Le viol fait fureur au Sénégal
Le viol fait fureur au Sénégal par Mamadou Doumbes (Abidjan.net - Nord-Sud 20/10/ 08)
Le pays de la Téranga est fortement secoué par la recrudescence des cas de viols. Une situation qui met la société civile sur les dents. «Il ne se passe presque plus de jour sans que la presse ne se fasse l'écho de viols de femmes par des délinquants divers qui recourent, quelques fois, à des procédés tels que la drogue», s'indigne le Pr Iba Der Thiam, vice-président de l'Assemblée nationale sénégalaise, dans un courrier adressé au président de l'institution.
Le courrier a été rendu public par le quotidien Le Soleil, jetant l'émoi au sein d'une société qui se croyait puritaine. L'interpellation de l'élu a surtout levé le voile sur un phénomène qui secoue la société sénégalaise depuis quelques années.
Au cours d'un atelier de formation organisé récemment par l'Ong Save the Children Suède, le sujet a suscité la colère des représentants de la société civile locale. Selon eux, c’est l'Ong Grave qui a crevé l'abcès en faisant l'état des lieux du viol au Sénégal. Elle a recensé près de 400 cas de viols et d'agressions sexuelles dans le pays rien qu'en 2007. L'enquête de Grave a montré que les régions de Dakar, Kolda, Diourbel, Louga, Matam et Tambacounda sont les endroits où l'on viole le plus.
Mais, le chiffre de 400, selon Adama Sow, le président de Grave, est largement en deçà du phénomène quand on sait que les études ont montré que les trois quart des cas de viol et d'inceste ne parviennent pas au tribunal, du fait des considérations socioculturelles. Car, la majorité des victimes ont du mal à briser le silence. Ce qui amène M. Sow à dire que les populations sénégalaises, du fait de la «sutura» (pudeur), assistent impuissantes à ce fléau pernicieux qui gagne chaque jour du terrain. Il se demande même si le Sénégal n'est pas devenu un havre pour détraqués sexuels.
La société civile est évidemment sur les dents pour pousser les politiques à adopter des mesures plus répressives contre les violeurs. Au cours du mois d’octobre, la capitale sénégalaise était encore sous le choc d'un crime odieux survenu le 27 mars dernier à Guédiawaye. Une fillette de 12 ans a été ligotée avec son propre slip, violentée, sauvagement violée. Pendant combien de temps ? Nul ne le sait. Après son forfait, A Ahad Wade, son bourreau, égorgea la pauvre fillette et mis son cadavre dans un sac de riz vide. Dès la tombée de la nuit, il l'enterra dans le terrain vague situé non loin, sous la pluie. Mais, il sera repéré. Pure coïncidence ou justice divine ? Le criminel fuyant ses poursuivants est mortellement renversé par un automobiliste. La consternation est d'autant plus grade que selon le quotidien L'Observateur, la victime «est la fille unique d'une maman dont plusieurs enfants ont été emportés par des maladies dès leur bas âge».
Un autre cas aussi bouleversant est évoqué par des défenseurs des droits de l'Homme. Il s'agit du viol d'une fille de 5 ans par un menuisier de 54 ans, contre 50 Fcfa.
Les journalistes mis en cause :
autour de ces crimes, pour la société civile sénégalaise, il y a une sorte d'impunité qui ne dit pas son nom. D'abord les parents, pour sauver leur honneur, préfèrent bien souvent étouffer le viol. Mais, ce qui choque davantage, c'est lorsque les autorités policières tombent, elles aussi, dans ce laxisme, qui favorise l'impunité. Mt, responsable de la coalition d'Ongs de lutte pour les droits de l'enfant de la région de Tambacounda, dénonce le viol de sept filles en une semaine :«Il a fallu que la population et les jeunes marchent sur le gouvernorat pour que dans les jours qui suivent, les auteurs soient immédiatement arrêtés ». Outre les forces de l'ordre, les journalistes sont aussi mis à l'index pour leur traitement de l'information relative aux cas de viols dans le pays. «Il est inadmissible que les viols soient traités dans la rubrique des faits divers dans les journaux. Cela participe à la banalisation d'un acte criminel. Voyez vous-même la Une de ce quotidien qui met la photo de la petite fille de 12 ans violée et égorgée, tout comme son identité. Et curieusement ils n’en font pas de même pour le criminel.
Un autre responsable de la société civile soulève la légèreté avec laquelle les sujets relatifs au viol sont traités dans la presse, avec souvent pour seules sources les procès verbaux de la police. El Bachir Sow, journaliste-consultant, qui exposait sur les sources et techniques de la collecte des données, a interpellé justement ses confrères sur la situation. Il les a invités à éviter la stigmatisation des victimes. Mieux il les a exhortés à travailler avec tous les compartiments de la société afin de situer la chose dans sa dimension réelle.
Pour d'autres responsables d'Ong, le traitement des cas de viol doit se faire selon les normes de la déontologie journalistique. Cela doit les amener à protéger les victimes et dénoncer les auteurs et leurs complices.
Parce qu'en plus des forces de l'ordre et des journalistes, les parents, aux yeux des défenseurs des droits de l'Homme, sont autant coupables. Une mère de famille a ainsi accepté la somme de 30.000 Fcfa pour étouffer le viol de sa fille.
Les zones les plus touchées sont de l'avis de la société civile et des pouvoirs publics, celles qui accueillent des sites touristiques. Ce sont, entre autres, Dakar, Saly, M’Bour, Kholda, Kaolack, Dioubel etc.
Pour éviter que ce crime ne se transforme en «sport favori» de certains Sénégalais, l'homme politique Iba Der Thiam a tiré sur la sonnette d'alarme dans le courrier cité ci-dessus. Pour le député, il est souvent constaté que «des scènes de viol collectif ont quelques fois lieu au détriment de femmes mariées, ou des jeunes filles sans défense». Alors que « la répression judiciaire semble n'avoir que peu d'effet ». Il s'y ajoute, selon lui, «une recrudescence du phénomène d'inceste, ainsi que celui de pédophilie, devenus récurrents dans certaines zones touristiques, notamment, dans une société où ces formes de déviance étaient, souvent, l'exception». Un tel phénomène porte atteinte, de l'avis du Pr Thiam, «à la dignité de la femme, de la jeune fille et de l'enfant». Il a plaidé pour la mise en place d’une commission parlementaire en vue «d'en déterminer les causes et les conséquences de toutes natures», en accédant aux statistiques de la police et de la justice, en auditionnant, aussi bien les victimes, que les auteurs, en prenant l'avis d'experts (psychologues, sociologues, policiers des mœurs, avocats, magistrats, médecins et sages-femmes, etc.), afin de « préconiser des solutions».