Sri Lanka. L’armée a-t-elle exécuté le chef des rebelles tamouls?
Sri Lanka. L’armée a-t-elle exécuté le chef des rebelles tamouls? Par Vanessa Dougnac (Le Temps. 26 mai 2009)
Sans témoignage indépendant, difficile de savoir comment est mort Velupillai Prabhakaran. Acculés, les leaders des Tigres avaient demandé de négocier, puis se seraient rendus
Au sein de la diaspora tamoule, grande était la tentation de croire que Velupillai Prabhakaran, le chef des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), avait réchappé à l’assaut final livré par la victorieuse armée sri lankaise. Et cela malgré l’annonce de sa mort, le 18 mai, et les images de son cadavre exhibé par les soldats cinghalais, sur le champ de bataille, au nord du Sri Lanka.
Dimanche, Selvarajah Pathmanathan, chef de la diplomatie des Tigres, a admis depuis l’étranger que «notre incomparable dirigeant et commandant suprême des LTTE a atteint le martyre, le 17 mai.» Sans mentionner les conditions du décès. La zone étant verrouillée par l’armée cinghalaise, il n’existe aucun témoignage indépendant. Et une semaine après les faits, les circonstances de la fin des Tigres gardent bien des ombres.
Au plus fort des combats, Colombo avait rejeté tous les appels à un cessez-le-feu ainsi que les demandes des Nations unies pour obtenir un accès humanitaire aux milliers de civils piégés par le conflit. De leur côté, les rebelles refusaient la reddition et exigeaient l’intervention d’un parti tiers pour mener des négociations avec Colombo. Mais peu avant leur fin, les Tigres désespérés auraient souhaité se rendre. Selvarajah Pathmanathan aurait communiqué la demande à des officiels le vendredi 15 mai. «Les LTTE ont décidé de se rendre un peu trop tard», a déclaré ultérieurement Palitha Kohona, secrétaire des Affaires étrangères. Le dimanche soir, les Tigres abandonnaient le combat. La journaliste Marie Colvin, du Sunday Times, affirme avoir reçu un ultime appel du front, provenant de Balasingham Nadesam, le chef politique des Tigres. Celui-ci aurait demandé une sécurité pour sa reddition ainsi que pour celle de Seevaratnam Puleedevan, secrétaire à la Paix. La journaliste aurait relayé le message à un dignitaire des Nations unies, et aurait reçu l’assurance que Colombo recueillerait les rebelles s’ils se manifestaient avec un drapeau blanc. Mais le lundi soir, les deux cadavres étaient retrouvés sur le champ de bataille. Version officielle: ils auraient été abattus par leurs propres camarades déterminés à mourir au combat.
Ce même jour, l’armée annonce que Prabhakaran a été tué en fuyant dans une ambulance. «Cette histoire est fausse», commente Vinayagamoorthy Muralitharan, alias colonel Karuna, ancien compagnon de Prabhakaran devenu ministre au sein du gouvernement. Ce n’est que le lendemain que le cadavre du chef des rebelles est découvert. «Le corps de Prabhakaran est parmi les 300 cadavres de terroristes que nous avons récupérés, déclare le secrétaire à la Défense, Gotabhaya Rajapaksa, frère du président Mahinda Rajapaksa. Vinayagamoorthy Muralitharan est alors chargé d’identifier le corps. «Je l’ai reconnu, il n’y a aucun doute, a-t-il dit la semaine dernière. J’ai passé tant d’années à ses côtés…» Après l’identification, l’ancien compagnon est ému, mentionnant aux journalistes les cadavres de la famille de Prabhakaran: sa femme, son jeune fils et sa fille. Mais hier, peut-être sous pression de l’armée, il dément: «Ces corps n’ont jamais été retrouvés. Et Prabhakaran était un lâche: il a voulu fuir alors qu’il avait juré de se suicider en cas de capture.»
A Colombo, sous le couvert de l’anonymat, circule une autre version: «Prabhakharan a été capturé par l’armée le vendredi, puis exécuté le lundi.» Vinayagamoorthy Muralitharan secoue la tête: «Je ne sais pas s’il a été exécuté. Je sais seulement que son front avait un impact de balle.» Prabhakaran a certes emporté avec lui le secret de ses dernières heures et, peut-être, l’image de son peuple tamoul qu’il voulait tant «libérer» mais qu’il aura sacrifié.