des barrières administratives, juridiques et professionnelles", déclarait en septembre 2008, le président du Collectif des immigrés du canton de Fribourg lors d’une manifestation nationale intitulée "Droit de rester pour tous". Pour le prêtre catholique, Jean Pierre Barbey de Point d’ancrage, les sans-papiers et leurs défenseurs sont victimes de politiques migratoires, devenues de plus en plus contraignantes un peu partout en Europe. Ces dernières années, la Suisse a procédé à plusieurs révisions de ses lois sur l’asile et le séjour des étrangers. La dernière version de 2007 réduit les possibilités d'accès à l’aide sociale et durcit les conditions de séjour. Elle renforce aussi les conditions d'exécution immédiate du renvoi.
Selon les estimations de plusieurs Ong, environ 90 000 à 250 000 étrangers vivent en Suisse sans titre de séjour. Les associations de défense des immigrés fournissent gratuitement une assistance juridique à ceux qui sont en difficulté. Elles les conseillent et les aident en leur offrant des repas en cas de besoin. Elles sensibilisent aussi l'opinion en organisant des marches et des sit-in. Grâce à l'occupation durant 82 jours de l’église catholique Saint-Paul de Fribourg, le CCSI a pu obtenir des autorités la reconsidération d’une quarantaine de dossiers qui avaient été rejetés.
L’acharnement des autorités suisses sur les défenseurs des droits des migrants n’a pas laissé insensibles les sans-papiers qui, depuis 2008, se sont organisés en association. Selon le Togolais Yao B. (un requérant d’asile débouté de Fribourg), ce collectif autonome "nous permettra de consolider nos bases et de venir en appui aux associations déjà existantes pour mieux exposer nos problèmes".
Les associations ne baissent pas les bras. "Nous continuerons, malgré les difficultés, notre combat en faveur des sans-papiers", assure Lionel Roche, du CCSI. L’association s’apprête à réclamer d’ici décembre la régularisation d’une centaine d'entre eux. En attendant, les défenseurs des migrants sont mobilisés autour du cas de Mirta Palma, une Équatorienne de 53 ans, sommée de quitter la Suisse d’ici le 15 septembre prochain après avoir eu la jambe broyée dans un accident de voiture. "En général, nous restons tranquilles et discrets, déclarait, mi-juillet, un sans-papiers au journal Le Matin. Mais là, nous allons nous battre pour que Mirta reste en Suisse." Les "anges gardiens" des sans-papiers sont toujours mobilisés.