Israël. Le lent divorce des Juifs américains d’avec Israël
Le lent divorce des Juifs américains d’avec Israël par Jacob Weisberg (Source : Le Courrier international. N° 2013)
Sur fond de tensions entre Washington et Tel-Aviv, les relations entre les Juifs de gauche américains et l’Etat hébreu se détériorent.
A peine avait-elle été commise que l’“insulte” infligée par Benyamin Nétanyahou à Joe Biden était présentée par l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis comme la crise la plus grave qu’aient connue les deux pays en trente ans [le 9 mars, les Israéliens ont provoqué la colère du vice-président américain en annonçant la construction de nouveaux logements dans les colonies durant sa visite à Tel-Aviv]. Cette dernière affaire montre que les relations américano-israéliennes sont en train de changer, ce qui aura de profondes répercussions sur les deux parties. On ne peut pas parler de rupture, mais Israël et ses alliés traditionnels au sein du Parti démocrate s’éloignent les uns des autres. Autrement dit, la solidarité instinctive que la gauche américaine et de nombreux Juifs de gauche ont toujours éprouvée envers l’Etat hébreu est sur le déclin. Ce désenchantement se reflète dans les sondages. A en croire l’institut Gallup, le gouffre entre républicains et démocrates face à Israël s’est creusé depuis peu. Parmi les républicains, 80 % se déclarent favorables à Israël, contre 53 % des démocrates. Selon une autre enquête, seuls 54 % des Juifs américains de moins de 35 ans qui ne sont pas orthodoxes “approuvent l’idée d’un Etat juif” (contre plus de 80 % des plus de 65 ans). Enfin, d’après un autre sondage, les plus jeunes ne sont que 20 % à se sentir “très attachés” à Israël.
Il y aurait de quoi écrire un livre sur les raisons de ce désamour progressif des gens de gauche, en particulier des Juifs, envers Israël. Mais il s’explique avant tout par l’occupation israélienne de territoires arabes et par la politique de colonisation. L’Etat hébreu n’avait jamais eu l’intention de s’emparer de la Cisjordanie et de Gaza, il les a sur les bras depuis la guerre des Six-Jours. Mais des décennies d’une occupation brutale ont fait des Palestiniens expropriés, depuis longtemps partisans d’une solution à deux Etats, les victimes sympathiques du conflit. Le sionisme révisionniste – l’affirmation, fondée sur la Bible, qu’Israël a un droit sur ces territoires – a sapé en profondeur la stature morale du pays. Le fait d’encourager les extrémistes religieux et politiques à s’installer dans ces territoires enfonce un coin entre Israël et ses alliés américains de gauche, qui considèrent les annexions comme à la fois irréalistes et immorales. Mais s’il paraît évident aux yeux de la plupart des Juifs américains que l’implantation de colonies est une idiotie, ce n’est pas le cas de la majorité des Israéliens. Ces derniers ont choisi un Premier ministre qui incarne le rejet de la solution à deux Etats.
Dans le même temps, la tendance à l’inhumanité – il n’y a pas d’autre terme – manifestée par Israël dans ses efforts pour se protéger du Hezbollah et du Hamas a rebuté la gauche américaine. A moins d’une percée dans le processus de paix ou d’un changement dans le gouvernement israélien, je pense que cet éloignement ne peut que s’accentuer, les partisans du Likoud, les républicains, la droite religieuse et l’AIPAC [le principal lobby pro-israélien de Washington] se regroupant dans un camp, ceux de Kadima, les démocrates, les laïcs et J-Street [lobby pro-israélien pacifiste fondé en 2008] en formant un autre. Difficile de dire si c’est une bonne nouvelle, tant pour Israël que pour les démocrates. La gauche américaine est un prolongement de la conscience d’Israël. Quand Israël se détourne d’elle, il devient plus brutal et se retrouve davantage isolé. Pour les démocrates, le fractionnement du soutien de l’électorat juif, crucial en termes de fonds mais aussi dans quelques Etats stratégiques, est tout sauf bon signe. Ceux qui ont entrepris le “grand schlep” jusqu’en Floride pour convaincre leurs grands-parents de voter Obama doivent maintenant en entendre des vertes et des pas mûres. En 2008, Obama avait remporté près de 80 % du vote juif. Je crains fort qu’il n’en aille pas de même en 2012.