Photojournalisme, déontologie et logiciels de retouche

Publié le par Un monde formidable

Le sage et les images par Luc Debraine (Le Temps 01/09/10)

Le directeur de Visa pour l’image s’en prend vertement aux logiciels de retouche. Mérité?

«Au secours! Ils deviennent fous!» s’exclame Jean-François Leroy, directeur du festival international du photojournalisme Visa pour l’image, qui bat son plein cette semaine à Perpignan. Jean-François Leroy aime certes autant la provocation que la photo de presse à l’ancienne, celle qui ne connaissait pas les logiciels de retouche. C’est justement à cause de ces derniers, les Photoshop et consorts, que le directeur du festival est en colère: «On a vu Port-au-Prince après le séisme du 12 janvier, écrivait il y a peu Jean-François Leroy. Vous connaissiez le ciel pourpre de Port-au-Prince, strié de nuages rosés? Les gravats si blancs qu’ils en sont éblouissants? Les Haïtiens qui deviennent gris, et ne sont plus noirs? Le sang rouge, comme la honte? Une réalité travestie, transformée, arrangée pour satisfaire on ne sait quel esthétisme. Du coup, les photographes qui se refusent encore à ce genre d’excès outrancier passent pour des mauvais. Oui, leur ciel est bas et gris, leurs Haïtiens sont noirs, leurs gravats sont ternes… Alors, oui à l’interprétation, dans la limite de la décence, mais non à la transformation.»

Jean-François Leroy est le premier à admettre que les photos de presse retravaillées ne sont pas une invention du numérique. Depuis des décennies, les professionnels renforcent des contrastes, éclaircissent des zones trop sombres ou accentuent des couleurs. Mais selon le directeur de Visa pour l’image, des professionnels perdent désormais tout repère, surtout éthique (un débat public sera organisé sur cet enjeu vendredi dans le cadre du festival).

«C’est effectivement une question de cet ordre, abonde à Perpignan le photographe français Samuel Bollendorff, pionnier du «webdocumentaire». Mettre un ciel rose sur les décombres d’un tremblement de terre n’est pas seulement irresponsable, c’est juste dégueulasse. Il ne faut jamais perdre de vue que dans ce métier, notre seul garde-fou est l’honnêteté de notre propos. Lorsque nous photographions des gens en situation de détresse, ces derniers passent une sorte de contrat avec nous, pour que nous témoignions de leur réalité fragile. Ils nous font confiance. Nous n’avons pas le droit de trahir cette confiance en nous faisant bêtement plaisir au niveau formel».

Samuel Bollendorff distingue quelques solides raisons à ces excès: «La génération de photographes qui arrive ne connaît que la technologie numérique. Elle n’est pas passée par les laboratoires où l’on apprend à conjuguer les cinq grades de gris, ou à basculer d’un magenta à un vert. La connaissance des étalonnages, des limites physiques d’une photographie leur manque. De plus, vu le nombre décroissant d’agences et de rédactions spécialisées, ces photographes sont de plus en plus livrés à eux-mêmes, sans possibilité de fixer des repères avec l’aide d’un groupe d’interlocuteurs».

Cette inquiétude n’est de loin pas partagée par tous à Visa pour l’image. «Nous ne sommes qu’au début de l’ère numérique, note Munem Wasif, un jeune photographe du Bangladesh adepte de la photographie classique en noir et blanc. Nous sommes comme des enfants face un nouveau jouet, c’est-à-dire parfois dans l’excès. Mais nous apprenons vite de nos expériences et de nos erreurs. Ce qui compte, comme toujours, c’est l’intention derrière l’image. Après tout, les photos en noir et blanc de Sebastiao Salgado, ou celles de Don McCullin et de Philip Jones Griffiths au Vietnam, étaient aussi très transformées, très travaillées. Mais ces photos nous touchent toujours parce que leurs auteurs étaient en empathie avec leurs sujets. Arrêtons de blâmer Photoshop. Moi, à mes débuts, je voulais faire du noir et blanc. Mais les films noir et blanc étaient bien trop chers au Bangladesh. Alors j’achetais des films couleur que je transformais ensuite en noir et blanc grâce aux logiciels numériques. C’est comme cela que j’ai pu trouver mon langage photographique.»

Olivier Laban-Mattei, photographe indépendant après avoir travaillé 10 ans à l’AFP, trouve que l’on parle trop des excès engendrés par les logiciels de retouche: «On ferait mieux de débattre du problème entre nous, par exemple pour fixer un code de déontologie qui tienne enfin compte des technologies numériques. On ne fait qu’affaiblir encore plus les médias et d’instiller le doute chez les gens. Il faut savoir ceci: ce débat est entretenu par les grandes agences de presse traditionnelles, pour lesquelles une image doit être comme un texte d’information: neutre, factuelle, impersonnelle. Or la photographie n’est pas du tout comme cela. Il faut au contraire qu’elle soit belle, surprenante et interprétée pour qu’un lecteur s’intéresse à son fond, à ce qu’elle dit comme vérité. Dire le contraire, c’est méconnaître le travail des photojournalistes.»

Publié dans Médias

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
Bonjour serait-il possible de savoir où l'on peut trouver la photo en question( séisme en Haïti)?
Répondre