France. Papys flingueurs ou la délinquance des séniors
France. Papys flingueurs par Émilie Sueur(L'Orient Le Jour.Beyrouth. 21/08/10)
La presse n'est plus ce qu'elle était. Si tant est qu'elle le fut jamais. Au dernier classement Newsweek des pays où il fait bon vivre, la France atteint le 16e rang. Classement honorable, estimeront les uns, classement déplorable, regretteront les autres. Classement irresponsable, nous insurgerons-nous !
Ce pourrait-il que les journalistes de Newsweek soient à ce point mal informés sur la situation de l'Hexagone ? Mais qu'on leur dise, qu'on les avertisse, il y a péril en la demeure, la France est en guerre, en « guerre contre la délinquance », dixit son président.
Le problème de cette guerre, c'est que l'ennemi est flou. Soucieux de ne pas trop solliciter le ciboulot de ses administrés qui ont déjà bien des choses à penser - le coût de la rentrée, l'inflation de l'immobilier, les grèves de la RATP, l'avenir bouché... -, le pouvoir a donc mis un point d'honneur à tout simplifier. Certains - à l'ONU, au New York Times, à gauche - diront stigmatiser, mais ça ne compte pas. Et pour être sûr que les électeurs aient les idées bien claires quand sonnera l'heure de la prochaine présidentielle, le pouvoir a carrément creusé les tranchées : d'un côté « Nous », de l'autre « Eux ». « Nous » étant, en gros, les bons Français, « Eux » étant les autres. Tous les autres. Roms, immigrés, Français d'origine étrangère... « Eux » est nombreux.
Problème, le pouvoir se trompe d'ennemi. Le danger ne vient pas d'« Eux », le danger vient des vieux. Le vieux, le « sénior » comme on dit en mode non entendant et non voyant, est la bombe à retardement de la délinquance. « Aussi choquant que cela puisse paraître, le vieillissement de la population a vocation à entraîner une augmentation quasi automatique de la délinquance des séniors », avertissait récemment le Centre d'analyse stratégique, dans un rapport sur les conséquences de l'évolution démographique en France. Selon les projections d'un institut de statistiques, les agressions commises par les plus de 60 ans devraient passer de 24 000 à 40 000 entre 2009 et 2050. Une jolie augmentation de 65 % tout de même.
Il s'agit de ne pas prendre les choses à la légère car la délinquance sénile va avoir une théorie de conséquences dans le secteur de la répression. D'abord, il faut l'attraper le vieux délinquant. Avec le jeune, délinquant type de nos temps, l'affaire est aisée. Le seul fait qu'il soit jeune fait du jeune un suspect. S'il s'avère être un tant soit peu basané sous les néons de la cité, le jeune passe directement à la case « présumé coupable ». À partir de là, il suffit de dégainer le Taser et de balancer le jus.
Allez « Taseriser » un vieux ! Malaise, arrêt cardiaque et tout le tralala. C'est la bévue assurée. De même, le vieux, on ne va pas le plaquer contre un mur, les mains dans le dos, en lui donnant du : « Alors, qu'est-ce tu fous aussi tard dans le square ? Tu devrais pas être chez toi à cette heure-là ? Tiens, graine de voyou, on va aller voir tes parents et leur expliquer que quand tu déconnes, c'est eux qui finissent en taule. »
Non, le vieux, il va falloir lui donner du « Monsieur », puis du « Excusez-moi de vous déranger », et enfin du « je m'interrogeais, comme ça en passant, sur les tenants et aboutissants de votre présence dans ce square par ailleurs bien sympathique, à une heure si tardive. Heure dont j'oserais avancer qu'elle est plus celle de l'assassin que de l'ancien ». Quant à menacer le vieux d'informer ses parents de ses débordements, c'est s'exposer à une réponse camouflet sur le mode : « Mes parents, ça fait un bail qu'ils mangent les pissenlits par la racine, espèce de buse. »
Non, ça ne va pas être simple. Il va falloir du biscuit pour l'inculper le vieux dealer. Parce qu'il est présumé innocent, lui.
Imaginons que le vieux ait été, au prix d'un effort soutenu, arrêté, jugé et reconnu coupable. Suite logique, la prison. Que l'on réfléchisse un instant au niveau d'investissement logistique qu'implique l'internement du vieux truand. Pensez rampe d'accès aux cellules pour fauteuils roulants, pensez haut-parleurs surpuissants pour systèmes auditifs défaillants, pensez transformation des gardiens en infirmiers, pensez révision totale des menus à la cantine parce que le steak façon semelle et le dentier, ça ne va pas du tout marcher...
Conseil à ces dirigeants passés en mode électoralo-sécuritaire : il va devenir urgent d'actualiser les classiques du préjugé.