Irak. La loi du talon
La loi du talon par Issa Goraeib (L’Orient Le Jour. Beyrouth. 18/12/08)
Plus d’un grand de ce monde a eu à essuyer, à un moment de sa carrière, des jets de tomates mûres, d’œufs pourris et même de tartes à la crème. Et si c’est la première fois qu’une paire de chaussures prend pour cible l’homme le mieux protégé du monde, à savoir le président des États-Unis, cet article vestimentaire n’est pas tout à fait un nouveau venu dans la galerie des bizarreries contestataires entrées dans l’Histoire : c’est bien en martelant son pupitre de son gros soulier, en pleine Assemblée générale des Nations unies, que le Premier ministre d’Union soviétique Nikita Khrouchtchev accédait en 1960, par la porte du scandale et du jamais-vu, à une notoriété véritablement planétaire.
Triste et cocasse tout à la fois, le Shoesgate de Bagdad met en lumière deux évidences résolument navrantes, elles:
La première est que jamais l’image des États-Unis n’a paru plus ternie, plus exposée à l’offense qu’en cette fin de règne de George W. Bush. Par la rapidité de ses réflexes, par son sens de la répartie et de l’humour, le Texan a fait preuve, certes, d’une élégance plutôt inattendue face à l’affront ; mais il n’a fait que limiter au mieux les terribles dégâts de cette arme de ridiculisation massive que furent les chaussures taille 44 lancées contre lui. Que cette vulnérabilité tant physique que morale de la superpuissance US ait été démontrée à Bagdad même peut passer, un peu partout, comme l’expression d’une justice immanente : non seulement le gâchis irakien est largement avéré aujourd’hui, mais ce sont tous les maux de la planète – y compris l’actuelle crise financière – que d’aucuns attribuent volontiers à l’ère Bush. C’est dire l’énormité de la tâche de reconstruction qui attend Barack Obama.
La deuxième et malheureuse évidence, en revanche, est que jamais les vieilles frustrations arabes, pour compréhensibles qu’elles soient, pour motivées qu’elles puissent être, n’auront trouvé plus lamentable matière à défoulement que cet incroyable tir de savates rediffusé en boucle par les télés et battant tous les records de visionnement sur le Net. C’est un inévitable retour de talon que l’on a là. Car si ce geste a indiscutablement humilié un des présidents américains les plus haïs dans le monde et les plus impopulaires dans son propre pays, il n’honore guère pour autant son auteur. Et encore moins ceux qui, aux quatre coins du monde arabe (et bien entendu au Liban), ont vite fait de promouvoir celui-ci en héros de la nation.
Ce n’est certes pas de courage qu’a manqué Mountazer al-Zaïdi, c’est de fidélité à sa mission de journaliste, censé mener son combat avec son cerveau, sa plume ou sa caméra, et non pas avec ses gros sabots. C’est d’honnêteté intellectuelle que manquent, pour leur part, ceux qui le portent aux nues et qui, sous couvert d’une lutte de libération contre l’Affreux Yankee, en viennent à cautionner les plus odieuses des dictatures proche et moyen-orientales.
Il y a décidément bien des babouches qui se perdent...