France. Sarkozy à la télévision: «une insulte aux journalistes»
Intervention de Sarkozy: la prestation des journalistes fait aussi débat. (Source AFP - 6 fév 2009) – Journalistes "adoubés", "fait du prince", questions "convenues": les conditions de l'interview de Nicolas Sarkozy par quelques journalistes de télévision et de radio, exercice typiquement français, font grincer quelques dents au sein de la profession.
Laurence Ferrari pour TF1, David Pujadas pour France 2, Guy Lagache pour M6 et Alain Duhamel pour RTL: pendant près de deux heures, ces quatre vedettes du paysage audiovisuel français ont interrogé le chef de l'Etat en direct de l'Elysée lors d'une émission spéciale sur la crise. Ce sont TF1, France 2, M6 et RTL qui ont "proposé" à l'Elysée d'organiser l'émission et l'Elysée y a "répondu favorablement", précise-t-on à la présidence. Les journalistes ont ensuite été choisis par leurs directions, selon les médias concernés.
Mais certains de leurs confrères y voient le "fait du prince". "Il y a les élus qui reçoivent l'onction et les recalés. Le critère du choix n'est ni rationnel, ni transparent. C'est la même chose depuis le général de Gaulle", a estimé Nicolas Demorand, présentateur sur France Inter. Jeudi soir sur Canal+, Jean-Michel Aphatie, en charge des interviews politiques à RTL, a taxé ses confrères sélectionnés de "journalistes assermentés". "Ce choix nous surprend. Il n'y avait personne de la radio publique et de la presse écrite ou internet: ça ne représente pas la diversité des médias", a réagi Alain Girard pour le SNJ, premier syndicat de journalistes.
Edwy Plenel, directeur de la publication du journal en ligne Mediapart a fustigé sur France 2 des journalistes qui "n'interrompent pas (M. Sarkozy), ne le contredisent pas, se contentent de l'accompagner par des relances très ouvertes". "Interlocuteurs déférents, questions convenues (...). Pouvait-il en être autrement" alors que les journalistes ont été "adoubés?", a renchéri le SNJ-CGT.
Interrogé sur Europe 1, David Pujadas a fait valoir que "ce genre d'exercice, à quatre, avait un côté beaucoup plus formel qu'une interview en face-à-face". "Globalement, le boulot a été à peu près fait", s'est défendu M. Pujadas, le seul des quatre journalistes à s'être exprimé vendredi.
Pour le sociologue Dominique Wolton, "c'était pareil sous Mitterrand et Chirac". "Traditionnellement, les journalistes français n'arrivent pas à imposer de contre-pouvoir dans ce type d'émission", notamment parce qu'ils sont "invités" à l'Elysée, et donc intimidés, souligne ce chercheur du CNRS. Et avec M. Sarkozy, les journalistes se tiennent plus que jamais "à carreaux" parce qu'ils sont "confrontés à une personnalité autoritaire qui ne supporte pas la critique", selon lui.
"Le roi reçoit dans son palais, ça incite à la révérence. C'est comme si on interrogeait la reine à Buckingham... sauf qu'elle n'a pas de pouvoir politique", analyse Charles Bremner, correspondant à Paris du quotidien britannique The Times. "Mais c'est difficile. J'ai moi-même interrogé Sarkozy: il n'y a pas de possibilité de relance", reconnait-il. Pour lui, cette "déférence" à l'égard du pouvoir est typiquement française: "en Angleterre quand on interroge le Premier ministre on ne met pas de gants. C'est comme un sport", raconte-t-il.
"Ces prestations sont toujours un peu drôles pour nous, Allemands. On a l'impression qu'elles sont préparées à l'avance. Chez nous la chancelière donne des conférences de presse: il n'y a pas toute cette mise en scène", observe Hans-Helmut Kohl, son confrère du Frankfurter Rundshau.
Sarkozy à la télévision: «une insulte aux journalistes» (Source 20 Minutes - 06.02.09) Le SNJ-CGT ne décolère pas et des journalistes français et étrangers ne comprennent pas comment une telle émission puisse même exister...
Au lendemain de l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, la presse est amère. Le syndicat français SNJ-CGT a dénoncé vendredi dans un communiqué cette interview, perçue comme une «insulte» envers la profession. Pour le SNJ-CGT, les journalistes qui ont interviewé le chef de l’Etat (David Pujadas de France 2, Laurence Ferrari de TF1, Guy Lagache de M6 et Alain Duhamel de RTL) ont «parfaitement joué leur rôle de fou du roi» car le chef de l'Etat les a «adoubés». «Dans aucun autre pays dit démocratique les politiques en responsabilité ne choisissent leurs interlocuteurs», poursuit-le communiqué.
Ce que confirment certains correspondants de journaux européens, interrogés par 20minutes.fr. «Vu d’Allemagne, ce scénario est impensable. On ne verra jamais la Chancelière Angela Merkel inviter et sélectionner des journalistes pour une interview retransmise en direct sur plusieurs grandes chaînes de télévision, assure Michael Kläsgen, correspondant économique du quotidien allemand «Süddeutsche Zeitung». La liberté de la presse suppose qu’on invite soi-même une personnalité politique si on pense que cela est nécessaire.»
«Cela fait très vieille France, limite Roumanie sous Ceausescu, renchérit Magnus Falkehed, correspondant du quotidien suédois «Aftonbladet». D’autant que Nicolas Sarkozy, qui était présent sur trois chaînes, a envahi l’espace médiatique comme si on lui devait une sorte d’allégeance.» D’où la colère du SNJ-CGT. «Interlocuteurs déférents, questions convenues et jamais dérangeantes, absence de contradiction quand le président assénait des contre-vérités. La profession de journaliste ne sort pas grandie du "show télévisé" du président de la République», écrit encore le syndicat.
Un point de vue partagé par José Maria Patiño, correspondant de la radio espagnole «Cadena Ser». «J’ai trouvé cet exercice superficiel. Quant aux journalistes, ils semblaient davantage préoccupés par leur propre image que par les questions qu’ils devaient poser à Nicolas Sarkozy, explique-t-il. C’est lui qui a mené l’interview, abordant de lui-même les sujets.»
«En étant à l’Elysée, les journalistes ne sont pas sur leur terrain et cela influence leurs questions», souligne Michael Kläsgen. Ce que confirme le présentateur David Pujadas qui, à la sortie de l'interview, évoque sa «frustration». Le SNJ-CGT dénonce une «mascarade qui va encore accroître la méfiance du public envers les journalistes». De son côté, le site Mediapart évoque un «fiasco journalistique». «Nicolas Sarkozy offrit le piteux spectacle d’un roi fainéant se repaissant laborieusement de questions approximatives mais dorées sur tranche», déclare le site. Puis, plus loin: «Sa mécanique d’autodéfense (fulminer, rebondir et surtout questionner en retour ses questionneurs pour mieux bâillonner leur agressivité) tournait à vide, puisque d’attaque il n’y avait point.» Et le site de se désoler que cette prestation apparaisse «comme un degré supplémentaire dans la déconfiture démocratique française.»
«Les journalistes ne sont pas revenus à la charge sur certains sujets importants, regrette également Magnus Falkehed qui aurait souhaité une chose: pouvoir demander à Nicolas Sarkozy "quand compte-t-il répondre à une vraie interview, dans un cadre et sur un thème choisi par les journalistes?"»