RDC. Les honmmes victimes de viol.
Sympble du Congo encore malade : Les honmmes victimes de viol. Par Jeffrey Gellerman (New York Times. 04/08/09)
C’était vers 23 h lorsque des hommes armés envahirent la hutte de Kazungu Ziwa, lui mirent une machette à la gorge et rabaissèrent son pantalon d’un coup sec. M. Ziwa est un petit homme d’un mètre 40 environ. Il essaya de résister mais il dit qu’il a été tout de suite jeté à terre. « Puis ils m’ont violé », dit-il. « C’était horrible, physiquement. J’étais étourdi. Mes pensées s’envolèrent ».
Depuis plusieurs années, les collines aux forêts denses et aux clairs lacs profonds de l’est du Congo sont un réservoir plein d’atrocités. Mais il semble qu’il y ait un autre problème croissant : le viol des hommes par des hommes. Les travailleurs humanitaires débattent pour expliquer cette soudaine exacerbation des cas de viols des hommes. La meilleure réponse, disent-ils, c’est que la violence sexuelle contre les hommes est un autre moyen pour les groupes armés d’humilier et de démoraliser les communautés congolaises afin de les forcer à la soumission. Les Nations Unies considèrent déjà l’est du Congo comme la capitale mondiale du viol,(...).
Les opérations militaires conjointes commencées en janvier entre le Rwanda et le Congo, le David et le Goliath voisins qui étaient jusqu’à très récemment des ennemis mortels, étaient censées mettre fin au problème rebelle meurtrier le long de la frontière et ouvrir la voie à une nouvelle époque de coopération et de paix. Il y eut un grand espoir après la capture rapide d’un général renégat qui a mis en déroute les troupes gouvernementales et menacé de marcher sur le pays. Mais les organisations humanitaires affirment que ces manœuvres militaires ont provoqué des attaques vengeresses horribles, avec plus de 500.000 personnes déplacées de leurs résidences, des dizaines de villages brûlés et des centaines de villageois massacrés, y compris des enfants de bas âge jetés dans des brasiers.
Et les rebelles ne sont pas les seuls à blâmer. Selon des organisations des droits de l’homme, des soldats de l’armée congolaise exécutent des civils, violent des femmes et recrutent de force des villageois pour porter nourriture, munitions et matériels dans la jungle. C’est souvent une marche de la mort à travers des paysages tropicaux les plus étonnamment luxuriants qui ont aussi servi de décor à une guerre ravageuse et compliquée pendant plus d’une décennie. (...)
Les cas des viols des hommes s’étendent sur plusieurs centaines de kilomètres et comprennent selon toute probabilité des centaines de victimes. L’Association Américaine du Barreau [ABA, ndlr], qui dirige une clinique judiciaire de violence sexuelle à Goma, affirme que plus de 10 pourcent de ses cas en juin étaient des hommes. Brandi Walker, une travailleuse humanitaire à l’hôpital de Panzi près de Bukavu toute proche, affirme: « Partout où nous allons, des gens nous disent que les hommes sont aussi en train d’être violés ». Mais personne n’en connaît le nombre exact. Les hommes ici, comme partout ailleurs, sont réticents à se déclarer. Plusieurs d’entre eux nous ont dit qu’ils sont instantanément devenus des exclus dans leurs villages — des personnages isolés, ridicules, moqueusement taxés de « femmes de brousse ».
Depuis son viol voici plusieurs semaines, M. Ziwa, 53 ans, n’a plus aucun intérêt à soigner les animaux, son gagne-pain de plusieurs années. Il marche en boitant (sa jambe gauche fut fracassée lors de l’attaque), habillé d’une blouse médicale blanche sale marquée « Vétérinaire » en lettres rouges, tenant dans la main quelques pilules de la dimension de biscuits pour chiens et moutons. « Le seul fait de penser à ce qui m’est arrivé me fatigue », dit-il.
De même pour Tupapo Mukuli, qui dit avoir été coincé à plat-ventre et violé collectivement dans son petit champ de manioc il y a sept mois. M. Mukuli est à présent un homme isolé dans le pavillon des victimes de viol de l’hôpital de Panzi rempli de centaines de femmes qui se remettent des traumatismes subis au cours des viols. Beaucoup d’entre elles tricotent ou tressent des paniers pour se faire un peu d’argent pendant que leurs corps guérissent. Mais M. Mukuli est un laissé pour compte. « Je ne sais pas faire des paniers », dit-il. Aussi passe-t-il ses journées assis sur un banc, seul.
Les cas des viols des hommes sont tout juste une fraction de ceux des femmes. Mais pour les hommes concernés, disent les travailleurs humanitaires, c’est encore plus difficile de rebondir. « L’identité masculine est liée au pouvoir et au contrôle », dit Mlle Walker. Et là où l’homosexualité est si taboue, les viols ont une dose supplémentaire de honte. « On se moque de moi », dit M. Mukuli. « Les gens de mon village disent : ‘Vous n’êtes plus un homme. Ces hommes dans la brousse ont fait de vous leur femme’ ». Les travailleurs humanitaires disent que l’humiliation est souvent si sévère que les hommes victimes de viol ne se déclarent que s’ils ont des problèmes sanitaires urgents, tels le gonflement de l’estomac ou une hémorragie continue.
L’année dernière, l’épidémie des viols au Congo semblait un tant soit peu péricliter, avec moins de cas déclarés et quelques violeurs emprisonnés. Mais aujourd’hui, il semble que le mince vernis de l’Etat de droit ait été décapé. A écouter la façon dont les villageois décrivent les choses, c’est comme s’il s’agissait de l’ouverture d’une saison de chasse. Muhindo Mwamurabagiro, une grande femme gracieuse avec de longs bras solides, expliqua comment en allant au marché avec ses copines elles furent soudain entourées par un groupe d’hommes nus.« Ils nous saisirent à la gorge, nous jetèrent à terre et nous violèrent », dit-elle. Pis, dit-elle, l’un des violeurs était de son village. « Je m’écriai : ‘Père de Kondo, je te connais, comment peux-tu faire ça ?’ » Une mère déclara qu’un casque bleu de l’ONU avait violé son garçonnet de 12 ans. Un porte-parole de l’ONU a dit ne pas être au courant de ce cas précis mais qu’il y avait assurément un certain nombre d’allégations de sévices sexuels à charge des casques bleus au Congo et qu’une équipe avait été envoyée sur le terrain à la fin du mois de juillet pour enquêter.
« Je comprends que le monde nourrisse un sentiment de culpabilité au sujet de ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 », a déclaré Denis Mukwege, le médecin directeur de l’hôpital de Panzi, faisant référence au génocide au Rwanda. « Mais le monde ne devrait-il pas nourrir un sentiment de culpabilité face à ce qui se passe au Congo aujourd’hui ? »