Kosovo. Les camps rroms de la honte fermeront-ils un jour ?

Publié le par Un monde formidable

Kosovo : les camps rroms de la honte fermeront-ils un jour ? Par Serbeze Haxhiaj. Traduit par Belgzim Kamberi (Le Courrier des Balkan.11 mars 2010)

De nombreux Rroms ont trouvé refuge dans des camps du Nord du Kosovo, victimes collatérales du conflit de 1999-2000. Les Albanais, les accusant d’avoir collaboré avec les Serbes, ont brûlé leurs maisons. Le taux de mortalité infantile particulièrement élevé témoigne de l’insalubrité dans laquelle ils vivent depuis dix ans, sans eau ni chauffage. La plupart espèrent migrer vers l’UE, les autres pensent au suicide. Un reportage édifiant de notre correspondante au Kosovo.

Une couverture mouillée à moitié déchirée et un pantalon d’enfant. C’est tout ce qu’a pu trouver Gjylieta Bahtiri, une rrom du camp de Leposavić/Leposaviq, dans les poubelles ce matin. Chaque midi, après son « travail », elle revient au camp nourrir ses trois enfants. Originaire de Vushtrri/Vučitrn, elle a trouvé refuge dans ce camp depuis maintenant dix ans. Elle vient juste de perdre son mari, mort d’un cancer... Après avoir perdu son fils qui n’avait pas deux ans. Ce fut le parcours du combattant pour les enterrer, car il n’y a pas de place pour les morts, ici. Des morts, qui souvent sont de jeunes enfants.

« On a brûlé ma maison. Nous nous sommes réfugiés ici avec ma famille, car on nous a dit que la Kfor donnait à manger. Depuis, onze années se sont écoulées... Ici, même les animaux ne survivent pas. Il n’y a pas de place pour enterrer nos enfants, qui meurent de faim ou de diverses maladies », soupire Gjylieta, l’une des 36 chefs de familles de ce camp qui compte environ 200 réfugiés. De loin, la vue du camp fait peur. Le camp se situe dans un petit espace, d’où l’on distingue des planches et des tôles. Les chambres improvisées sont minuscules. Les couloirs exigus et sombres. Il n’y a ni eau ni canalisations ni chauffage. Un autre petit rrom, âgé de 18 mois vient juste de mourir au camp de Cesmin Lug, quelques kilomètres plus loin, à Mitrovica. « Nous ignorons les causes réelles du décès, mais on dit que c’est à cause du plomb », affirme Gjylieta.

La majorité des familles du camp de Leposavić/Leposaviq viennent de la région de Mitrovica, mais certaines sont aussi arrivées d’autres secteurs du Kosovo. Maintenant, ces Rroms résident à Leposavić/Leposaviq, une ville à majorité serbe du Nord du Kosovo. Sous contrôle des structures parallèles serbes, la municipalité échappe toujours à la juridiction de Priština/Prishtina. Seuls quelques Rroms perçoivent 50 euros d’aide sociale du gouvernement kosovar. Une somme insuffisante pour vivre, étant donné que les foyers comptent en général 6 ou 7 membres.  Le « chef » du camp, Skender Gushani, raconte que rien n’est proposé aux familles. « Tout ce que l’on demande, c’est un logement et de la nourriture. Nos enfants meurent de faim ». Ce Rrom a improvisé un bureau, où il reçoit le peu de personnes qui viennent s’intéresser à la vie du camp. À l’entrée de son « bureau », il a dessiné le drapeau rrom, qui décore la photo de l’ancien dirigeant communiste yougoslave, Josip Broz Tito. Le portrait semble symboliser une période où il vivait mieux.

Dans le camp de Cesmin Lug au Nord de Mitrovica, le tableau est sensiblement le même. Ce camp a été construit en 1999 par la Mission des Nations-Unis au Kosovo, la Minuk. Il se situe a proximité de la fonderie de métaux. À un endroit où les habitants ont constaté un fort taux de contamination au plomb. Cela fait aujourd’hui onze ans qu’environ 90 familles, soit 500 personnes, vivent là. À Cesmin Lug, le taux de mortalité est encore plus élevé qu’à Leposavić/Leposaviq, surtout celui des enfants.  Il y a trois ans, à la suite de l’alerte de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et d’autres associations militant en faveur des droits de la personne, la Minuk a tenté d’installer un autre camp, 50 mètres plus loin, ce que les réfugiés ont refusé, revendiquant qu’on les reloge loin de la zone. « Nous vivons dans une décharge et les microbes nous mangent vivant. Nous alimentons notre sang avec du plomb et notre ventre avec les déchets trouvés dans les poubelles de Mitrovica. Que Dieu nous voit, Inchallah... », s’indigne Sebiha Bajrami, étonné que les habitants de Cesmin Lug n’aient pas encore été décimés par une épidémie. Deux enfants de son voisin sont morts récemment. Ils avaient deux et quatre ans.

Peu d’enfants du camp vont à l’école et la plupart sont analphabètes. Jusqu’en juin 1999, quelques milliers de Rroms vivaient dans la partie Sud de Mitrovica. Leurs maisons ont été principalement détruites après la fin de la guerre par les Albanais, qui les accusaient d’avoir collaboré avec le régime serbe. « J’ai peur de rentrer au Sud. Je ne veux pas y aller. Je veux qu’on me construise une maison ici », lance Shahire Begeshi. Le maire albanais de Mitrovica, Avni Kastrati, laisse entendre que des projets sont en cours pour les résidents du camp. « Bientôt, on va commencer la deuxième phase de construction des maisons. Environs 90 habitations vont être bâties », affirme-t-il.  Les Rroms d’ici ne cachent pas leur désir d’émigrer à l’étranger. « Le mieux serait qu’on aille vivre dans des pays de l’UE », glisse Blerim, jeune rrom de trente ans, qui habite justement avec une famille rrom fraîchement rapatriée d’Allemagne. Fatime a vécu 16 ans en Allemagne avant d’être expulsée au Kosovo. Ses enfants ne parlent que l’allemand. Elle dit que la vie dans le camp lui donne souvent l’envie de se suicider.

Les politiques européens qui ont visité ces camps n’en ont pas cru pas leurs yeux. Ils ont tiré la sonnette d’alarme et réclamé la fermeture des deux camps, mais jusqu’à présent ils n’ont, semble-t-il, pas été entendu par les décisionnaires locaux et internationaux.  Lors de sa visite dans ces camps rroms, le Commissaire au Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Tomas Hammarberg, a qualifié de « scandaleuse » l’existence de ces camps. « J’ai honte qu’une telle situation puisse avoir cours en Europe. La communauté internationale a une large part de responsabilité. Et en plus, on tolère le retour forcé de ceux qui vivent dans les pays occidentaux dans de telles conditions. La libéralisation des visas doit être distinguée des procédures de retour », s’emporte-t-il.   Accablée par la situation, l’eurodéputée verte allemande Barbara Lochbihler s’est rendue personnellement dans ces camps. « Ce que l’on voit est bouleversant. C’est terrifiant... C’est injustifiable d’obliger les gens à vivre dans de telles conditions. C’est un endroit honteux... », se lamente-t-elle.

Le 17 février, le Kosovo a fêté ses deux ans d’indépendance, le jour où fils de Gjyljeta qui vient de mourir aurait eu deux ans. Un triste anniversaire pour les siens...

 

 

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