Les Etatsuniens reviennent en Afrique

Publié le par Un monde formidable

Les Américains reviennent en Afrique Par Marion Urban (Source RFI. 02/02/10 )

Le continent africain n'a jamais eu beaucoup d'attrait pour Washington même si, comme nombre de présidents américains aiment à le rappeler, «10% de la population américaine a des origines africaines». Simple pion dans la lutte contre le communisme pendant la Guerre froide, l'Afrique l'est à nouveau aujourd'hui dans la lutte contre le terrorisme islamique.

La visite du président Barack Obama au Ghana, le 11 juillet 2009, n'a duré que 24h mais tout était dit: venu célébrer l'élection très démocratique du président John Atta-Mills, Barack Obama a appelé l'Afrique à prendre en main son propre destin et à combattre les pratiques antidémocratiques, la corruption, les conflits et la maladie. Un encouragement déjà formulé dans le passé, mais lorsqu'il est repris par un fils de l'Afrique, élu à la tête de la première puissance mondiale, il résonne d'un surcroît de pragmatisme.

Les États-Unis n'ont jamais, jusque-là, été réellement impliqués dans le développement des pays africains.

 


Racines

Le premier contact entre Afrique et Amérique a lieu hors d'Afrique. Clients des négriers, les colons américains ont besoin d'esclaves pour développer leur nouveau pays. La  première cargaison de « cheptel » humain arrive au début du XVIIe siècle. Bien que les États n'importeront finalement que 6% de toute la population de la traite, les Africains vont faire souche en Amérique du nord, constituant quelques années plus tard jusqu'à 65% des habitants de certaines circonscriptions.

Le mouvement de l'abolition de l'esclavage prend naissance peu avant l'indépendance de la colonie britannique (4 juillet 1776). Les villes, puis les États du Nord vont l'interdire progressivement, jusqu'à son abolition totale en 1865. Mais la situation des noirs «libérés» est loin d'être égalitaire.

C'est dans les années 1820 que les premiers colons -esclaves libérés des états du Nord de l'Amérique- prennent pied à Monrovia, nommée ainsi en hommage au président James Monroe. Le mouvement de retour à la Terre-mère a des accents ambigus dans la communauté noire : certains veulent rester dans la société américaine et se battre pour obtenir des droits égaux, d'autres préfèrent le retour à la Terre promise qu'ils revendiquent comme un droit à la propriété.

La petite communauté envoyée par la Société américaine de colonisation (ACS), créée en 1816, s'impose aux populations locales de la côte des Graines. En 1847, quand le Liberia devient un État indépendant, ce sont les Afroaméricains qui sont au poste de commande.

Au début des années 1870, le Liberia est obligé de faire appel à des emprunts en Europe et aux États-Unis. La colonie prospère mais en choisissant le camp allié, lors de la Première Guerre mondiale, alors que l'Allemagne est l'un de ses principaux partenaires, elle provoque sa ruine.

La découverte des métaux précieux, l'impulsion à la colonisation donnée par la conférence de Berlin où les Européens se partagent l'Afrique et le développement des plantations, la construction des infrastructures commerciales mettent l'eau à la bouche des entrepreneurs américains.

Lorsqu'en 1920, la société  Firestone présentera un bail emphytéotique sur près d'1/2 million d'hectares pour une plantation d'hévéas, avec le droit d'exploiter tout ce qu'elle pourrait y découvrir (dont les mines de diamants) en échange d'un prêt pour rembourser ses emprunts, l'État libérien, en faillite, signera.

En Abyssinie, le roi Ménélik II accueille à bras ouverts l'émissaire du président américain Theodore Roosevelt. L'idée d'établir des relations avec une puissance autre que l'Europe séduit le souverain dont la santé est devenue fragile. Il signe un Traité d'amitié et de commerce avec les États-Unis, en 1909.

Theodore Roosevelt quitte la présidence en mars de la même année et entame.... un safari en Afrique de l'Est, avec une nombreuse suite de «scientifiques». L'intérêt des États-Unis pour les terres africaines est encore folklorique, éventuellement religieux. 
Toutefois, celui-ci va se réveiller lentement, d'abord sous l'impulsion conjointe des associations de lutte contre la discrimination des noirs et du mouvement panafricaniste. C'est dans l'émergence de ce courant de pensée que le missionnaire presbytérien William Sheppard, lui-même noir, va dénoncer les exactions des hommes du roi des Belges, Léopold II, contre les populations du Congo. Ses rapports feront grand-bruit aux États-Unis.

En 1937, est créé le Conseil des affaires africaines qui synthétise les différentes aspirations des noirs américains en le reliant aux revendications des peuples colonisés. L'action de cette association se concentre sur l'Afrique du Sud, pays indépendant, et sa politique d'apartheid. Le CAA sera interdit en 1955, alors que débutent les campagnes anticommunistes aux États-Unis.

La constitution de la VIe flotte en mer Méditerranée, après la Première Guerre mondiale, fait que les Américains considèrent d'un autre oeil les côtes africaines.  Une base militaire à Monrovia n'est qu'une formalité et, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un point d'ancrage sur la mer Rouge, à Massawa en Erythrée (annexée par l'Ethiopie en 1962), est acquis. Les Européens ont permis à leur allié d'outre-atlantique d'établir d'autres relais: le Maroc, l'Afrique du Sud, Madagascar, l'Egypte, petits cailloux sur le chemin du pétrole oriental et asiatique.

Les indépendances

Les États-Unis, défenseurs de la cause du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, se réjouissent du mouvement de décolonisation entrepris par les Européens. La présence du vice-président Richard Nixon au Ghana, en 1957, marque un regain d'intérêt. Celui-ci va devenir grandissant quand Kwame Nkrumah, président ghanéen, vient plaider la cause des noirs aux Nations unies et que certains États africains choisissent la voie communiste.
En 1958 est créé le bureau des affaires africaines et du Proche-Orient au sein du Département d'État. L'Afrique devient un pion dans sa lutte contre l'influence de l'URSS. Les jeunes États et leurs dirigeants sont étroitement surveillés par Washington, et surtout par la Centrale de renseignements (CIA). John F. Kennedy, qui accède à la présidence en janvier 1961, a peut-être une bonne connaissance des dossiers africains -son état d'origine, le Massachussets, est l'un des pionniers de la cause noire-, mais sa sympathie pour les militants des droits civiques et leurs frères africains de l'Afrique australe est dépassée par le cours des évènements. Ses successeurs ne sont omnubilés que par l'expansion communiste.

C'est le début d'une longue période d'interventions et d'alliances louches, d'aides militaires à des rébellions et à des dictateurs perçus comme des remparts contre le communisme, qui laissera un souvenir amer à plus d'un Africain. Les documents déclassifiés de la CIA montreront l'implication du président Dwight Eisenhower (1953-1961) dans l'assassinat de Patrice Lumumba au Congo.
L''indépendance de la Rhodésie du Sud (1962), unilatéralement proclamée par Ian Smith, imposant un gouvernement blanc et l'arrestation des leaders noirs rhodésiens Josuah Nkomo et Robert Mugabe (1964) entraînent peu de protestations officielles en dépit des appels de la communauté noire américaine. Les activités de l'ANC (African National Congress) et ses références aux luttes sociales soudent Washington aux régimes racistes de l'Afrique australe. La Tanzanie entraînée par Julius Nyerere aux aspirations socialistes, soutient les rebelles congolais. Les États-Unis pactisent avec Mobutu Sese Seko qui devient leur homme de confiance pour la suite des évènements (guerre angolaise).

Le Liberia ouvre ses portes à la Troïka soviétique, chinoise et cubaine en 1971.  Le coup d'État de Samuel Doe contre le gouvernement en place, rapportera 500 millions de dollars d'aides directes ou indirectes des États-Unis au pays alors que celui-ci devient l'un des grands cimetières des droits de l'homme. Le président Ronald Reagan (1981-1989) continue de soutenir le dictateur après les élections truquées de 1985. Un complot contre le gouvernement ghanéen auquel participent des anciens du Vietnam est découvert peu après un rapprochement de celui-ci avec la Libye.

Les deux puissances, soviétique et américaine, effectuent un tour de passe-passe en Afrique de l'Est: en 1977, l'Ethiopie se range du côté socialiste, après avoir été soutenue par Washington, et la Somalie socialiste se reconvertit au monde libre.

Pendant les années 80, l'aide militaire américaine augmente de 35%.

 

Le continent africain n'a jamais eu beaucoup d'attrait pour Washington même si comme nombre de présidents américains aiment à le rappeler «10% de la population américaine a des origines africaines». Simple pion dans la lutte contre le communisme pendant la Guerre froide, l'Afrique l'est à nouveau aujourd'hui dans la lutte contre le terrorisme islamique.

Dans le contexte de la Guerre froide, le président Jimmy Carter (1977-1981) n'a guère l'occasion de montrer son engouement pour l'Afrique. Il assure le soutien aux régimes autocratiques au nom de l'intérêt national, même s'il est mal à l'aise avec les violations systématiques des principes démocratiques. Les premières manifestations anti-apartheid devant les ambassades américaines ont lieu en 1984, suivies quelques mois plus tard par une campagne de désinvestissements qui ne s'avèrera pas si convaincante que ça. Le Congrès refusant de voter des sanctions même limitées.

Ce n'est qu'après son mandat et après la chute du Mur de Berlin que l'ancien chef de l'Etat devient un africaniste convaincu. Entre 1997 et 2005, il effectue une dizaine de voyages pour le compte de sa fondation, dont les objectifs sont de trouver des solutions pacifiques aux conflits, promouvoir la démocratie et fournir de l'aide humanitaire. Piètre président, il devient, comme la presse américaine le surnomme, «le meilleur ex-président». Il s'oppose aux guerres menées par les États-Unis en Irak (1991 et 2003).  Il fonde avec son ami Nelson Mandela, le groupe des Sages.

Son successeur, Ronald Reagan joue de cynisme. En 1985, il se réjouit de l'aministration « réformiste » qui a éliminé la ségrégation dans les lieux publics, en Afrique du Sud. Un an plus tard, il plaide pour la libération de Nelson Mandela tout en condamnant les sanctions économiques (170 sociétés américaines ont coupé les liens commerciaux avec ce pays, mais 127 ont maintenu leurs activités) qui, selon lui, contribuent au chômage des ouvriers noirs.

Après la décomposition de l'URSS, l'Afrique perd à nouveau de son intérêt pour Washington. Les régimes autocratiques s'effondrent. Le multipartisme gagne du terrain et de nouveaux conflits apparaissent.

En 1992, les Américains se lancent dans une opération militaire en Somalie, haut-lieu stratégique de la route des tankers. L'intervention, sous couvert d'aide humanitaire -les vivres ne parviennent plus aux populations, victimes d'une guerre de chefs - se termine de façon catastrophique pour Washington, un an plus tard, avec 14 soldats tués. Les images traumatisent la Maison blanche. Lorsque le Rwanda s'enfoncera dans le génocide en 1994, l'administration américaine avec Bill Clinton à sa tête, «fera son possible pour ne jamais prononcer le mot afin de ne pas être contrainte d'agir» (The Atlantic, septembre 2001). Elle s'emploiera à retirer les quelques casques bleus présents à Kigali et à bloquer l'envoi de renforts au Conseil de sécurité des Nations unies.

Lorsque la guerre civile débute au Zaïre en 1996, Bill Clinton crée une cellule de crise spécifique. Les États-Unis ont décidé de lâcher le président Mobutu et soutiennent l'action du Rwanda et de l'Ouganda, pays où ils sont implantés militairement depuis quelques temps déjà.

Le renouveau

Le Rwanda sera une courte étape mais une étape marquante de la tournée de Bill Clinton en Afrique, puisqu'il regrettera que «les États-Unis et la communauté internationale n'aient pas fait tout leur possible pour contrôler les évènements». Ce voyage, qui s'étale du 23 mars au 2 avril 1998, est le plus long jamais entrepris par un président américain sur le continent africain. Il est d'ailleurs accompagné dans son périple qui le conduit dans 5 pays, par une suite de 1 000 personnes, délégués de la communauté afro-américaine, représentants de groupes internationaux, entrepreneurs intrigués par le récent projet  d'AGOA (African Growth Opportunity Act) destiné à favoriser les échanges commerciaux entre l'Afrique et les États-Unis. Bill Clinton veut réhausser l'image du continent auprès de ses concitoyens. Son but: aider les pays africains à prendre le train de la mondialisation. Pas question de se contenter de fournir de l'aide humanitaire, l'Afrique doit être soutenue économiquement pour se développer par ses propres moyens. Bill Clinton veut s'appuyer sur ceux qu'il appelle «les nouveaux leaders», parmi lesquels on trouve le Rwandais Paul Kagamé et l'Ougandais Museveni.

C'est en 2000 que l'AGOA est approuvé par le Congrès. Il exempte de taxes douanières un éventail de produits (notamment les matières premières), favorise les investissements et offre des garanties pour des prêts.

La lutte antiterroriste

En août 1998, des attentats terroristes frappent les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie. La réplique, un bombardement sur une usine chimique de Khartoum le 20 août, ne laisse pas de doute sur l'état d'esprit de Washington. Lorsque, un an plus tard, les terroristes islamistes interviennent sur le territoire américain, George W. Bush ne tarde pas à reconsidérer son approche du continent.

En 2002, un attentat vise un avion israëlien, à Mombasa (Kenya). À quelques encablures de Manda Bay, une base d'entraînement américaine. Des forces spéciales sont alors envoyées pour stationner à Djibouti. Ils seraient quelques 1 600 soldats aujourd'hui. Objectif n°1 : surveiller la Somalie, État fantôme où prospèrent des courants islamistes et Bab-el-Mendeb, le passage entre océan Indien et mer Rouge et la route du pétrole.

Un émissaire américain est envoyé au Soudan pour faciliter les accords de paix entre Sud et Nord. Ils seront signés en 2005. La guerre au Darfour a remplacé l'affrontement avec les sudistes. Washington surveille les opérations de l'ONU et de l'Union africaine, en retrait.

Confronté à  la liste des pays susceptibles d'être utilisés pour des attaques terroristes en Afrique, le gouvernement américain établit un commandement militaire spécial pour l'Afrique (Africom) basé à Stuttgart, en Allemagne. Le centre entraîne les armées africaines sur le terrain, en espérant leur passer le relais dans la lutte contre le terrorisme. Plus question d'interventions directes. Si les troupes américaines s'engagent, c'est officieux (intervention en Somalie en 2008).

Pétrole et commerce

La succession des guerres en Irak a conduit George Bush à regarder ailleurs pour s'approvisionner en pétrole. Après avoir éliminé l'Angola et le Nigeria, jugés trop corrompus, les entreprises américaines ont choisi la Guinée équatoriale et Sao Tome et Principe. L'aide gouvernementale au développement a suivi.

L'expansion commerciale de la Chine est l'autre aiguillon dans la redécouverte de l'Afrique par les États-Unis. En moins de cinq ans, le président chinois Hu Jintao s'est rendu quatre fois en Afrique traitant avec des États avec lesquels personne dans le monde occidental ne souhaite être (trop) compromis. L'offensive inquiète Washington, d'autant que Pékin, fidèle à lui-même, se fait payer par un système d'échange en matières premières. Sans compter aussi que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine peut s'opposer à des décisions condamnant ses partenaires africains.

En 2008, l'élection de Barack Obama, fils d'un Kenyan, à la tête de la première puissance mondiale, a soulevé l'enthousiasme des foules africaines. C'est un facteur psychologique important pour le continent. Un an après, le Ghana n'apparaît que comme une escapade. Pour son grand voyage à venir, le chef de la Maison blanche devra en dire un peu plus long sur ses intentions.

 

Publié dans Afrique

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