Les Roms, une épine dans l’intégration européenne

Publié le par Un monde formidable

Les Roms, une épine dans l’intégration européenne par Caroline Stévan (Le Temps. Ch. 21 décembre 2009). 

En 2005 était proclamée la «Décennie de l’intégration des Roms», en Europe de l’Est notamment. Bilan à mi-parcours.

Il y a ce gosse qui ramasse des bouteilles en plastique au lieu d’aller à l’école. Cet autre qui y va, mais que l’on a inscrit dans une classe pour handicapés mentaux alors qu’il ne l’est pas. Cette famille qui vit dans une cabane sans électricité. Cette adolescente mariée trop jeune et qui a déjà deux enfants accrochés au jupon. Avec ses 8 à 12 millions de membres, la communauté rom est la plus importante minorité d’Europe. Et la plus marginalisée.

Depuis 2005, 12 Etats1, essentiellement d’Europe de l’Est, se sont engagés à changer la donne. Avec le soutien de la Banque mondiale, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou encore de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ils ont proclamé 2005-2015 Décennie de l’intégration des Roms. L’accent a été mis sur quatre domaines prioritaires: éducation, emploi, habitation et santé. Une multitude de projets ont été lancés dans les pays signataires; formation de journalistes, soutien scolaire, contrôles sanitaires ou bien encore aide au logement. La question rom, surtout, a pénétré l’espace public européen.

Problème politique

«La Décennie a permis de lancer le processus, de le mettre sur des rails plus politiques, mais il faut maintenant que cela se traduise concrètement sur le terrain», estime Tunde Buzetzky, facilitatrice à Decade Watch, l’organisation chargée de veiller au bon déroulement du programme. «A mi-parcours, on ne peut plus se contenter de projets pilotes, acquiesce Rob Kushen, directeur du Centre européen pour les droits des Roms, basé à Budapest. Les objectifs doivent être chiffrés et clairement définis par les gouvernements: nous voulons tel pourcentage d’enfants à tel niveau scolaire, telle proportion de la population doit être vaccinée, etc.»

La Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) et la Banque mondiale viennent de publier Roma Realities2 , bilan intermédiaire de la Décennie. «L’idée était de relancer le débat en montrant la réalité des Roms et la diversité de cette réalité, indique Thomas Jenatsch, coordinateur du projet pour la DDC. Une multitude de rapports traitent du sujet, mais ils ne sont lus que par des experts. Ce livre, agrémenté de nombreuses photos d’Yves Leresche, se veut plus abordable.»

La journaliste lausannoise Corinne Bloch, par ailleurs spécialiste des Balkans, a réalisé les entretiens de l’ouvrage, donnant la parole à la communauté rom: «Il en ressort des propositions concrètes pour des situations concrètes. Des fonds ont été débloqués dans le cadre de la Décennie, or peu de choses ont vraiment évolué en cinq ans. Le problème est donc d’ordre politique. Derrière cela, la situation est réellement dramatique. On n’est pas loin des bidonvilles de Bombay, sauf qu’on est en Europe.»

C’est que les Roms, population aux racines indiennes présente en Europe depuis le Moyen Age, ont toujours été laissés de côté. Voleurs de poules autrefois, détourneurs d’aide sociale aujourd’hui, on leur reproche sans cesse de subtiliser quelque chose. Le label «gens du voyage» continue à leur coller à la peau – bien que la plupart soit désormais sédentarisée – et cela n’aide pas à l’intégration. Des violences ont éclaté en Hongrie, en Italie.

Stéréotypes

«La crise économique n’améliore pas la situation. Les médias non plus, toujours prompts à relayer les méfaits commis par des Roms. Mais nous avons aussi notre responsabilité, argue Nicoleta Bitu, chargée de programme au Centre rom d’étude et d’intervention sociale, à Bucarest. Nous devons nous organiser pour promouvoir notre identité de façon plus visible et positive. Ce n’est pas évident, car nous manquons parfois de solidarité entre les différents groupes roms.» La planète rom, ainsi, recoupe des réalités multiples. Nicoleta Bitu affronte souvent un regard étonné sur sa personne: «Ma présence choque les non-Roms car je ne corresponds pas à leurs stéréotypes. Je suis trop éduquée et trop bien habillée pour une Tzigane!»

Le manque de considération est au cœur du problème rom. La discrimination est à la fois cause et conséquence de l’exclusion du marché du travail et, bien avant cela, de la mise à l’écart du système scolaire. Nombre de petits Roms ne vont pas à l’école, et ceux qui ont la chance de goûter à la craie blanche et au tableau noir le font dans des établissements spéciaux ou moins performants. «Il y a à la base un problème de ségrégation géographique, souligne Thomas Jenatsch. Les Roms vivent à l’écart et les écoles situées dans leurs zones disposent de moins d’infrastructures, leurs professeurs sont moins qualifiés. Tout l’enjeu pour ces enfants est donc l’accès à l’éducation, mais à une éducation de qualité.»

L’enjeu de l’éducation

La Confédération, ainsi, a participé dans le cadre de la Décennie rom à la création à Budapest du Roma Education Fund. «Nous avons mis en place des projets qui ont fait leurs preuves, comme la création d’une année d’école préparatoire pour les petits Roms, en Hongrie notamment. Elle leur permet d’affronter ensuite le cursus scolaire en étant mieux armés. Mais le défi reste immense: 40 à 60% des Roms fréquentent les classes primaires, ils ne sont plus que 20% au niveau secondaire. Très peu au-delà. En Slovaquie, plus de la moitié des effectifs des établissements pour handicapés mentaux sont représentés par des Roms!» déplore Toby Linden, directeur du Roma Education Fund. «Tous les problèmes sont liés, ajoute Corinne Bloch, Des parents sans boulot ne pourront pas payer les livres scolaires de leurs enfants. Des enfants qui ne parlent que le romani auront de la peine à suivre la classe en bulgare ou en albanais. Et comment faire ses devoirs quand on vit dans une maison en carton, sans chauffage ni électricité?» Les gamins travaillant au recyclage ne sont pas non plus disponibles pour apprendre à écrire, pas plus que les jeunes filles que l’on marie à 13 ou 14 ans. Difficile, dans ces conditions, d’accéder à un marché de l’emploi autre que celui de l’économie grise et informelle.

Condamnés pour beaucoup à laver des vitres aux carrefours des grandes villes, à trier des déchets ou bien à faire la manche, les Roms constituent le groupe le plus touché par la pauvreté en Europe, selon un rapport du PNUD publié en 2006. En 2007, l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne a été perçue par certains comme une promesse de mieux-être. Elle a permis le vote de lois contre les discriminations, condition fixée par Bruxelles à l’élargissement. Des médiateurs en charge des questions de santé ont été nommés. Un premier sommet européen consacré à la question rom a été organisé en septembre 2008 à Bruxelles. «La Commission européenne pourrait jouer un rôle moteur pour l’intégration des Roms, mais il y a une véritable méconnaissance de la situation de la part des leaders européens», remarque Rob Kushen.

Sésame vers l’Ouest

L’entrée dans l’UE a encore signifié, pour certains, le sésame vers l’Ouest. Mais seule une petite proportion des Tziganes roumains et bulgares ont finalement tenté leur chance par ici. En Suisse, les Roms se font plus ou moins visibles au gré des saisons. Depuis quelques semaines, musiciens et mendiants semblent plus nombreux qu’auparavant dans les rues romandes. Des campements de fortune ont été démontés par la police genevoise début novembre. Mais cela masque une autre réalité, celle des 50000 à 60000 Roms vivant ici en permanence. La majorité, plutôt bien intégrée, possède la citoyenneté helvétique. La plupart ne se présentent jamais comme appartenant à la communauté rom. Par peur des discriminations.

1. Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République 
tchèque, Hongrie, Macédoine, 
Monténégro, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Espagne.

 2. A commander sur www.infolio.ch ou www.ddc.admin.ch/Roma

Publié dans Discriminations

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