France.La caméra cachée ne fait pas consensus auprès des journalistes

Publié le par unmondeformidable

La caméra cachée ne fait pas consensus auprès des journalistes. (Source :  Categorynet.com . 29-03-2009)

La caméra cachée ne fait pas consensus auprès des journalistes Le FIGRA proposait avec la Scam (société civile des auteurs multimédia) un grand débat sur le thème « Les journalistes peuvent-ils filmer en caméra cachée ? » Ce débat, animé par le journaliste Pierre Bouteiller, a connu un véritable succès tant auprès de la profession que du public. De nombreux journalistes ont assisté à la rencontre afin d'échanger leurs points de vue de professionnels et de nombreuses personnes sont venues donner leur opinion de téléspectateur. La rencontre, parfois vive, a réuni Laurent Richard, rédacteur en chef de l'émission Les Infiltrés (France 2) et sa productrice Guilaine Locquet de l'agence CAPA, ainsi que Patrick de Saint-Exupéry, rédacteur en chef du magazine XXI, Pascale Justice, journaliste à la rédaction nationale de France 3 et Géraldine Levasseur, journaliste de Zone Interdite (M6). Enfin deux représentants de la presse belge étaient également de la partie : Marc Bouvier, journaliste à l'émission Questions à la Une (RTBF) et Martine Simonis de l'AJP (principal syndicat des journalistes professionnels en Belgique). L'émission Les Infiltrés et la polémique qu'elle a suscitée en France suite à sa diffusion s'est évidemment taillée la part belle du débat. Extraits.

Pierre Bouteiller (journaliste et modérateur du débat) : Les Infiltrés, l'émission de reportage de France 2 présentée par David Pujadas, fait polémique, notamment quant à l'usage de la caméra cachée. Pouvez-vous présenter rapidement votre concept ?

Laurent Richard (rédacteur en chef des Infiltrés) : Les Infiltrés, c'est une série de 7 documentaires sur 7 histoires différentes. L'objectif est d'enquêter avec, entre autres, une caméra cachée, ou du moins un certain type de caméra cachée. On raconte nos sujets par infiltration. On se rend à l'intérieur des structures en caméra cachée et on complète par une enquête classique en caméra visible.

Notre émission a créé la polémique lors de son lancement car le public a pensé qu'on allait faire de la caméra cachée pour chacune de nos émissions et systématiser cette pratique. Pour certains sujets que nous avons traités, comme la maltraitance en maison de retraite, il nous a semblé important d'être présents en caméra cachée quand des pensionnaires étaient maltraités.

Pierre Bouteiller (journaliste et modérateur du débat) : L'exemple du reportage sur la maison de retraite a en effet fait grand bruit, du fait de l'usage de la caméra cachée mais aussi en raison des conséquences suite à la diffusion du reportage, et notamment des sanctions imposées au personnel soignant…

Laurent Richard (rédacteur en chef des Infiltrés) : Dès le lendemain de l'émission, des personnes qui ont été filmées en caméra cachée ont été reconnues et démasquées. C'est vrai. Par contre, il n'y a pas eu de sanctions. Que du contraire : le ministre de tutelle s'est rendu sur les lieux et a promis d'embaucher du personnel.

Géraldine Levalleur (journaliste de Zone interdite sur M6) : J'ai moi aussi réalisé pour Zone interdite un sujet sur la maltraitance en maison de retraite. J'ai également utilisé la caméra cachée. Mais je n'ai utilisé celle-ci que quand c'était absolument nécessaire. J'ai d'abord réalisé une enquête journalistique poussée et la caméra cachée a servi de complément à cette enquête. Mais dans mon reportage, il y avait de nombreux témoignages en « face cam ». Ces témoignages racontaient la maltraitance au quotidien en institut de soins pour personnes âgées. Lorsque j'ai vu Les Infiltrés, j'ai sursauté ! J'ai été choquée par votre choix de tourner dans une maison de retraite qui allait bientôt fermer mais aussi par l'usage de la caméra cachée. Il est très facile de trouver en France des maisons de retraite qui vont fermer ou qui sont actuellement suivies par les services sociaux pour des irrégularités. Filmer un institut qui a déjà été identifié comme posant problème n'est donc pas à mon sens judicieux.

Laurent Richard (rédacteur en chef des Infiltrés) : Je me permets de vous corriger : l'institut filmé ne devait pas fermer. Cette maison de retraite compte en fait trois pavillons et un de ceux-ci allait être fermé pour rénovation. Les résidents allaient être déplacés. Mais tout cela ne change rien au déficit de personnel soignant ni au surnombre de résidents. Quant à l'usage de la caméra cachée, ce n'est effectivement pas le meilleur moyen, mais cela permet de raconter les choses de l'intérieur. Cela nous permet de poser des questions et de tenter d'y répondre. Par exemple, pourquoi une aide soignante passe 8 minutes chrono pour les soins d'un patient et sa toilette ? Les Infiltrés, ce ne sont pas que des reportages en caméra cachée. C'est également un débat sur le plateau après la diffusion du reportage.

Patrick de Saint-Exupéry (rédacteur en chef du magazine XXI) : Personnellement j'ai été très choqué par le cette émission et son principe d'infiltration. L'infiltration est un principe militaire, under cover : on s'introduit par effraction et on joue dans une guerre non déclarée. Je trouve cela très agressif comme technique. Du point de vue purement journalistique, la caméra cachée me gêne quand elle est utilisée en support unique. Un journaliste anonyme filme des gens anonymes dans un lieu anonyme. Cela signifie pour moi une rupture des règles journalistiques. Dans Les Infiltrés, le principe est d'abord une enquête sous le couvert de l'anonymat suivi d'un plateau où on complète le reportage à visage découvert. On divise donc le travail journalistique entre le teasing et la justification de l'émotion. Je ne comprends pas cette division et, selon moi, un véritable travail journalistique aurait voulu fondre ces deux principes. Il y a donc une dénonciation sans rentrer dans le cœur du sujet.

Géraldine Levalleur (journaliste de Zone interdite sur M6) : L'usage de la caméra cachée est d'autant plus surprenant que les gens sont demandeurs de visibilité. Le personnel est demandeur d'une certaine visibilité car il n'a pas de reconnaissance. Les salariés sont frustrés des conditions de travail qu'on leur impose et ont donc envie de témoigner et de dénoncer leur situation…

Guilaine Locquet (directrice adjointe de la rédaction de l'agence CAPA) : Le personne filmé nous a pourtant signalé, après diffusion, que le reportage leur ressemblait. Au sein de CAPA, l'agence qui produit Les Infiltrés, on pense que la caméra cachée n'est pas un genre absolu. On aborde un sujet, on décide ensuite si la caméra cachée permet une meilleure couverture. Mais le choix de la caméra cachée arrive en solution dernière quand aucun autre choix n'est possible. Les Infiltrés ne sont pas des reportages low cost. Les enquêtes traitées par Les Infiltrés bénéficient du même soin et du même temps que l'ensemble des films réalisés par l'agence.

Pascale Justice (grand reporter au Journal télévisé de France 3) : J'ai moi aussi été amenée à faire une caméra cachée sur le sujet des maisons de retraite. Initialement, je me suis rendu dans une maison de retraite pour le journal de France 3. Le sujet était plutôt médical. J'ai interviewé une dame âgée qui s'est prêtée avec sympathie à l'exercice. Trois jours après, je reviens sur les lieux avec un bouquet de fleurs pour remercier la dame. Celle-ci était seule, délaissée du personnel soignant et baignant dans son urine. Parfait contraste avec mon reportage quelques jours auparavant. Je pense donc que certains sujets sont impossibles à aborder sans la caméra cachée. Un autre exemple : j'ai collaboré il y a quelques années à Place Publique avec Claude Sérillon. Nous avons utilisé la caméra cachée pour dénoncer le racisme dans les agences immobilières. Un confrère “black” se rendait dans une agence immobilière à la recherche d'un appartement et moi, je repassais après lui pour les mêmes raisons. Le tout en caméra cachée. Pour lui, il n'y avait jamais de visites possibles. A salaire égal, conditions semblables, moi j'avais plusieurs propositions de visites d'appartement de la part des agences. Dans ce genre de sujets, il faut donc utiliser la caméra cachée. 

Je pense que ce qui fâche principalement dans l'émission de France 2, c'est son titre : Les Infiltrés. Cela met les journalistes dans une posture d'agent secret. En outre, dans tout reportage en caméra cachée, il doit y avoir la possibilité d'explication « face cam ». Un droit de réponse donné aux intervenants filmés en caméra cachée devrait être possible.

Laurent Richard (rédacteur en chef des Infiltrés) : L'usurpation identité n'est pas une dérive actuelle de la télévision. Cette technique est utilisée depuis très longtemps en presse écrite. Très souvent, des personnes se confient à un journaliste de la presse écrite et ignorent totalement qu'ils sont face à un journaliste. Ce n'est pas une technique de la télévision en vue de faire de l'audience en piégeant les gens mais bien une technique journalistique pour obtenir une information.

Marc bouvier (rédacteur en chef du magazine Questions à la Une sur la RTBF) : A la RTBF, nous avons une position mitoyenne sur le sujet de la caméra cachée. Au sein de notre rédaction, nous avons un code de déontologie qui s'applique à chacun de nos journalistes. Quelques extraits de notre code de déontologie : « Un journaliste travaille à visage découvert et annonce son identité de journaliste à ses interlocuteurs. Toute dérogation à ces principes n'est justifiée que par un intérêt majeur et ne peut être autorisée que par la direction de l'information de la RTBF. » Notre règle de base est donc d'obtenir une information par des moyens traditionnels. Quand on se heurte à la langue de bois, on recoupe l'information par d'autres témoignages. Par contre, nous obtenons l'autorisation de faire de la caméra cachée dans des activités anti-sociales. Il est difficile d'aller trouver un chef de la mafia en se présentant comme journaliste et en proposant de faire un reportage à visage découvert. Dans ce genre de situations, la direction nous donne le droit d'utiliser la caméra cachée.

Martine Simonis (secrétaire nationale de L'Association Générale des Journalistes Professionnels de Belgique) : La déontologie n'aime pas la caméra cachée mais l'autorise dans des conditions très strictes. D'un point de vue juridique, la caméra cachée est considérée comme une méthode déloyale pour recueillir l'information. Or, tous les codes de déontologie journalistique interdisent les méthodes déloyales.

Toutefois, la caméra cachée est parfois nécessaire. Les codes de déontologie disent que les techniques “under cover” sont autorisées si l'information recherchée revêt un intérêt majeur et que les techniques traditionnelles journalistiques ne permettent pas d'obtenir les informations recherchées. Certains codes précisent également que l'usage de la caméra cachée est autorisé si et seulement si le journaliste a mesuré les risques qu'il prend pour lui, pour son équipe et ses intervenants en filmant en caméra cachée. Il faut que les risques pris soient proportionnels à l'importance de l'information. Enfin, tous les codes s'accordent pour dire que la caméra cachée doit faire l'objet d'une discussion dans la rédaction et doit être couverte par la direction.

Au sujet de la caméra cachée, il y a une anecdote en Belgique. En 2006, lors d'un sommet Européen, Jacques Chirac et Angela Merkel se réunissent dans un grand hôtel de la capitale pour une réunion de travail. La chaîne flamande belge VTM décide de faire un sujet sur la sécurité à Bruxelles durant les sommets européens. La journaliste de la VTM décide alors de rentrer dans l'hôtel avec un pistolet et de voir si elle passe les différents niveaux de sécurité. Et contre toute attente, elle passe l'ensemble des contrôles de sécurité sans encombre. Elle décide alors de repasser l'ensemble des niveaux de sécurité mais cette fois-ci avec… une bombe. Et pareil ! A aucun moment elle n'est interpelée et les services de sécurité ne remarquent rien. Le tout est filmé en caméra cachée et diffusé le lendemain sur la chaîne. Ce dossier a été porté devant le Conseil de déontologie. Ce Conseil estime qu'il y a, en effet, un véritable intérêt de l'information mais estime que le risque de rentrer dans un hôtel avec une bombe est un risque trop important qu'a pris la journaliste pour elle mais aussi ses collaborateurs. Le Conseil a estimé qu'il y avait d'autres moyens pour obtenir ce genre d'informations et que l'équipe de TV aurait dû renoncer à ce reportage en raison des risques encourus.

Géraldine Levalleur (journaliste de Zone interdite sur M6) : Parfois les gens racontent n'importe quoi et il faut les piéger pour obtenir la vérité. J'ai réalisé un reportage sur les agressions sexuelles de mineurs sur mineurs. J'ai filmé une jeune fille agressée sexuellement par une bande de garçons. On revient 8 ans après les viols et on tente de remonter sur la trace des violeurs. La jeune fille prend son courage à deux mains et témoigne en « face cam ». Nous souhaitons alors donner la parole aux garçons. Nous contactons leurs avocats mais tous déclinent l'entretien. Nous rencontrons alors les jeunes hommes. Ils refusent de témoigner face à la caméra toutefois nous laissons tourner la caméra de manière discrète lors de nos rencontres avec ceux-ci. Les jeunes hommes tiennent des propos odieux sur la jeune fille qu'ils ont violée. Le lendemain de notre passage dans le quartier, je reçois une lettre de menace de mort qui me dit que je ne dois plus revenir dans le quartier ni enquêter sur ce sujet.  Ce reportage et la caméra cachée ont donc permis de dévoiler l'état d'esprit de ces jeunes.

Pascale Justice (grand reporter au journal télévisé de France 3) : Quand on utilise la caméra cachée, c'est qu'on a essuyé des refus de témoignages en « face cam ». Ou alors, on est confronté à des propos que l'on sait faux. La caméra cachée n'est donc pas un plaisir. D'autant plus qu'en caméra cachée, on prend des risques. La caméra cachée est donc ma limite personnelle.

Guilaine Locquet (directrice adjointe de la rédaction de l'agence CAPA) : Tout à fait. La caméra cachée n'est jamais un jouet. La question que l'on se pose avant son usage : est-elle réellement utile ? Si oui, pourquoi ? Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Il y a parfois des sujets qui sont moins spectaculaires où la caméra cachée peut apporter des choses inattendues.

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