Gaza. Une des causes du désordre du monde
Mettre fin au silence européen sur les crimes israéliens de Gaza par Françoise Germain-Robin. Barcelone, envoyée spéciale. (L’Humanité. 11 mars 2010)
Les trois jours de travaux du tribunal Russell sur la Palestine ont mis en pleine lumière les « manquements de l’Union européenne et de ses États membres » à l’interdiction de contribuer aux violations du droit international commises par Israël. Cela concerne des domaines tels que « les ventes d’armes et de composants d’armes », « les exportations de produits en provenance des colonies », le fait que l’UE n’exige pas le remboursement des infrastructures qu’elle a financées et qu’Israël a détruites à Gaza, ni « le respect des droits humains inscrit dans l’accord d’association avec Israël ». Circonstance aggravante, l’UE ne peut plaider l’ignorance : des rapports accablants lui sont transmis par ses propres représentants diplomatiques sur le terrain, rapports enterrés et interdits de publication par la Commission ! Composé de personnalités internationales de premier plan, dont certaines comme Gisèle Halimi avaient participé au premier tribunal Russell sur le Vietnam, le jury n’avait pas à juger les crimes d’Israël : la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la Cour internationale de justice avec son avis de 2004 sur le mur et le rapport Goldstone de 2009 sur la guerre à Gaza l’ont fait. Le bouleversant témoignage d’Ewa Jaskiewicz, bénévole dans les services d’urgence pendant la guerre de Gaza, a rappelé l’horreur de ces crimes impunis. L’Europe se tait et n’exige même pas la levée du blocus de Gaza. Des élus européens, Véronique de Keyser (Belgique) et Francis Wurtz, ont brillamment montré comment « on est passé, vis-à-vis des Palestiniens, du soutien politique à l’aide humanitaire », tandis qu’Israël devenait un « quasi-membre de l’E ». Et pourtant, l’UE « a les moyens d’agir ». En commençant par adopter les sanctions prévues par l’accord d’association lui-même : sa suspension, demandée dès 2003 par le Parlement européen, serait un premier pas. Mais aussi la poursuite des personnes soupçonnées de crimes de guerre à Gaza en vertu de la loi de compétence universelle.
Gaza. Une des causes du désordre du mondepar Aminata Traoré. Propos recueillis par F. G.-R. (L’Humanité. 11 mars 2010)
« Je suis très inquiète de la montée de la violence dans notre région d’Afrique, que l’on peut très clairement relier à ce qui se passe en Palestine. La non-solution du conflit, l’attitude de l’Europe, sa démission incompréhensible sont pour beaucoup dans la montée de la douleur et de la colère du monde musulman. Et cette colère se manifeste par une augmentation de la violence. Les pays occidentaux prennent toutes sortes de précautions pour s’en défendre, mais c’est nous, les pays les plus démunis, qui servons de champ de bataille. La bande sahélienne est devenue à notre insu et très rapidement un no man’s land de plus en plus difficile à contrôler par les États. Il y a une multiplication des enlèvements qui sont pour nous un phénomène nouveau. Il s’explique en partie par la présence militaire de plus en plus pesante et l’intervention armée des grandes puissances au nom de la lutte contre le terrorisme. Ces mêmes puissances dont on a vu pendant les trois jours des travaux de ce tribunal qu’elles ne respectent pas les bases juridiques qu’elles ont elles-mêmes établies. Pour nous, Africains, ce qui se passe là-bas est un miroir grossissant. Nous nous reconnaissons dans cette injustice, dans ce déséquilibre du rapport de forces, même si tout le monde n’est pas conscient du rôle de ce conflit dans le désordre du monde. Il y a des similitudes avec la manière dont on traite les Africains qui sautent aux yeux : dans ce conflit, l’Europe est avec Israël parce qu’elle y a des intérêts économiques mais aussi parce qu’il y a un rapport d’égalité, de connivence avec les Israéliens, alors que les Palestiniens, c’est le colonisé, c’est l’autre. »
Gaza. Pire que l’apartheid, l’occupationpar Ronald Kasrils. Propos recueillis par F. G.-R. (L’Humanité. 11 mars 2010)
« Internationaliste ! » C’est ainsi que se définit Ronald Kasrils. Sud-Africain, blanc de peau mais rouge de cœur, cet homme d’action et de conviction, que tout le monde appelle « Ronnie », s’est engagé très jeune dans la lutte contre l’apartheid. Membre de l’ANC et du Parti communiste, il a été trois fois ministre, jusqu’en 2008. Aujourd’hui, il fait partie du jury du tribunal Russell (1) sur la Palestine. « Je me suis engagé pour cette cause parce que je pense que les Palestiniens ont besoin de la même solidarité internationale que celle dont nous avons bénéficié. Je suis d’origine juive mais athée. J’ai visité plusieurs fois la Palestine et Israël, car nous succédions à un gouvernement qui avait une coopération militaire étroite avec Israël. En 2004, j’ai rencontré Yasser Arafat et en 2007 je suis allé à Gaza. Pour moi, ce que j’ai vu là-bas est pire que l’apartheid : le niveau d’oppression, de cruauté, mais aussi les attaques contre les civils, les bombardements aériens… Nous n’avons pas connu cela en Afrique du Sud. Ni les destructions de cultures, ni les arbres arrachés, ni les barrages permanents sur les routes. En revanche, les routes séparées, les vies séparées, la discrimination, tout cela m’a donné une impression de déjà-vu. Et beaucoup de Sud-Africains qui y vont sont aussi choqués que moi. Il y a un mouvement de solidarité avec la Palestine chez nous, mais il est encore trop faible. J’ai créé un groupe de juifs opposés à la politique d’Israël, Not in my name (pas en mon nom), et nous allons rejoindre la campagne Boycott, dés-investissement, sanctions. »
(1) Composition du jury et conclusions complètes sur : www.russelltribunalonpalestine.com