Irak. A Bassora, les chrétiens craignent davantage de persécutions
Après l’interdiction de l’alcool à Bassora, les chrétiens craignent davantage de persécutions par Karim Jamil / AFP (Source : L’Orient Le Jour. 24/08/2009)
La communauté chrétienne de Bassora craint que la décision prohibant l'alcool, prise par le conseil provincial à l'instigation des partis chiites, ne relance les persécutions à son encontre. « Les hors-la-loi utiliseront cette décision contre nous, car certains chrétiens ne fermeront pas leurs magasins d'alcool qui sont leur unique gagne-pain », assure Saher Youssef, un ingénieur chrétien de 40 ans. « Le gouvernorat n'a pas pensé aux conséquences d'une telle décision », ajoute-t-il.
Des 5 000 âmes chrétiennes à l'époque de Saddam Hussein, il ne reste plus que la moitié dans cette ville du Sud irakien, après les exactions commises par les milices islamistes dans le chaos ayant suivi la chute du dictateur en 2003 dans la foulée de l'invasion américaine.
Durant deux ans, une centaine de débits de boisson ont été détruits et des dizaines de chrétiens tués. Beaucoup ont fui au Kurdistan (Nord) ou ont quitté le pays. Pour la première fois en Irak, le conseil provincial a décidé le 2 août d'infliger une amende de 5 millions de dinars (4 270 dollars américains) à « toute personne vendant, buvant en public, fabriquant ou important de l'alcool à Bassora ». « Notre décision est basée sur la Constitution qui interdit ce qui va à l'encontre des principes de l'islam », soutient le vice-gouverneur Ahmad al-Soulaiti. La Constitution stipule que « l'islam est la religion d'État et la source fondamentale de la législation ». Durant la séance, l'unique conseiller chrétien était absent et seuls les deux représentants de la Liste nationale irakienne d'Iyad Allaoui (laïque) s'y sont opposés. La « Liste de l'État de droit » du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, majoritaire au conseil, a voté pour, comme les autres factions chiites et sunnites.
Néanmoins, dans les autres villes d'Irak, dont Bagdad, l'alcool est autorisé. Vendredi soir, les gens s'étaient précipités dans les magasins pour acheter des boissons alcoolisées, car ceux-ci ferment durant le mois de jeûne du ramadan.
« C'est l'œuvre de certaines factions confessionnelles qui sont dangereuses pour les Chrétiens. Elles ont réussi à imposer leur volonté à la province » de Bassora, affirme Georges Nasser George, un journalier de 58 ans. « La majorité des partis contrôlant Bassora veut imposer ses idées religieuses au lieu de prendre des décisions dans l'intérêt de la population », assure le conseiller provincial chrétien, Saad Boutros. Selon lui, « interdire l'alcool n'apportera ni la sécurité ni les services de base. Les habitants se fichent de savoir qui boit ou pas de l'alcool. Ils sont préoccupés par les projets d'investissement et le nettoyage des ordures ». M. Boutros est revenu au conseil provincial après l'avoir boycotté. « Je demandais sans succès du travail pour 70 chrétiens et un financement pour restaurer deux des sept églises de la ville », dit-il. « Mes père et grand-père avaient tenu le magasin d'alcool, et cela fait plus de vingt ans que je m'en occupe, je ne sais rien faire d'autre. Mes clients considèrent ce décret comme injuste », explique Saad Firas, 38 ans. L'interdiction a entraîné une flambée des prix. « La bouteille d'arak qui se vendait 10 000 dinars (9 dollars américains) en vaut aujourd'hui 25 000 (21 dollars américains). Comme la police nous traque, je suis obligé de vendre en secret de chez moi », confie Mazen Moustapha. Et aujourd'hui, les habitants de Bassora ont déserté les berges du Chatt el-Arab où ils venaient se rafraîchir en sirotant bière et arak. « Interdire l'alcool, est-ce cela la démocratie ? Ils ne se préoccupent pas de l'électricité, mais se mêlent des droits élémentaires du citoyen », s'emporte Hassan Mohammad, un commerçant musulman de 35 ans. Jusque-là, les boissons provenaient du Kurdistan et, en contrebande, du Koweït et de Dubaï. Une dizaine de débits d'alcool dans la ville avaient pignon sur rue. Mais deux jours après l'interdiction, les autorités ont détruit une échoppe en guise d'avertissement.