Rwanda. Le président Kagamé à cœur ouvert.

Publié le par Un monde formidable

Rwanda: Le président Kagamé à cœur ouvert. Extraits de l’ITW réalisée par Colette Braeckman (Le Soir. Belgique. 06/09/08)

Vous êtes souvent présenté comme « l’ennemi de la France ». Vous considérez vous comme tel ?

Ce n’est pas exact. Je ne suis pas du tout l’ennemi du peuple français, je fais la différence entre un groupe de gens qui, en France, a été complice du génocide et l’ensemble de la population française que je ne tiens pas pour responsable. Il est certain que je suis l’adversaire de ceux qui, dans le passé, ont soutenu les injustices commises à l’encontre de mon pays ou qui aujourd’hui encore n’y voient rien à redire. Mais ce sentiment ne vise pas le peuple français lui-même. La distinction est claire.
Ce que je demande, c’est une reconnaissance des actes qui ont été commis et il ne s’agît pas d’une éventuelle compensation financière. Même en supposant qu’ils nous donnent 10 milliards d’euros, croyez vous que cela effacerait la mort d’un million de citoyens rwandais durant le génocide ? Le dommage est incalculable…

Certains hommes d’affaires et investisseurs belges qui se trouvent au Rwanda ont des problèmes avec la « Rwanda Revenue Authority »,l’institution chargée de percevoir les impôts. Certains songent à quitter le pays, d’autres se demandent si les Belges sont encore les bienvenus au Rwanda ou si on les décourage au profit d’autres partenaires…

Ma réponse, c’est que nous avons plus de problèmes avec ces Belges là qu’avec n’importe qui d’autre ! (…) En fait, leur mentalité est faussée : ils considèrent encore le Rwanda à travers des lunettes héritées du passé, ils pensent que parce qu’ils sont au Rwanda et qu’eux sont des Belges, ils peuvent faire ici tout ce qu’ils veulent !


Des Belges ont été engagés ici pour construire des maisons, nous les avons choisis car ils avaient bonne réputation en Belgique. Mais ici, les maisons qu’ils ont construites ne correspondent pas aux normes, nous l’avons fait constater par plusieurs experts et si vous voulez vous pouvez aller constater cela vous-même. Ne croyez pas que nous visons surtout les Belges : si les Chinois, les Américains ou d’autres ne respectent pas les termes des contrats, nous annulerons ces derniers, de la même façon…Nous avons parfois l’impression qu’ils pensent que ces constructions, qui sont dix fois en deça des normes (certaines d’entre elles n’avaient même pas de fondation) sont assez bonnes pour des Africains !
Je l’ai dit à l’un de vos ministres : je sais que « Thomas et Piron » est l’une des meilleures sociétés de construction en Belgique, que chez vous ils font du bon travail. Mais comment comprendre que lorsqu’ils sont chez nous, ils font n’importe quoi, en pensant que nous allons accepter cela sans réagir ?
 Une autre société, Rwandex, qui est dans le pays depuis longtemps, a aussi eu des problèmes : elle empruntait de l’argent à la banque, achetait la récolte de café, la vendait à l’extérieur et tardait à rembourser la banque.


Ces conflits n’ont rien à voir avec le gouvernement ou avec le fait qu’il s’agirait de Belges, ici, les règles sont les mêmes pour tout le monde, il n’y aura pas de compromis la dessus, il faut que les Belges le comprennent. Qu’ils sachent aussi que les impôts à payer seront les mêmes pour eux aussi (…)

Le Rwanda a envoyé 2000 hommes dans le Darfour, ils participent à la force mixte ONU-Union africaine. Le général rwandais Karake Karenzi, qui dirige cette force, est contesté, et son nom est cité dans l’acte d’accusation du juge espagnol. S’il devait quitter le Darfour, comment réagirez vous ?

Pour moi, les accusations contre Karenzi sont de la même eau que celles du juge Bruguière, elles ne sont pas isolées.
 Chaque fois qu’un pays africain atteint un certain degré d’indépendance, on trouve des moyens subtils pour le casser, le ramener à sa norme. On l’attaque de toutes les manières possibles. On peut utiliser l’aide, l’argent, les pressions politiques, démocratie, droits de l’homme, on peut même créer des cas qui n’existent pas…Maintenant un nouvel instrument, c’est la justice internationale, qui est utilisée par les Occidentaux contre des pays en développement…


Si nous sommes allés au Soudan, c’était pour aider à résoudre un problème africain, à la demande de l’Union africaine. Nous avons été heureux d’apporter notre contribution.
Je sais que le contingent rwandais est nécessaire et apprécié, mais on ne peut gagner sur les deux tableaux : si le commandant de la force est attaqué, c’est le Rwanda lui-même qui se sent visé et qui réagira en conséquence. Pour moi, c’est très clair : si Karenzi part, c’est tout le contingent rwandais qui quittera le Darfour. Le jour même.
 Il faut savoir aussi que le Darfour, même si nous y sommes présents et faisons de notre mieux, n’est pas le problème du Rwanda, c’est le problème de la communauté internationale. Nous ne sommes allés là bas en apportant notre petite contribution qu’à cause de la faiblesse de la communauté internationale. (…)

Que pensez vous de la candidature de Barack Obama ?

Je suis témoin de l’enthousiasme qu’elle suscite dans toute l’Afrique et cela m’inspire plusieurs réflexions. Tout d’abord cette candidature en dit long sur le système politique américain, qui permet à un homme qui a du sang noir de se porter candidat à la présidence. En Europe, ce ne serait pas imaginable, mais surtout, il y a des pays membres de l’Union africaine - que je nommerai pas - où il serait impensable qu’un Noir devienne chef d’Etat. Cela étant, Obama est d’abord Américain, et ce sont les problèmes des Etats-Unis qu’il va être appelé à résoudre. C’est l’Amérique qu’il va changer et qui va le changer, pas l’Afrique. Les Africains peuvent être enthousiastes à son sujet, mais ils ne doivent pas oublier que leurs problèmes, ils devront les résoudre eux-mêmes. Ce sont les Africains qui relèveront l’Afrique, et personne d’autre…

Publié dans Afrique centrale

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