France. Journaliste : un métier en soldes ?
Journaliste : un métier en soldes ? par Maude Milekovic-Leroy (Source : "Citizen, blog d'une journaliste en devenir")
Il y a quelques semaines, je recevais un énième message me demandant d'exercer mon métier gratuitement pour un site internet. En substance :
"Bonjour, Je me présente, je m'appelle X, je suis le directeur de la toute nouvelle rubrique médias du webzine Y. Comme tu t'en doutes, je t'écris car nous sommes actuellement à la recherche de chroniqueurs pour alimenter la rubrique. Que ce soit pour les sujets (presse, web, radio et tv) , les délais, le format et le type de papier (interviews, chronique de livres, de mag, décryptages, analyses etc.), tu seras assez libre. Autre chose, le webzine Y est tenu par un collectif de bénévoles. En conséquence, il n'y a malheureusement pas de rémunérations à la clé. Notre passion est réellement notre seul moteur. Serais-tu intéressé par écrire pour nous? Si oui, n'hésites pas à me contacter, je pourrais te parler plus précisément de notre projet ! A bientôt, X"
Et une fois n'est pas coutume, je me suis énervée. Parce que ce n'était pas la première fois que je recevais ce type de proposition. Parce qu'au fil de ces messages, je supporte de moins en moins que mon métier soit dévalorisé, au point que plus aucune valeur ne soit accordée au travail effectué par les journalistes. Parce que j'en ai marre que le métier de journaliste soit pour certains considéré comme une possible activité bénévole. Parce que je cherchais un stage rémunéré, parce que j'ai été obligée d'accepter à contre-coeur une non-rémunération provisoire, mais que j'aspire tout de même à gagner prochainement ma vie de cette activité... Et que j'en ai marre de trouver, sur mon chemin de jeune diplômée, des centaines de candidats prêts à se solder gratuitement pour avoir un poste que j'occuperais moi aussi volontiers... en échange d'un salaire, normalement légitime.
Alors je lui ai répondu. Rappelant le point n°5 de la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes (Munich, 1971) : "En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique." Un article censé assurer aux journalistes une totale liberté et indépendance face aux éventuelles pressions financières... voire corruption. Tentations qui pendent précisément au nez d'un journaliste affamé. Et si les journalistes sont prêts à travailler gratuitement, pourquoi les entreprises devraient-elles les rémunérer ? Pourquoi, au lieu d'employer un journaliste en CDI ou en CDD, un rédacteur en chef ne prendrait-il pas un jeune bénévole à sa place, bien plus rentable ? (sans même parler de l'abus de stagiaires...)
A ma grande surprise, j'ai à nouveau reçu un message de la part de M. X, m'affirmant être "d'accord sur le principe." Mais expliquant que son cas était particulier, que son site en était "encore au stade associatif", que personne n'était rémunéré, lui y compris. Et qu'il s'était lancé dans cette "aventure" car l'état actuel des médias ne le satisfaisait pas. "Au lieu de me plaindre tout en continuant à ne rien faire pour obtenir satisfaction, je me décide à commencer tout en bas, c'est à dire dans le gratuit. C'est d'autant plus enthousiasmant que l'on contribue largement à créer un projet. (...) Je sors moi aussi d'une école de journalisme. Je veux moi aussi ne pas avoir le ventre vide et donc percevoir un salaire. Toutefois, je profite du fait d'être encore étudiant et dépendant pour tenter de rester fidèle à certains de mes principes."
A ces mots, j'ai été encore plus sidérée. J'ai ressenti ce message comme la preuve que les jeunes journalistes ont déjà accepté leur future condition de précaires. Avec cette impression que nous ne sommes absolument pas prêts ni à nous unir, ni à nous battre. Nous nous serions laissés happer par mégarde, par ignorance de nos droits, peut-être. Probablement aussi à cause du mattraquage sur la crise, sur la précarité quotidienne, sur la dévalorisation de la valeur travail. Nous serions donc - comme l'explique justement le livre, tout juste publié, d'Anne et Marine Rambach - les nouveaux "intellos précaires". Et en plus, nous serions consentants.