Sierra Leone. Le cas Addax Bioenergy
Le cas Addax Bioenergy par Joan Baxter (Le Monde Diplomatique. Janvier 2010)
Répartis dans vingt-cinq villages du centre de la Sierra Leone, de petits exploitants agricoles produisent leurs propres semences et cultivent du riz, du manioc et des légumes. Adama, qui est en train de planter du manioc, assure que les revenus qu’elle tire de ses récoltes lui permettent de subvenir aux besoins de son mari paralysé et d’acquitter les frais de scolarité de ses trois enfants. Charles, qui revient des champs et rentre chez lui dans la chaleur de la fin d’après-midi, peut envoyer ses trois gamins à l’école grâce au produit de sa petite ferme.
L’année prochaine, la majeure partie de ces agriculteurs ne pourront plus cultiver leurs terres. La société suisse Addax Bioenergy a obtenu du gouvernement une concession d’environ 20000 hectares pour cultiver la canne à sucre en vue de produire de l’éthanol pour les marchés européens. Le projet est soutenu par la Banque européenne d’investissement et la Banque africaine de développement. Trois baux supplémentaires sont en cours de négociation pour l’implantation de palmeraies géantes. Ceci dans un pays en lutte pour sa sécurité alimentaire après onze années d’une guerre civile qui n’a pris fin qu’en 2002. L’étude de faisabilité du projet Addax fait mention de machines industrielles, de camions et de pulvérisateurs à herbicides. Elle évoque également l’utilisation de fongicides, de pesticides et d’engrais chimiques. Cependant, les petits exploitants locaux ne semblent pas bien informés. Adama ne sait pas encore qu’elle va bientôt perdre les champs de manioc et de poivre qu’elle cultive sur les hautes terres. Cette zone a en effet été choisie par Addax pour sa plantation de canne à sucre en raison de la proximité de la rivière Rokel, l’une des plus importantes de Sierra Leone. L’étude n’évalue pas la quantité d’eau qu’il faudra pomper pour l’irrigation et ne précise pas le sort des eaux polluées.
Le député de la région, M. Martin Bangura, a été recruté par le puissant homme d’affaires sierra-léonais Vincent Kanu, partenaire d’Addax, pour « informer » les populations locales. Selon lui, il y aurait quatre mille emplois à la clé. Des propos pourtant démentis par une étude d’impact (1), qui précise que seuls deux mille deux cents emplois seront permanents. Les autres seront des emplois saisonniers. A l’heure actuelle, la société Addax a engagé cinquante personnes pour veiller sur les jeunes pousses de canne à sucre et de manioc plantées sur les berges de la rivière Rokel. Parmi elles, le chef local qui avait contresigné le bail de la concession. La plantation offre un salaire journalier de 10000 leones (1,8 euro) assorti dans certains cas d’une couverture médicale, soit 400000 leones par mois, un peu plus de 70 euros. Addax versera au gouvernement de la Sierra Leone un loyer de moins de 1 euro à l’hectare. Les investissements agricoles bénéficient d’une exemption de taxes douanières sur les importations et de l’impôt sur les sociétés. Personne dans la région ne connaît les clauses exactes d’un bail prévu pour une durée de cinquante ans. Combien de familles seront délogées ? Avec quelles compensations ?
(1) Coastal and Environmental Services, «Sugar cane to ethanol project, Sierra Leone. Environmental, social and health impact assessment », Freetown (Sierra Leone), octobre 2009.