Mali. Bamako ne veut pas se laisser forcer la main
L'immigration malienne en chiffres
Environ 4 millions de Maliens vivent à l'étranger, dont 200 000 en Europe. Les Maliens en France seraient 120 000, dont un tiers seulement en situation régulière. L'argent qu'ils envoient au Mali, un peu moins de 200 millions d'euros par an, représenterait 10% des revenus du Mali, soit bien plus que l'aide accordée par la France à son ancienne colonie (156 millions depuis 2000 selon l'Agence française de développement).
Bamako ne veut pas se laisser forcer la mainpar Serge Daniel (RFI. 27/06/08)
Les Maliens ne cessent d'exprimer leur préoccupation et leur inquiétude vis-à-vis de la politique d'émigration prônée par la France au moment où débute la présidence française de l’Union européenne. Nombreux sont ceux qui craignent que Paris cherche à harmoniser la politique européenne dans le domaine migratoire, ce qui pourrait revenir en fait à durcir les conditions d’entrée des étrangers en Europe et amener les autres pays de l’Union à expulser massivement comme elle, les étrangers en situation irrégulière.
Fin juin 2008 à Bamako: une rencontre entre responsables français et maliens sur la gestion concertée des flux migratoires entre les deux pays vient de se terminer. Un officiel malien sort de la salle de réunion. Il grille cigarette sur cigarette. Il est nerveux. Au journaliste présent, il lâche :« Ce que nous n’apprécions pas chez les Français, c’est qu’il veulent nous forcer la main sur le dossier de l’émigration ».
L’officiel malien en question sort le document français qui sert de base de discussions. Il pointe du doigt l’article 4 du texte : « Réadmission des personnes en situation irrégulière » peut-on y lire.
« Voilà, la France veut qu’officiellement, le Mali accepte de dire oui aux expulsions massives de ses ressortissants. La France veut que le consulat du Mali à Paris délivre à la pelle des laissez-passer pour accélérer les expulsions de Maliens. Nous sommes très inquiets ». Inquiétude, c’est le terme qui résume ici le sentiment général au moment où débute la présidence française de l’Union européenne.
« Paris veut évidemment harmoniser la politique européenne dans le domaine, en fait durcir les conditions d’entrée des étrangers en Europe, et se donner bonne conscience en amenant les autres pays de l’Union à expulser massivement comme elle, les étrangers en situation irrégulière », analyse le sociologue malien Mamadou Samaké.
Le visage mangé par une barbe en collier, Bassirou Diarra, lui aussi est inquiet. Conseiller du président malien Amadou Toumani Touré, il est surtout le président, côté malien, du comité franco-malien sur les problèmes migratoires entre les deux pays. « Notre position est la suivante : nous sommes ouverts à toutes les discussions sur le sujet. Mais il faut que la France, l’Europe adoptent une politique réaliste et utile en matière d’émigration ».
C'est-à-dire ? « Puisque vous voulez savoir, allons-y : Il faut régulariser les Maliens en situation irrégulière en France. Pour freiner l’immigration irrégulière, il faut développer les régions d’origine des migrants. Investir dans des secteurs productifs, et non dans des domaines sociaux ».
Mais est-ce raisonnable de penser que l’Europe peut encore grandement ouvrir ses portes aux candidats à l’émigration clandestine ? « Aller chez autrui et accueillir autrui chez soi, c’est le mouvement naturel de la vie des hommes », explique un diplomate africain, en marge d'une rencontre sous-régionale sur l’émigration qui vient de s’achever à Bamako. Bassirou Diarra de son côté précise : « Tout le monde évolue, nous aussi. Nous pensons que le tout sécuritaire ne peut pas résoudre le problème, mais par ailleurs, ouvrir grandement les portes, n’est pas la solution. Il faut trouver le juste milieu ».
Pour joindre le geste à la parole, le gouvernement malien organise actuellement au plan national, avec l’appui de sponsors et de l’Union européenne, une campagne de sensibilisation contre l’immigration irrégulière.Une première au Mali, tellement le sujet est sensible.
« Il faut être réaliste. C’est d’abord une campagne pour sauver la vie », explique Kaba Sangaré, le « Monsieur Migrations » du ministère chargé des Maliens de l’extérieur. Pour lui, le Mali joue sa partition. « Il est de notre devoir de dire à nos enfants: "attention, le désert tue, la mer tue, l’eldorado que vous cherchez en Europe est sûrement ici "».
Fait significatif, au cours de la campagne de sensibilisation qui va durer un mois, d’anciens candidats à l’émigration clandestine vont descendre sur le terrain dans les huit régions administratives du Mali avec un discours : « Nous, nous avons tenté l’aventure. Nous avons échappé à la mort dans le désert, sur la mer, nous avons vu nos frères mourir devant nos yeux, ne partez pas ».
Projection de films, sketchs du célèbre groupe malien « Nyôgôlon », animation musicale, conférence-débats, pendant trente jours, on veut ainsi contribuer à « sédentariser », les candidats à l’aventure.
« D’un autre côté, il faut que la France, l’Europe joue sa partition », insiste M. Sangaré. Comment ? En se débarrassant d’abord des clichés. « Les Africains n’ont pas envahi la France, l’Europe. Vous avez aujourd’hui environ 4 millions de Maliens vivant à l’étranger. Sur les 4 millions, 3 500 000 vivent hors de l’Europe. Environs deux millions vivent en Côte d’Ivoire. Dépassionnons donc le débat », explique M. Sangaré.
Pour lui, la France, l’Europe doit jouer également sa partition : assouplir les conditions d’obtention des visas, développer les régions d’origines des migrants. « Si nous voulons stabiliser les jeunes, nous devons leur trouver du travail. C’est de notre devoir, c’est celui de l’Europe. Toutes les autres initiatives seront vouées à l’échec », insiste-t-il.
Le chef de l’Etat malien, Amadou Toumani Touré, a ajouté son grain de sel au débat cette semaine en présidant l’ouverture d’un séminaire sous-régional sur l’émigration dans l’espace de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest. « L’effet négatif de la fuite des cerveaux constitue peut-être le coût le plus significatif de la migration pour les pays africains », a-t-il notamment expliqué, avant d’inviter le Nord et le Sud, à se donner la main pour répondre aux « multiples » attentes de la jeunesse du continent.
La pression du Sud sur le Nord se poursuit. Solution radicale en vue ? « Je ne vois pas comment on peut trouver une solution radicale, tellement il y a de problèmes liés aux flux migratoires », affirme de son côté Mamadou Diakité, de l’ONG « AIDE » qui s’occupe de la réinsertion des clandestins. Selon lui, la présidence française de l’Union est un couteau à double tranchant. « Ca peut être une chance ou un grand malheur en matière de politique d’immigration ».
Une chance ? Que l’Europe consulte le continent africain avant d’élaborer une politique commune sur le sujet. Un malheur ? Que la France « de Brice Hortefeux » décide de faire de l’expulsion des Africains en situation irrégulière en France, en Europe, la clé de voûte de la nouvelle politique européenne en matière d’immigration, et ce « sera une véritable catastrophe ».
Mamadou Diakité, a des pistes de réflexion : « Il faut que l’Europe aide à démanteler les filières d’immigration clandestine, explique-t-il, elles sont nombreuses, et pour le moment sur le continent, c’est le Maroc seul qui est arrivé à démanteler des dizaines de mafias qui organisent l’émigration irrégulière ». Autre attente de M. Diakité, il souhaite qu’on pose un regard « plus humain » sur des milliers de candidats à l’aventure, aujourd’hui bloqués sur les routes de l’émigration irrégulière. Ils ne peuvent plus continuer le chemin, ils ne peuvent plus revenir, en situation d’échec, ils ont besoin d’aide urgente. « S’ils reviennent, ils peuvent d’ailleurs être de puissants vecteurs pour sensibiliser contre l’immigration irrégulière. C’est bénéfique pour l’Afrique, pour l’Europe », insiste M. Diakité. Il donne l’exemple de plusieurs dizaines de ressortissants de pays d’Afrique centrale aujourd’hui bloqués au Mali. « Ils veulent retourner chez eux. Ils ont des projets. Il leur faut de l’argent. Si la France leur donne l’équivalent de ce que coûte en euros au budget national de la France l’expulsion de 10 clandestins, ils peuvent rentrer dignement et aller se réinsérer ».
Politiques, diplomates et ONG attendent de la France une nouvelle politique européenne en matière d’émigration. Quid des associations d’ex-clandestins expulsés et aujourd’hui de retour dans leur pays, le Mali ? On compte aujourd’hui sur place une trentaine d’associations d’ex-clandestins, de refoulés et de rescapés des traversées mortelles.
Ousmane Diarra est le président de l’Association malienne des expulsés (A.M.E). Discours militant, coup de gueule contre l’Occident qui « renvoie des gens dont les parents sont morts pour la France, pour l’Europe », ça, c’est son côté pile. Côté face, M. Diarra le reconnaît. Son association est prête à participer à une campagne de sensibilisation pour parler des « dangers » qui attendent les clandestins dans le désert, en mer, mais, il faut que l’Europe favorise deux choses : « L’immigration régulière et l'aide aux jeunes Africains pour leur permettre de trouver du travail chez eux ».
En attendant, pour Amadou Sylla, expulsé six fois d’Espagne, il faut que l’Europe donne un signal « très fort » en régularisant les clandestins qui sont en France, en Europe. Message transmis à Brice Hortefeux...
Bamako refuse une nouvelle fois «l'immigration choisie» (RFI.10/01/09) : Le secrétaire général du ministère de l'Immigration Patrick Stéfanini a quitté le Mali ce vendredi sans avoir pu obtenir la signature des autorités sur la « gestion concertée des flux migratoires » proposée par les Français. C'est la quatrième fois que Bamako refuse, mais Paris continue de demander de nouvelles négociations.
Les autorités maliennes le reconnaissent ouvertement : la question des Maliens sans papiers en France est très sensible parmi la population. Et pour que le gouvernement malien accepte que la France expulse davantage de clandestins vers le Mali, Paris doit en contrepartie accepter un plus grand nombre de régularisations. Or pour l'instant, la France propose toujours le même quota de 1 500 par an. Des sources bien informées ont expliqué à RFI que le Mali demandait 4 000 régularisations annuelles, ce qui a été refusé par le gouvernement français.
Pour la société civile malienne, ces chiffres restent de toute façon une goutte d'eau au regard du nombre de sans papier estimés à 22 000 en France. Pour Mahamadou Keïta, de l'Association des Maliens expulsés, « La France expulse chaque mois entre 40 et 55 personnes vers le Mali. En 2008, il y a eu 478 Maliens expulsés de France. Si l’accord est signé, combien y aura-t-il de personnes à accueillir à l’aéroport de Bamako ? »
Les autorités maliennes ne ferment cependant pas la porte au gouvernement français. Mais c'est peut-être avec le remplaçant de Brice Hortefeux à la tête du ministère français de l'Immigration qu'ils devront à l'avenir négocier.
Des manifestations, au Mali à Bamako et Kayes, et en France devant le consulat du Mali à Paris, ont demandé cette semaine au gouvernement de Bamako de ne pas signer l'accord reproposé par les Français.
Le Bénin, le Cap Vert, le Sénégal, le Gabon, la République démocratique du Congo, la Tunisie et l'Ile Maurice ont déjà signé des accords de gestion concertée. D'autres accords sont en préparation avec le Burkina, le Cameroun, Haïti et l'Egypte.
Depuis Cotonou dans le cadre d'une tournée africaine cette semaine, le ministre français de l'Immigration Brice Hortefeux a appelé à la poursuite des négociations avec le Mali pour parvenir à un accord « définitif et avantageux ».