France. Fatima Z., 21 ans, tuée dans une cave
Un crime d'honneur derrière le meurtre d'une jeune fille dans la banlieue lyonnaise?
Elles étaient une centaine, ce vendredi 10 juillet, à marcher en la mémoire de leur amie Fatima, dont le corps a été retrouvé le 1° juillet dans la cave d'une cité d'Oullins, petite ville de la banlieue lyonnaise. Ce sont les pompiers, venus éteindre un incendie volontaire, qui ont découvert le cadavre brûlé, sac plastique sur la tête, un tuyau d'arrosage en guise de liens. La jeune fille, âgée de 22 ans, est morte étouffée ou étranglée, avant l'assassin ne mette le feu au corps.
Principal suspect : le frère de la victime, Mohammed, 17 ans et aîné des garçons de cette famille comptant neuf enfants. Il a été mis en examen pour meurtre et écroué jeudi.
Présidente du mouvement anti-discriminations Ni putes ni soumises, Sihem Habchi participait au rassemblement. Selon ce que lui auraient déclaré sur place les amies de la victime, Fatima ne vivait plus avec sa famille, ni même dans le quartier, en raison de différents l'opposant à ses proches au sujet de son mode de vie.
Peu de temps avant sa mort, elle leur aurait néanmoins rendu visite, pour "reprendre le contact" et leur annoncer son prochain mariage avec son petit ami, chez lequel, toujours selon ses camarades, elle était installée. L'autopsie a révélé que la jeune fille avait eu un rapport sexuel quelques heures avant sa mort. (www.yabiladi.com. 10/07/09)
A Oullins, les rumeurs courent après la mort de Fatima Z., 21 ans, tuée dans une cave par Richard Schittly (Le Monde 11.07.09)
Une jeune femme en survêtement noir, claquettes aux pieds, cigarette à la main, accroche un drapeau algérien au mur. Une autre, en tee-shirt Versace blanc, s'agenouille devant quelques bouquets de fleurs. "Fatima, ma sœur": ses sanglots s'élèvent comme une plainte dans la rue Pierre-Sémard, à Oullins (Rhône), vendredi 10 juillet en début d'après-midi, où a lieu une marche en mémoire de Fatima Z., 21 ans, tuée dans une cave, mercredi 1er juillet. Etranglée, étouffée, enroulée d'un tuyau d'arrosage, avant que son corps ne soit brûlé.
Environ soixante-dix personnes, principalement des jeunes femmes, participent à l'hommage, dans une atmosphère lourde. Un incident a éclaté entre un petit groupe et quelques militantes de Ni putes ni soumises, qui revendique l'initiative du rassemblement. "Cette fille a été assassinée parce qu'elle voulait être libre", a assuré devant les caméras Sihem Habchi, présidente de l'association. "Votre association de pétasses n'est pas la bienvenue ici. Vous la connaissez même pas !", a lancé une jeune femme. Une dame voilée, guidant une poussette, a croisé le cortège, l'air désapprobateur :"Elles sont venues faire leur spectacle." De son côté, la famille n'a pas voulu participer, craignant "des récupérations".
La confusion règne après ce crime aux contours obscurs. Mohamed Z., 17 ans, fait figure de principal suspect. C'est le propre frère de Fatima, l'aîné des garçons d'une famille de neuf enfants. Ecroué et mis en examen, jeudi, pour "meurtre", il nie catégoriquement. De graves brûlures sur ses jambes, ainsi qu'un collier trouvé dans la cave alimentent fortement les soupçons. Il reste toutefois à comprendre le mobile. Le petit frère était en conflit avec sa soeur. Fatima avait quitté le domicile familial au début de l'année. Employée dans un fast-food, elle sortait, fumait, s'habillait à sa guise, entretenait une relation avec un petit copain, le caractère affirmé.
Dans le quartier, l'hypothèse d'un frère qui aurait voulu punir une soeur à la vie trop légère à son goût revient le plus souvent. Interprétation délicate, incertaine. Une rumeur est allée jusqu'à lui prêter une connotation religieuse. Ce qui révolte le père des deux enfants. "Si c'est lui, il doit payer, mais qu'on ne mêle pas la religion à ça, c'est une insulte pour moi, il ne faisait même pas la prière", confie Fayçal Z., qui se dit musulman pacifique autant que bon républicain. Dans son salon, où sont accrochés quelques versets coraniques, il est tout fier de montrer le diplôme de son plus jeune garçon, membre du conseil municipal des enfants d'Oullins. Ce père, parti tous les matins à 4 h 50 pour rejoindre son poste d'agent logisticien, dans la banlieue lyonnaise opposée, décrit ses difficultés à maintenir son fils dans "le droit chemin". Il dénonce des fréquentations extérieures, dans un quartier où règne "l'omerta", qui auraient pu lui "remonter la tête". Une version qui ressort dans le témoignage de Luisa, 32 ans, habitante de la Saulaie : "Les tout jeunes des familles immigrées prennent des petits bouts de leur culture par-ci, par-là, ils ne connaissent rien à la religion, rien au bled. Ils se laissent influencer dans des petites bandes, on ne peut plus discuter. "
Fatima, le corps du délit. Par Stéphane Arteta (Le Nouvel Observateur. 16/07/09)
Elle avait 21 ans, sa dépouille calcinée a été retrouvée dans une cave d'Oullins, près de Lyon. Son frère est en garde à vue.
Ils l'ont peut-être rendu dingue, son frère.» Elles sont une poignée de filles, toutes amies de Fatima Z., une jeune fille de 21 ans d'origine algérienne, étranglée avec un tuyau d'arrosage puis brûlée, le 1er juillet, dans une cave à deux pas de la maison familiale. Sur nommée «Rihanna» à cause de sa ressemblance avec la princesse explosive de la pop, Fatima Z. était une figure du quartier de la Saulaie à Oullins, près de Lyon. Elle était belle, fumait des Philip Morris et faisaient tourner les têtes. «Ils», ce sont les «pélos», les mecs dans le jargon local. Les amies de Fatima assurent qu'une bande de garçons de ce quartier populaire a pu polluer l'esprit de Mohamed, 17 ans, le frère de Fatima, à force d'insulter celle-ci. Placé en détention le 10 juillet, soupçonné du meurtre de sa soeur, il nie les faits.
Les enquêteurs sont persuadés qu'il était sur place au moment du drame. Lors de son interpellation, il portait de graves brûlures aux jambes. Le père, logisticien, imagine que son fils a pu être manipulé. La mère lui a intimé de dire la vérité. «J'irai en prison, mais je suis innocent», lui a assuré l'aîné des garçons de cette famille de neuf enfants.
Le jour de sa mise en examen, quelques dizaines de filles et une poignée de garçons ont manifesté jusqu'au local où le corps de Fatima a été retrouvé par les pompiers venus éteindre le début d'incendie. Ses copines de la Saulaie, bouleversées, sont restées un moment à discuter. A l'écart des «pélos». Un monde sépare les sexes. «L'ambiance est pourrie. Ici, une fille libérée est forcément une garce, dit Estelle (1), aide-soignante. On ne va pas dans les cafés du coin sinon on passe pour des salopes. Il faut aller à Lyon pour s'amuser.» Prudentes sur la cause du meurtre, elles tiennent à dénoncer le climat. «Des frustrés ! Fatima savait qu'on la traitait de traînée. Elle avait décidé de s'en foutre», dit Fadya, 19 ans, amie d'enfance. «Elle plaisait, ça dérangeait.» «Pourquoi se justifier d'être sérieuse ? Même si elle avait été une prostituée, ça serait aussi grave !», s'énerve Estelle. «Fatima était une fille bien qui vivait avec son temps», confie une de ses collègues du Flunch. Là-bas, on se souvient que son petit ami de l'époque avait agressé dans le restaurant un garçon qu'elle y fréquentait. Un membre de la famille de la jeune fille était venu demander si ce dernier était juif. «Ce n'est pas un problème de religion, assure Fadya Ses parents ne l'oppressaient pas, elle portait des jeans, se maquillait, ça ne posait pas problème.» «La famille est très intégrée, tolérante, les enfants ont un look moderne. Mohamed allait avec son père à la mosquée en traînant des pieds, assure un responsable de la mairie. Dans le quartier, il y a surtout un problème de mixité filles-garçons.» Avant d'être tuée, Fatima a été victime de la rumeur.
(1)Les prénoms ont été modifiés.
Fayçal Z. a perdu sa fille, tuée, brûlée dans une cave. Son fils est suspecté. Il est prêt à accepter la vérité, il souhaite la justice. Mais il ne veut pas qu'on exploite le drame sous de faux prétextes. Témoignage
Sa fille Fatima a été tuée. Retrouvée dans une cave, brûlée. Son fils Mohamed est suspecté, en prison depuis hier soir. « Deux enfants, deux coups dans le cœur », confie Fayçal Z. Malgré la peine, le tourment de l'incompréhension, les doutes, il se dit prêt à accepter la vérité, la justice. « Si c'est lui, il doit payer », dit le père de son garçon, sans ambiguïté. Le regard franc, la voix douloureuse, ce père de neuf enfants veut surtout qu'on ne rajoute pas la salissure à son malheur. Alors, quand il entend des bribes d'informations qui laissent supposer que l'acte possible de son fils pourrait être influencé par « la religion », il a l'impression d'une honte supplémentaire. Contraire à ses profondes convictions. Pas question d'exploiter ce drame, sous de faux prétextes, de toutes natures. « Notre religion c'est le contraire de la haine », clame le père qui tient à préciser que Mohamed, l'aîné des garçons, est même celui qui en était le plus éloigné : « Il ne faisait jamais de prière ! ». Quand à ceux qui seraient tentés de récupérer ce drame pour exprimer des révoltes mal placées, il dit : « J'aurais pu mettre le feu au quartier, attiser la colère des jeunes, j'aurais pu faire semblant, je veux apaiser. »
Dans l'appartement du quartier de la Saulaie, les sœurs de Fatima sont en jean. Une famille musulmane comme tant d'autres, sans ostentation, pétrie de ses différentes cultures. Le papa tient à montrer fièrement le diplôme républicain d'un fils plus jeune, membre du conseil municipal des enfants.
Fayçal est agent logisticien. Il part chaque matin à 4 h 50, pour rejoindre son travail à Meyzieu. Depuis neuf ans à Oullins, il a participé à des associations de quartier, « pour essayer de rendre la vie meilleure ». Il a tout fait pour maintenir ses enfants dans le droit chemin. « J'ai voulu les tenir là », dit-il en écartant les bras, comme s'il les couvait. Une rude mission.
Mohamed suivait un CAP de menuiserie à Brignais. Des objets qu'il avait fabriqués restent dans le foyer familial. Son père les montre : un cadre, une tablette en bois. « Il a eu des hauts, des bas » : le père n'a cessé de le recadrer, de l'accompagner. La pression extérieure était forte. Trop forte ? Le père tient aussi à dire que des fréquentations de son jeunes fils ne l'ont pas aidé. Pire, si ce crime s'avère exact, le père se demande jusqu'à quel point les mauvaises influences ont pu remonter le frère contre sa propre sœur. « La rumeur, elle tue, des autres ont pu lui remonter la tête », estime Fayçal Z. Fatima vivait librement, un caractère affirmé. Les ragots de quartier lui prêtaient une vie dissolue. Le père n'est pas loin de penser que ces rumeurs-là ont été portées avec insistance aux oreilles du frère. Il va même jusqu'à imaginer que des complicités ont pu participer à l'acte fatal. « Dans le quartier, c'est l'omerta, je veux la vérité. » Dans ses pires pensées, ce père engagé dans la vie sociale, contre les malveillances, contre la délinquance oisive, se demande si on n'a pas cherché, même inconsciemment, à briser sa famille en manipulant son propre fils. Au milieu d'un grand canapé, soudainement immobile, il termine, en fermant les yeux : « J'ai essayé de tout faire pour eux, je n'ai pas pu changer le destin. »
Richard Schittly (www.yabiladi.com. 10/07/09)