L’hypersexualité des jeunes émeut et fait débat.

Publié le par unmondeformidable

L’hypersexualité des jeunes émeut et fait débat. Entre enfance et adolescence, sexualité et pornographie, consentement et contrainte, exploration d’une zone grise. (Par Anna Lietti - Source Le temps. CH. 2 février 2009)

Existent-ils encore, les amoureux de Brassens, ceux qui se bécotent sur les bancs publics? Sûr que oui. Mais les passants ne leur jettent plus que des regards attendris. Non loin d’eux dans le parc, un autre type de couple a pris le relais en tant qu’objet de scandale: il ne s’agit plus d’amoureux mais de «fuck friends». Ils sont parfois si jeunes qu’on ne sait plus s’il faut parler d’enfants ou d’adolescents. Et leur activité buccale s’est nettement déplacée: dans la panoplie de leurs jeux sexuels, la «pipe» (fellation) s’est quasiment substituée à la «pelle» («french kiss»).

L’hypersexualisation des jeunes émeut et fait débat. Au Québec, elle fait l’objet d’un programme de prévention gouvernemental, tandis que des voix s’élèvent pour affirmer que le phénomène est exagéré (lire ci-dessous). Le fait est que, comme on parle de pratiques sexuelles consentantes, il échappe en grande partie à la statistique et alimente plus d’une légende urbaine.

L’écolière qui distribue des «pipes» dans les toilettes de l’école est-elle réelle ou fantasmée? Il semble qu’elle existe bel et bien, y compris en Suisse romande. «Nous avons eu un ou deux cas dont nous avons pu nous occuper, dit Geneviève Joliat, responsable des médiateurs scolaires lausannois. Mais nous avons des raisons de penser que le phénomène est plus fréquent, vu l’ampleur qu’ont pris les rites de passage dans les groupes. Bien des choses nous échappent.»  Michel Lachat, président de la Chambre pénale des mineurs de Fribourg, partage cette impression: «A l’école secondaire, ces pratiques existent, c’est sûr. A l’école primaire, c’est plus exceptionnel. Mais je vous rappelle que l’école secondaire commence à 12-13 ans. Les enfants reproduisent des images qui se sont répandues via Internet et les portables. Et ils ne se cachent plus. On m’a rapporté des scènes de fellation vues sur des pistes de ski ou au jardin du Cabalet à Bulle!»

Tous les spécialistes s’accordent pour dire que cette banalisation n’est pas anodine et qu’il est de la responsabilité des adultes de le faire savoir. Pourquoi, comment? Entre enfance et adolescence, sexualité et pornographie, consentement et contrainte, exploration d’une zone grise. «On est dans des âges limite où on ne sait plus très bien s’il faut parler de touche-pipi ou d’acte sexuel», dit Geneviève Joliat. Et Olivier Halfon, chef du service de pédopsychiatrie du CHUV à Lausanne, d’observer qu’on voit aujourd’hui les mêmes filles faire une fellation à leur copain l’après-midi et, le soir, avoir encore besoin d’un doudou pour s’endormir.

Est-il plausible que des enfants prépubères soient attirés par ce genre de jeu? Oui, répond le pédopsychiatre, car «les pulsions sexuelles existent déjà chez les jeunes enfants. Et durant la très mal nommée période de latence, qui couvre en gros la tranche de 6 à 11 ans, les pulsions sont fortes. Longtemps, la pulsion agressive a prévalu, mais maintenant, les enfants grandissent dans un environnement nettement plus sexualisé, et la pulsion sexuelle chez eux est probablement tout aussi puissante. Comme elle ne se heurte plus à aucun interdit, on a vite fait de dépasser le simple baiser». Le problème, ajoute le psychiatre, est que «tout cela advient sur un terrain psychiquement et physiquement immature».

Pas de quoi se prendre la tête? Ce qui est sûr, c’est que, pour un même acte, la perception n’est pas la même selon l’âge. Face à un jeune qui dit: «Ce n’est rien, on s’amuse», ne faudrait-il pas simplement prendre acte plutôt que d’en faire tout un plat? «Il faut faire attention à ne pas dramatiser, du moment que pour eux, ce n’est pas un drame», dit Geneviève Joliat. Mais l’affaire est plus délicate, ajoute-t-elle, car c’est précisément cette banalisation qui risque de leur jouer des tours par la suite: «Un jour, la fille grandit, elle entre dans un véritable rapport amoureux, elle se rend compte qu’il ne commence pas par une fellation et elle se sent mal. C’est pourquoi les adultes, sans dramatiser, doivent accompagner ces jeunes, leur dire que la sexualité, ce n’est pas que ça et qu’ils doivent se protéger.»

Olivier Halfon renchérit: «Ce n’est pas parce que les enfants ne se rendent pas compte qu’il n’y a pas traumatisme, au contraire.» Lorsque le geste est consenti, dans le cadre d’un lien réciproque et d’un rapport de force équilibré, il n’a rien de traumatisant. «Ce qui fait la différence, précise-t-il, c’est la qualité du lien. Le problème est que lorsqu’une fille accepte de faire une fellation, c’est le plus souvent dans une relation où elle est soumise et humiliée. Même si elle n’a affaire qu’à son petit copain, ce dernier ira volontiers s’en vanter ensuite et elle se retrouvera avec une relation difficile à gérer. Le risque pour elle est de reproduire l’humiliation subie en se mettant en position de victime toute sa vie.» 

Dans les colloques spécialisés, les intervenants parlent volontiers de «comportements préprostitutionnels». D’autant plus que le garçon peut «prêter» sa copine à d’autres en exerçant sur elle un chantage affectif: «Si tu m’aimes…» ou «Si tu veux faire partie de la bande…» «Les enfants ont toujours joué au docteur. Mais on assiste actuellement à des phénomènes de groupe où s’exercent des pressions malsaines», conclut Geneviève Joliat.

Où commence l’abus?  Michel Lachat rappelle quelques données juridiques: un adulte est punissable s’il a une relation sexuelle avec un mineur, même consentant. Entre mineurs, est punissable la personne qui a plus de trois ans d’écart avec son partenaire. Quant au viol, il n’existe pénalement que s’il y a pénétration vaginale. Autant dire que la loi ne règle pas d’emblée le cas de la fille humiliée mais consentante décrit plus haut. «Si elle est d’accord, il est difficile de dire s’il y a faute pénale», observe le juge fribourgeois. La question, souvent délicate, est alors de savoir s’il y a «contrainte», physique ou psychologique. Face à un garçon qui a persuadé sa copine de se prêter à d’autres, Michel Lachat n’a pas d’état d’âme: «Je veux qu’il soit jugé.» Et même s’il échappe à une condamnation, il aura au moins rencontré sur son chemin un adulte qui lui signifie son indignation. «Faute pénale ou pas, il y a certaines choses qu’il ne faut pas laisser passer. Je le dis aux enseignants: si vous voyez quelque chose pendant les cours, il faut intervenir.»

Comment réagir? Intervenir, c’est ce qu’a fait cette enseignante lausannoise le jour où elle a surpris cinq garçons et une fille sortant précipitamment d’une cabine de toilettes. «Elle disait que tout allait bien et sa prof de classe me faisait remarquer qu’après tout, je n’avais rien vu. J’ai écrit aux parents, ils tombaient des nues en découvrant que leur fille se changeait en sortant de la maison et venait très déshabillée à l’école. Ils ont parlé, ils lui ont expliqué qu’elle se mettait en danger, elle a changé d’attitude et tout le monde était soulagé.» Tous les parents et tous les enseignants n’ont pas cette attitude, regrette Michel Lachat. Souvent, leur silence vient de ce qu’ils ne savent pas comment réagir. Geneviève Joliat: «Il ne s’agit pas de punir ou prendre les choses au tragique. Le rôle des adultes, c’est de mettre des mots sur les choses pour leur donner un sens. Contre la banalisation, il faut quelqu’un qui dit: non, ce n’est pas banal.»

 

 

Enquête sur les jeux sexuels des jeunes Québécois. Des spécialistes arrivent à des conclusions contradictoires. (Par Gwenaëlle Reyt. Source Le Temps. CH. 02/02/09)

Vêtements sexy portés par des fillettes, «fuckfriends» ou fellations entre préados: la sexualisation précoce préoccupe les Québecois depuis cinq ans. Les spécialistes se penchent sur la question et arrivent à des conclusions contradictoires.

Depuis 2006, Francine Duquet et Anne Quériat, respectivement sexologue et sociologue à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dirigent un projet qui vise à comprendre la sexualisation précoce des jeunes. Leurs résultats ont permis de mettre en place un programme de formation qui s’intitule «Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation». Soutenu par le gouvernement québécois, ce projet est destiné à toutes les personnes intervenantes auprès des enfants et des adolescents. Dans sa pratique, Francine Duquet a constaté que le phénomène d’hypersexualisation des jeunes avait pris de l’ampleur. Elle l’explique par l’omniprésence du sexe dans notre société. «Il n’y a pas que la pornographie. La publicité, les émissions de télé-réalité comme Loft Story et les magazines donnent une image biaisée des rapports entre les personnes. La séduction, la beauté physique et la performance sexuelle sont devenues des préoccupations même pour les enfants. Certains n’arrivent pas à être critiques par rapport à ce qu’ils voient.»

Désarroi et impuissance Face à ces comportements, les adultes ne savent pas forcément comment réagir. «Une mère a trouvé un message écrit par sa fille de 13 ans sur un «chat». Celle-ci répondait à son interlocuteur qu’elle acceptait de lui faire une fellation et d’avaler ensuite», explique Francine Duquet. «On ne peut pas simplement dire «Ah! Les jeunes!» Les enfants n’ont pas les outils pour comprendre.» Partisane de la franche confrontation dans ses interventions, la sexologue met les jeunes en situation. «Je leur demande: Et si c’était ta sœur? Il faut leur apprendre à avoir de l’égard pour autrui et s’inquiéter de leur perception de l’amour, des autres et des relations», se préoccupe Fabienne Duquet.

Mylène Fernet, également professeure en sexologie à l’UQAM, considère que l’on dramatise la situation. En se référant aux données canadiennes sur la sexualité et aux entretiens qu’elle a menés auprès de jeunes, elle arrive à la conclusion qu’ils n’ont pas la sexualité qu’on leur attribue. Elle prévient des effets pervers: «Ils entendent parler de gang bang, de fellations en public, de tournante, mais aucun d’entre eux n’a assisté à de tels actes. Ils se demandent s’ils sont normaux de ne pas faire comme tout le monde. Indirectement, on leur impose une nouvelle norme de la sexualité. Finalement, qui participe à la construction de l’hypersexualisation? Les jeunes eux-mêmes, ou les médias, les parents et les intervenants?»

Pour Martin Blais, professeur en sexologie à l’UQAM, la vision normative des adultes joue en effet un rôle: «Une des tâches de l’adolescence est d’explorer la sexualité. Quels sont les critères de ce qui doit être fait ou pas? Il faut peut-être aussi que les adultent se questionnent sur ce que nous sommes prêts à accepter des jeunes.»

Francine Duquet, quant à elle, refuse l’idée de dramatisation et préfère une approche préventive. «Ce n’est pas la majorité des jeunes, certes, mais ils peuvent être témoins et subir des pressions. Ce n’est pas de la pruderie. C’est à nous de les préserver et de ne pas banaliser ce qui se passe.»

Publié dans Société

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