Russie. Les mines de charbon de l’Oural en péril.
Les mines de charbon de l’Oural en péril.Par Alexandre Billette, Korkino. (Source Le Temps.ch. 23/03/ 2009)
Epuisées par des années d’extraction et victimes d’une chute de la demande, les houillères ne paient déjà plus leurs employés. Aucune alternative n’existe pour les chômeurs.
Une circonférence de 3 kilomètres, une profondeur de plus de 600 mètres: la mine de charbon à ciel ouvert de Korkino, à 1800 kilomètres à l’est de Moscou, est la deuxième plus grande du genre au monde. «Avant, ça grouillait en permanence», se rappelle Viktor Belov, ancien mineur, en pointant l’énorme gouffre depuis la crête. Aujourd’hui, rares sont les wagonnets qui circulent sur les rails qui ceignent la «Tasse», comme on appelle ici ce cratère monstrueux. On voit bien quelques machines au fond, rendues minuscules par la distance, mais l’activité est dérisoire. Pourtant, la ville de Korkino n’existe que pour la Tasse. Lorsque l’extraction houillère a débuté, dans les années 1930, ce n’était qu’un hameau. Aujourd’hui, c’est une ville de 600 00 habitants, située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale régionale, Tcheliabinsk. «Il y a quelques années, il y avait 3500 mineurs ici», rappelle Oleg Kirtch, conseiller municipal. «Désormais, ils ne sont que 1200. Que va devenir cette ville? Il n’y a rien d’autre que la mine. Et il n’y a aucun projet ici, l’Etat nous a oubliés.»
Les salaires ont eux aussi été oubliés. Depuis décembre, les mineurs ne touchent plus aucun salaire. Fin janvier, un petit groupe a improvisé une grève sans le soutien du syndicat officiel, inféodé à la direction de l’entreprise. «Tous les employés de la mine ont suivi», affirme Liouba, une mineur de 34 ans qui a organisé le mouvement. «Mon salaire est de 11 000 roubles (360 francs), mais je n’ai reçu que 3000 roubles (100 francs) en décembre, et rien depuis. On vit avec les légumes marinés du jardin de l’été dernier; j’ai cessé de manger de la viande, je la laisse aux enfants.» Les mineurs ont repris le travail suite à la promesse de la direction de payer les arriérés avant le 15 février. Mais aujourd’hui encore, rien n’a été versé. Au siège de l’entreprise TchOuK, propriétaire de la mine, Konstantin Stroukov joue nerveusement avec son stylo. «Nos 6000 employés sont payés en heures et en temps, et nous n’avons pas peur de la crise», assure l’actionnaire principal de l’entreprise. Les explications seront brèves. A l’évocation des arriérés de salaires, il mettra brutalement fin à l’entretien: «Vous n’avez pas de crise chez vous? Pourquoi venir remuer la boue ici?»
Une nervosité qui traduit l’ampleur des problèmes de l’industrie. Les petites centrales électriques au charbon, qui constituaient les principaux clients, sont désormais délaissées au profit des centrales au gaz, moins chères. Pire encore, après des années d’extraction, le charbon restant serait de qualité médiocre: certaines centrales électriques de la région ont ainsi préféré acheter leur matière première au Kazakhstan voisin, meilleur marché et de qualité supérieure. Résultat: l’entreprise, qui extrayait jusqu’à 40 millions de tonnes de charbon par an, n’en a produit que 2,3 millions en 2008. «La fermeture des mines dans les prochains mois est une réelle possibilité», craint Marina Morozova, journaliste à Korkino. La crise économique, en éteignant la demande, pourrait porter un coup fatal à une industrie déjà moribonde. «A l’heure actuelle, la mine n’est plus rentable.»
A Kopeïsk, autre lieu d’extraction du charbon, la situation est similaire. Dans cette «monogorod», ville à industrie unique, les mines commencent à être épuisées. L’un des trois sites a déjà été fermé, tandis que les deux autres fonctionnent au ralenti. Chaque jour, les couloirs de l’agence pour l’emploi sont assaillis par des centaines de nouveaux chômeurs, venus s’inscrire pour toucher des indemnités parfois inférieures à 30 francs. En ce petit matin de février, la directrice de l’agence se fraie péniblement un chemin pour pénétrer dans un local plein à craquer, afin d’expliquer aux chômeurs leurs droits. «Et ce n’est qu’un début», glisse-t-elle entre deux présentations. «Dans les mines de Kopeïsk, les grandes vagues de licenciements devraient avoir lieu en avril ou en mai…»
Quel avenir pour les «monogorod» de l’Oural? En l’absence totale de diversification économique, aucune alternative à l’industrie houillère n’est prévue dans ces grands bourgs de dizaines de milliers d’habitants. «Les seules offres d’emploi à Kopeïsk proposent des boulots de gardien à l’entrée des petits commerces», sourit amèrement Vitali, un chômeur de 40 ans. «Dans quelques années, il n’y aura plus que des portiers ici… Mais pour surveiller quoi?»