Le Maroc durcit le ton à l’égard des chrétiens
Le Maroc durcit le ton à l’égard des chrétiens par Patricia Briel (Le temps.Ch. 26/06/10)
Depuis le début de l’année, 130 chrétiens ont été expulsés du royaume chérifien. Une ONG dénonce une «épuration religieuse»
A. est encore sous le choc. Début juillet, ce Suisse alémanique, propriétaire d’une agence de tourisme au Maroc, a été expulsé manu militari de ce pays où il vivait depuis plus de dix ans avec sa femme et ses deux enfants. La raison avancée pour justifier ce renvoi? «La police m’a dit que je représentais une menace pour la sécurité nationale et l’ordre public.» G., également citoyen suisse, a été expulsé du Maroc à la fin du mois de mai pour la même raison. Il y vivait depuis onze ans, avec sa femme et ses deux enfants nés sur place.
A. et G. font partie des 130 chrétiens étrangers, pratiquement tous protestants et originaires de divers pays, qui ont été renvoyés du royaume chérifien depuis le début de l’année. Tous deux nient avoir troublé l’ordre public ou menacé la sécurité de l’Etat. Ils sont en revanche convaincus que leur expulsion est due à des motifs religieux, bien qu’ils n’aient pas été accusés de prosélytisme, une action passible de six mois à trois ans de prison dans ce pays maghrébin. Ils contestent avoir tenté de convertir des Marocains au christianisme. Cependant, ni l’un ni l’autre ne cachait son appartenance chrétienne dans la vie quotidienne. «Au Maroc, le simple fait de dire qu’on est chrétien dans une conversation, sans même chercher à convertir qui que ce soit, est déjà considéré comme un trouble à l’ordre public», dit Raymond Favre, porte-parole de l’antenne suisse de Portes ouvertes, une ONG protestante qui défend les chrétiens persécutés dans le monde. Portes ouvertes n’hésite pas à dénoncer une «épuration religieuse», alors que le Maroc est réputé pour sa tolérance envers les autres religions. En juin 2010, l’Eglise évangélique (ndlr: réformée) au Maroc (EEAM), qui bénéficie d’une reconnaissance officielle aux côtés des Eglises catholique et orthodoxe, faisait part «des interrogations» et des «fortes inquiétudes» suscitées par certaines de ces expulsions. Celles-ci révèlent, selon elle, «certains amalgames».
En effet, tout indique que les autorités marocaines ont décidé de faire barrage au prosélytisme actif des quelque 600 missionnaires évangéliques qui se sont installés au Maroc depuis une dizaine d’années. Ce zèle ferait des victimes collatérales parmi des chrétiens non prosélytes mais n’appartenant pas aux Eglises reconnues, et également parmi des chrétiens officiels. «Sur les 130 personnes expulsées, environ cinq faisaient partie de l’Eglise protestante officielle», dit Jean-Luc Blanc, qui a été président de l’Eglise évangélique au Maroc jusqu’au 10 juillet. Les autres étaient issues de différentes dénominations protestantes, qui n’ont pas de statut légal au Maroc. Fait nouveau, Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat et président de la Conférence des évêques de la région Nord de l’Afrique, déplore lui aussi l’expulsion, le 7 mars dernier, d’un jeune frère franciscain égyptien. A ce jour, et bien qu’il ait rencontré quatre ministres, il n’a toujours pas obtenu d’explication de la part des autorités marocaines au sujet de ce renvoi. Mais il refuse de s’inquiéter: «Les chrétiens qui font partie d’une Eglise reconnue s’engagent à ne pas faire de prosélytisme et vivent en bonne intelligence avec les musulmans.»
Jean-Luc Blanc est, lui, plus pessimiste. «Je comprends 75% de ces expulsions, dit-il. Le prosélytisme est interdit, et il y a dans ce pays des missionnaires étrangers qui viennent convertir les Marocains en se cachant derrière des activités humanitaires ou d’enseignement. Souvent, ils n’ont pas de contrat de travail et ne paient pas leurs impôts. Les autorités ont toléré pendant longtemps la présence de ces missionnaires évangéliques ou pentecôtistes. Plutôt que de les accuser de prosélytisme, ce qui impliquerait des procès et des condamnations à l’emprisonnement, les autorités préfèrent les expulser pour trouble à l’ordre public. Il ne s’agit pas d’une épuration religieuse comme le prétend Portes ouvertes, mais d’un recadrage. Cependant, 25% de ces expulsions restent incompréhensibles pour moi.»
Au mois de mars, la Fédération protestante de France (FPF) et l’EEAM publiaient un communiqué commun faisant part de «leur préoccupation quant à la situation des chrétiens au Maroc», en particulier celle des croyants non membres d’une Eglise officielle, qui «vivent des situations d’exclusion à cause de leur foi». Les deux institutions citaient également le cas des chrétiens marocains, une toute petite minorité qui se sent harcelée. Elles faisaient aussi part de leur étonnement quant aux méthodes employées dans certains cas. Au mois de mars, les employés d’un orphelinat chrétien établi depuis dix ans dans la commune d’Aïn Leuh ont ainsi été expulsés du Maroc. Autre cas inquiétant qui signale un durcissement des autorités marocaines à l’égard des chrétiens: des femmes étrangères en situation régulière mariées à des Marocains ont également été expulsées. Portes ouvertes accuse les autorités de séparer les couples binationaux. Selon l’ONG, «il est clair que les autorités marocaines se plient au jeu des islamistes qui font tout pour éliminer tout ce qu’ils jugent être une menace pour l’islam». Une hypothèse que Jean-Luc Blanc n’exclut pas: «Il est possible que les pays du Golfe offrent des financements au Maroc et tentent de durcir sa politique à l’égard des minorités religieuses.»