France. "Jambé dlo, une histoire antillaise".

Publié le par Un monde formidable

«Jambé dlo, une histoire antillaise». Documentaire de E. Bidou et F. Kanor. Durée : 55 minutes

En créole, « jambé dlo » signifie « enjamber l'eau ». D'un grand pas, traverser l'Océan, à la conquête d'une autre vie. C'est ce qu'ont fait, au début des années 1960, des milliers d'Antillais partis trouver du travail en métropole. Dès 1963, le Bumidom (Bureau pour les migrations intéressant les DOM), créé par le Premier ministre Michel Debré, se chargera d'organiser l'exode. Les réalisatrices Fabienne Kanor et Emmanuelle Bidou ont fait le choix de raconter l'empreinte laissée par l'immigration sur plusieurs générations. Le film s'ouvre sur les larmes de Jean-Claude. Celui-ci relit une lettre écrite, quand il était enfant, à sa mère, Hélène, partie travailler comme employée de maison. « Je comprends pourquoi je n'ai jamais aimé la France : j'avais le sentiment qu'elle m'avait volé ma maman. » Depuis, Hélène est revenue vivre en Guadeloupe. Quand elle regarde en arrière, elle dit : « Je me suis beaucoup sacrifiée pour faire construire cette maison pour mes enfants. » Elle se souvient : « Je pensais qu'en arrivant en France, je marcherais sur un tapis de velours rouge. Mais j'ai été très déçue. Pour eux, tu es noir, tu sens mauvais, tu es inférieur, tu ne dois pas être là. »

A l'heure où Nicolas Sarkozy prône une immigration choisie, il n'est pas inutile de revisiter notre passé proche, quand l'Etat organisait lui-même des migrations de masse. « Il y avait besoin de main-d'oeuvre », rappelle Jean-Claude, qui se souvient de la propagande faite par le Bumidom. L'organisme allait même jusqu'à payer le billet aller pour les candidats au départ. Autre chemin, celui de Gilbert, qui a bataillé pour passer les concours de la police, à son arrivée en métropole. Ses parents étaient des agriculteurs pauvres en Martinique, lui est devenu brigadier-chef, à Mayenne. Il a une fille, métisse, qui dit se sentir « blanche avant tout ». Aujourd'hui, un quart des natifs des Antilles vivent dans l'Hexagone. Sont-ils des Français à part entière ou, selon la formule d'Aimé Césaire, des « Français entièrement à part » ? Entre les lignes se disent des blessures existentielles : « Ma couleur noire, j'en ai pris conscience au fur et à mesure, raconte Gilbert. Au départ, quand je suis arrivé, je n'étais pas noir, seulement un être humain... » Malgré cela, Gilbert n'a pas pris le chemin du retour pour la Martinique. Il a déjà organisé ses dernières volontés : il sera incinéré. Selon ses souhaits, ses cendres seront réparties dans deux urnes. Afin que sa dernière demeure soit, pour toujours, d'un côté comme de l'autre de l'Océan. Marjolaine Jarry (TéléObs. N° 2370)

Publié dans Immigrations

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article