Gaza. Blocus et "kiss and make up"

Publié le par Un monde formidable

Gaza: le blocus peut-il encore tenir? par Luis Lema (Le Temps. CH. 02/06/10)

L’assaut israélien contre la «flottille de la paix» relance le débat sur le blocus du territoire palestinien. Au sein de la communauté internationale, des voix fustigent le verrou israélien en place depuis trois ans. Cette nuit Israël a commencé à expulser des dizaines de militants étrangers arrêtés lundi lors du raid

Ce devait être une visite en forme de «kiss and make up». Des poignées de main, des sourires et des photographes. Une rencontre de réconciliation destinée à faire oublier, ce mardi, les colères précédentes. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a cependant annulé la visite. Et les responsables de la Maison-Blanche continuaient à lever les yeux au ciel en signe d’agacement: le brutal assaut israélien contre des navires internationaux qui tentaient de forcer le blocus de Gaza ne remet pas seulement, une fois de plus, aux calendes grecques la reprise du «processus de paix» voulue par Washington. Il risque d’obliger la Maison-Blanche à revoir fondamentalement sa copie, et à assumer un certain nombre de risques alors que s’approchent les élections de mi-mandat, en novembre prochain.

Une preuve de la digue qui s’est ouverte: au Conseil de sécurité, il a fallu une douzaine d’heures de négociations pour assouplir le texte soumis par les pays arabes et la Turquie, qui en est actuellement un membre tournant. Ecartée, in extremis, la perspective d’une enquête menée par «un organisme indépendant», comme le souhaitaient ces Etats. Le Conseil a cependant appelé à une investigation «prompte, impartiale, crédible et transparente, conforme aux standards internationaux». En clair: cette enquête pourra être, en théorie, effectuée par les Israéliens eux-mêmes. De la part des Américains, qui ont été en outre contraints de déplorer «les actes» survenus au large des côtes israéliennes, c’est pourtant un soutien du bout des lèvres.

Plus important encore: des voix s’élèvent désormais d’un peu partout pour remettre en question le blocus maintenu par l’Etat d’Israël depuis trois ans. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, le disait sans détour: «Si les Israéliens avaient entendu mon appel et celui de la communauté internationale en levant le blocus de Gaza, ce tragique incident n’aurait pas eu lieu», commentait-il en semblant ainsi rendre superflue une éventuelle enquête. «Aujourd’hui, nous avons été les témoins du triste prolongement d’une politique qui a échoué», analysait sur le même registre Louise Arbour, l’ancienne haut-commissaire aux Droits de l’homme de l’ONU.

De fait, aussi bien le Conseil de sécurité (qui s’est encore exprimé en ce sens mardi) que le quartet en charge du Proche-Orient ont appelé par le passé à la fin de ce blocus, instauré par les Israéliens (et les Egyptiens) après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas. Dans son célèbre discours du Caire, Barack Obama avait déjà longuement évoqué cette situation qui «dévaste les familles palestiniennes» et qui dessert même «la sécurité d’Israël».

Depuis lors, cependant, les Etats-Unis étaient restés particulièrement en retrait par rapport à la bande de terre peuplée d’un million et demi de Palestiniens. Malgré deux tentatives inabouties d’aider à un échange de prisonniers à Gaza, l’administration s’est ainsi concentrée sur la Cisjordanie et fait de l’Autorité palestinienne son unique interlocuteur côté palestinien. Le Hamas reste toujours sur la liste américaine des organisations terroristes. Et, en réalité, la politique officielle américaine consiste toujours à approuver le blocus, comme l’avait fait auparavant l’administration de George Bush. Pas une fois l’envoyé spécial américain George Mitchell ne s’est rendu à Gaza, alors qu’il a fait une douzaine de voyages dans la région.

Pourtant, aux Etats-Unis mêmes, plusieurs responsables évoquent désormais eux aussi le caractère «non soutenable» de ce blocus. Ce dernier «aide les Israéliens à arrêter les attaques du Hamas, mais il endommage sérieusement la réputation internationale d’Israël», assurait par exemple Martin Indyk, ancien ambassadeur américain dans la région. «Notre responsabilité est d’aider Israël à se sortir de cette situation.»

Oui, mais comment? Le récent refroidissement des relations entre les Etats-Unis et Israël avait provoqué à Washington une levée de boucliers de la part des défenseurs de l’Etat hébreu, qui n’ont cessé de faire pression sur la Maison-Blanche et le Congrès. Après avoir publié de pleines pages de publicité dans les journaux, le Prix Nobel de la paix Elie Wiesel avait été longuement reçu par le président Obama. Et c’est notamment à la suite de cette visite que le président avait accepté d’inviter à nouveau Benyamin Netanyahou à Washington, dans un geste qui avait été perçu comme une «victoire» aussi bien par le gouvernement israélien que par le lobby qui défend ses intérêts aux Etats-Unis.

Peu importe, ainsi, la sanglante «bourde» israélienne, la colère de la Turquie et du monde arabe ou encore le sort de la population civile de Gaza: la perspective d’œuvrer à la fin du blocus, dans un contexte préélectoral, serait inévitablement présentée aux Etats-Unis comme un coup de pouce apporté par le président démocrate à une dangereuse organisation terroriste.

Qui tirera les leçons de l’échec du blocus de Gaza? Par Alain Délétroz (Le Temps. CH. 03/06/10)

Alain Délétroz, vice-président pour l’Europe de International Crisis Group, estime que les Européens et les Américains ont trop longtemps cautionné une politique israélienne sans avenir

Après l’attaque sur la flottille humanitaire qui s’avançait vers Gaza, Israël se réveille dans un monde qui lui est devenu encore plus hostile. Le fait que les Etats-Unis aient réussi à négocier une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui n’exige plus une enquête «internationale» mais «immédiate et crédible» ne devrait bercer aucune illusion: Israël vient de cisailler en profondeur un lien avec les opinions publiques européennes, américaines et turques. Le choc est profond et les vidéos postées par le Ministère de la défense israélien sur Internet, qui montrent pourtant un degré de violence élevé de la part des activistes embarqués sur le sixième navire, peinent à convaincre…

N’y a-t-il pas, en Israël comme ailleurs dans les pays démocratiques, des forces de police capables de maîtriser des manifestants en colère, armés de bâtons, sans avoir recours à l’usage d’armes à feu?

Ce tragique incident révèle avant tout à quel point la politique d’isolement de Gaza est erronée. Après la prise du pouvoir à Gaza par le Hamas en 2007, Israël, appuyé par les Européens, les Américains et le Quartet dessina une politique de blocus économique autour de Gaza. Les bailleurs de fonds appuyèrent cette politique en augmentant leur aide pour la Cisjordanie. Certains ministres en Europe allèrent jusqu’à prétendre qu’en dotant de moyens l’Autorité palestinienne et en isolant non seulement le Hamas mais toute la population de Gaza, on verrait rapidement de quel côté sont les «good guys», les bons… L’idée de base consistait à croire qu’une Cisjordanie prospère et riche pousserait les habitants de Gaza à se débarrasser du Hamas.

Or Abou Mazen [Mahmoud Abbas] a peu de succès à présenter à ses administrés en Cisjordanie. La situation économique et sécuritaire s’est améliorée, il est vrai, et de façon significative. Mais le dirigeant palestinien a accumulé les humiliations. Sa retenue pendant les bombardements de Gaza de 2009, son attitude hésitante face au rapport Goldstone ont contribué à miner sa popularité parmi les Palestiniens, à tel point qu’il ne veut plus entrer en dialogue direct avec Israël.

A Gaza même, la situation humanitaire s’est grandement détériorée. Le trafic de marchandises par les tunnels, humainement dégradant et dangereux, dépend du bon vouloir de la police égyptienne à fermer les yeux. Toutefois le mécontentement des habitants de Gaza ne se retourne pas uniquement contre le Hamas, mais contre la politique d’Israël, surtout après les bombardements de l’hiver 2009, et contre l’Occident qui semble la soutenir. Les Occidentaux ne devraient pas plus s’étonner de cette évolution, que les Russes ne devraient avoir de mal à comprendre que leur action militaire en Géorgie en 2008 ait pu provoquer dans l’opinion publique géorgienne plus de colère contre eux que contre le président de Géorgie…

Cette politique qui consiste à isoler Gaza est en faillite. Elle n’a contribué qu’à renforcer la prise du Hamas sur le territoire et sur les opinions publiques arabes. Elle est une faillite morale également pour Israël, car elle aboutit à la prise en otage de toute la population de la bande de Gaza. Elle est une faillite enfin pour le Quartet et plus particulièrement pour les Européens et Américains qui par leurs simples critiques orales jamais suivies de réelles pressions, ont cautionné le blocus de Gaza. Le Hamas a remporté les élections de 2006, il a, aux yeux des Palestiniens, une légitimité certaine, bien plus forte que celle des Occidentaux qui ont contribué à organiser ces élections, puis refuser d’entériner leurs résultats.

L’incident tragique de la flottille vers Gaza ouvre une nouvelle brèche pour Israël dans ses relations avec un pays dont le poids grandit dans la région: la Turquie. Le premier ministre turc s’estime fort mal payé de ses efforts de médiation discrète entre la Syrie et Israël. Quant à l’opinion publique turque, elle est désormais chauffée à blanc contre toute collaboration significative avec l’Etat hébreu.

Ankara, qui redevient une puissance au Proche-Orient, qui élabore avec succès un projet de marché commun avec la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Libye, dont la collaboration est essentielle pour tous les grands projets d’extraction d’hydrocarbures dans le bassin de la Caspienne, aurait été une puissance à choyer par Israël. Or il est difficile de voir comment ces relations pourraient se réparer. Le blocus de Gaza, les images des bombardements israéliens de janvier 2009 et, enfin, l’usage de la force contre des citoyens turcs en «mission humanitaire» auront porté un coup fatal à l’image d’Israël dans un pays qui était tout récemment encore le plus solide partenaire musulman de l’Etat hébreu.

Enfin, que seront les réponses du Quartet et de l’Egypte sur le blocus de Gaza? Maintenir cette politique est suicidaire. Combien d’incidents tragiques faudra-t-il encore pour obliger Israël et ses alliés à un changement radical d’approche?

  

Publié dans Palestine - Israël

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