Israel. On tire et puis on pleure... Encore une guerre pour rien

Publié le par unmondeformidable

On tire et puis on pleure  par Gidéon Lévy (Ha’Aretz, Tel-Aviv - Source : Le Courrier International du 15 au 21/01/09)

(Extraits)  Cette guerre, peut-être plus encore que celles qui l’ont précédée, met à nu les tendances les plus profondes de la société israélienne. Le racisme et la haine ont relevé la tête, comme le désir de vengeance et la soif de sang. L’“esprit du commandement” de Tsahal est, pour l’instant, de “tuer le plus possible”, ainsi que l’expliquent les correspondants militaires de la télévision.

Cette agressivité et cette brutalité débridées nous sont présentées comme des “mesures de prudence” : le déséquilibre effarant en termes de sang versé (près de 100 Palestiniens tués pour 1 Israélien) ne semble pas susciter d’interrogations, un peu comme si, comble du racisme, nous avions fixé le prix de leur sang à une valeur cent fois moindre que le nôtre. La droite, le nationalisme, le chauvinisme et le militarisme sont aujourd’hui très tendance. Fichez-nous la paix avec votre humanité !

Une autre voix se fait entendre, sans doute la pire de toutes. Il s’agit de la voix des hypocrites et des vertueux. Mon confrère Ari Shavit en est sans doute le porte-parole le plus éloquent. Voilà quelques jours, Shavit a écrit dans les colonnes de Ha’Aretz [le 7 janvier] : “L’offensive israélienne est justifiée. Seule une initiative humanitaire généreuse démontrera que, même durant les combats cruels que nous sommes contraints de mener, nous n’oublions pas que, de l’autre côté, il y a aussi des êtres humains.”

Que veut Shavit ? Que nous tuions et qu’ensuite nous envoyions des hôpitaux de campagne et des médicaments pour soigner les blessés ? Il sait pourtant que, menée contre une population impuissante et qui n’a nulle part où fuir, une guerre est cruelle et abjecte. Ce que veulent des gens comme Shavit, c’est sauver la face. Larguer des bombes sur des immeubles résidentiels, puis soigner les blessés à Ichilov [hôpital de Tel-Aviv]. Bombarder les refuges aménagés dans les écoles de l’ONU, puis amener les survivants à Beit Lewinstein [un centre de réadaptation]. Tirer et puis pleurer. C’est de l’hypocrisie éhontée. Je préfère encore ceux qui lancent des appels enflammés pour tuer encore davantage. Ils ont au moins le mérite d’être francs.

On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. Ce qui se passe à Gaza n’est pas une catastrophe naturelle qui nous donnerait le devoir et le droit de tendre la main aux victimes, d’envoyer des équipes de secours. Les catastrophes qui sont en train de s’abattre sur Gaza ne sont pas l’œuvre du diable, mais celle de l’homme, notre œuvre. Ce n’est pas avec du sang sur les mains que l’on peut offrir de l’aide. Pourtant, certains demandent le beurre et l’argent du beurre. Tuer et détruire de façon indiscriminée, mais en sortir ensuite comme le gentil de l’histoire et la conscience tranquille. Se lancer dans des crimes de guerre, mais en sortir sans le moindre sentiment de culpabilité. Cette demande est indécente. Quiconque justifie cette guerre doit en assumer tous les crimes. Quiconque prêche cette guerre et légitime le carnage de masse qu’elle a provoqué n’a aucunement le droit de parler de moralité et d’humanité. Il n’est pas possible de tuer et de soigner à la fois.

Cette attitude est pourtant la représentation fidèle de cette dualité israélienne si caractéristique : commettre le pire, mais se sentir propre. Tuer, démolir, affamer, emprisonner et humilier, mais se sentir juste, voire vertueux. Il n’est pas possible de laisser les prêcheurs de guerre se payer un tel luxe. Quiconque justifie cette guerre en justifie aussi les crimes.

 

Encore une guerre pour rien par Tom Segev (Ha’Aretz, Tel-Aviv - Source : Le Courrier International - 01/01/09)

Israël a certes raison d’essayer de protéger ses citoyens des tirs du Hamas. Mais la méthode musclée, tant de fois utilisée,n’a jamais abouti.

Samedi dernier [le 27 décembre], la première chaîne de télévision israélienne nous a proposé un aperçu intéressant : ses correspondants faisaient leur commentaire de Sderot et d’Ashkelon [des villes israéliennes], mais les images qui s’affichaient à l’écran provenaient de la bande de Gaza. Ce faisant, le message formulé – sans doute bien involontairement – était on ne peut plus fidèle à la réalité : un enfant de Sderot vaut un enfant de Gaza et quiconque s’en prend à eux est méprisable. L’offensive sur Gaza ne mérite pas seulement une condamnation morale, mais aussi quelques menus rappels historiques. Tant la justification donnée à cette offensive que le choix des cibles sonnent comme une répétition des mêmes considérations de base qui se sont toujours révélées erronées, guerre après guerre. Mais Israël s’y accroche envers et contre tout.

Ainsi, Israël aurait décidé de frapper les Palestiniens dans le but de “leur donner une leçon”. C’est là une considération qui accompagne l’œuvre sioniste depuis sa genèse : nous sommes les représentants du Progrès et des Lumières, de la raison complexe et de la moralité, tandis que les Arabes sont une racaille primitive et violente, des gamins qui doivent être éduqués avec – bien entendu – la méthode de la carotte et du bâton, comme le fait le charretier avec son âne.

Le bombardement de Gaza est aussi censé “liquider le régime du Hamas”, le tout enchaîné avec une de ces autres considérations qui font le sel du mouvement sioniste depuis sa fondation : il est possible d’imposer aux Palestiniens l’émergence d’une direction “modérée”, c’est-à-dire une équipe qui renoncera à leurs aspirations nationales. Toujours dans cet ordre d’idées, Israël croit encore et toujours qu’en infligeant souffrance et désolation aux civils palestiniens on les poussera à se révolter contre leurs dirigeants nationaux. L’histoire devrait pourtant nous démontrer que rien n’est plus faux. Toutes les guerres d’Israël se sont fondées sur l’une ou l’autre de ces considérations qui peuvent se résumer par : “nous ne faisons que nous défendre”. “Un demi-million d’Israéliens sous le feu” était le titre qui barrait la une du Yediot Aharonot ce dimanche 28 décembre. Comme si ce n’était pas toute la bande de Gaza qui subissait un siège interminable imposé par Israël, qui y a détruit toute perspective de vivre dans la dignité pour au moins une génération.

Il est évidemment impossible pour quiconque de vivre sous les tirs quotidiens de missiles, mais aucun lieu sur terre ne peut aujourd’hui prétendre vivre dans une situation de “terrorisme zéro”. Il n’en reste pas moins que le Hamas n’est pas une quelconque organisation terroriste qui tiendrait en otages tous les habitants de Gaza. C’est au contraire un mouvement nationaliste et religieux qui jouit de l’assentiment d’une majorité de Gazaouis. On peut évidemment déclencher une attaque contre lui, et, vu la perspective des législatives israéliennes [du 10 février 2009], cette attaque débouchera sans doute sur une sorte de cessez-le-feu. Mais il est une autre vérité historique qu’il est peut-être bon de rappeler dans ces colonnes : depuis l’aube de la présence sioniste en Terre d’Israël [la Palestine entre la Méditerranée et le Jourdain], aucune opération militaire n’est jamais parvenue à faire progresser un quelconque dialogue avec les Palestiniens. Le plus dangereux de tous nos clichés est sans doute celui selon lequel il n’y a personne à qui parler. Il y a toujours moyen de parler, y ­compris avec le Hamas, étant donné qu’Israël a des choses à proposer à cette organisation politique : la levée du siège de Gaza et la restauration de la liberté de circulation entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, dans le but d’améliorer les conditions de vie. Dans le même ordre d’idées, il serait peut-être bon que nous dépoussiérions les vieux projets jadis élaborés après la guerre des Six-Jours [en juin 1967] et selon lesquels il fallait permettre à des milliers de familles [palestiniennes] de Gaza de se réimplanter en Cisjordanie. Si ces projets n’ont finalement jamais vu le jour, c’est parce que la Cisjordanie était destinée à la ­colonisation juive de peuplement. Cette dernière fausse considération a causé beaucoup de dégâts, et nous n’avons pas fini d’en payer le prix.

Publié dans Palestine - Israël

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