France. Entre Nicolas Sarkozy et les Antilles, des relations sans passion

Publié le par unmondeformidable

Entre Nicolas Sarkozy et les Antilles, des relations sans passion par Béatrice Gurrey (Le monde.25.06.09 )

Mon Dieu, comme vous êtes Français !" Le Général avait levé les bras et tout était dit. En 1964 à Fort-de-France, en Martinique, Charles de Gaulle avait reçu un accueil "non pas chaleureux, ni même enthousiaste, mais tout bonnement triomphal" (Le Monde du 24 mars 1964). Plongeons répétés dans la foule qui l'étreint, cris jaillissant de centaines de poitrines, guirlandes, drapeaux, ce fut un véritable délire. Au point que le président de la République avait glissé au maire et poète Aimé Césaire : "Ce à quoi j'ai assisté ce matin est vraiment incomparable."

Nicolas Sarkozy, en visite à la Martinique et à la Guadeloupe, jeudi 25 et vendredi 26 juin, pourra-t-il garder de ce séjour de quelques heures un souvenir vraiment incomparable ? Recevra-t-il, comme son illustre prédécesseur en 1960, une ovation frénétique en Guadeloupe ? Il est permis d'en douter, après le plus long mouvement social que l'île ait connu (44 jours de janvier à mars), suivie par la Martinique. De Gaulle avait fait les 70 km de Pointe-à-Pitre à Basse-Terre en voiture, s'arrêtant partout. Paul Lacavé, maire communiste de Capesterre, lui avait rappelé que, de là, étaient partis les premiers Guadeloupéens répondant à l'appel du 18 juin. M. Sarkozy, lui, doit décorer, jeudi à 14 heures (20 heures à Paris), dès son arrivée à Fort-de-France, 15 "dissidents" - 9 Martiniquais et 6 Guadeloupéens, survivants parmi les quelque 5 000 Antillais résistants qui rallièrent De Gaulle avant juillet 1943. Nombre d'entre eux s'illustrèrent dans les plus durs combats de la campagne de France. Le lendemain matin, (15 heures à Paris), le président de la République doit dévoiler une plaque baptisant officiellement l'aéroport du nom d'Aimé Césaire.

En 2005, le ministre de l'intérieur avait couru après l'onction du poète, mais en vain, avant d'annuler sa visite en raison des manifestations. Les Antilles ne lui pardonnaient pas la loi reconnaissant le "rôle positif de la colonisation", ni ses mots "racaille" et "Karcher". Le président de l'UMP avait enfin obtenu un entretien en mars 2006. Il avait même appris une phrase en créole pour sceller la réconciliation : "On a dit de moi que j'ai fui. Le coq de combat ne fuit pas : me voici parmi vous." Pour autant, le "coq de combat" n'a pas avec les Antilles - où Ségolène Royal a fait de très bons scores à la présidentielle - les mêmes relations que son prédécesseur immédiat, Jacques Chirac, toujours assuré d'un accueil chaleureux. "Moi, je les aimais et je les comprenais", a-t-il glissé, un jour de ce long hiver de grève, à son confident Jean-Louis Debré. "Tout cela finira mal", lui a-t-il prédit.

Tous les présidents, et sans doute de Gaulle et Chirac au premier chef, ont eu avec les Antilles un lien particulier. Ne serait-ce qu'électoral ! Valéry Giscard d'Estaing l'avait emporté sur la corde, en 1974, grâce aux 80 200 voix d'avance de l'outre-mer. Quant à François Mitterrand, brièvement ministre de l'outre-mer en 1950, il avait fini par surmonter la haine et la colère suscitées par les événements du Moule (Guadeloupe) en 1954, où les gendarmes avaient fait quatre morts en tirant dans la foule, alors qu'il était ministre de l'intérieur.

Les conseillers de M. Sarkozy ont soigneusement préparé ce voyage à risques, après l'absence très critiquée du chef de l'Etat pendant la crise de l'hiver. Mais les ultramarins, qui avaient apprécié la qualité d'écoute de leur secrétaire d'Etat, Yves Jégo, ont pu juger de la brutalité avec laquelle celui-ci a été débarqué. Sa remplaçante, Marie-Luce Penchard, conseillère à l'Elysée est la fille de Lucette Michaux-Chevry qui accompagne le chef de l'Etat pour cette visite promise en février.

Le jour où Yves Jégo a appris qu'il était "débarqué"

Yves Jégo est amer. Le sentiment d'avoir été "tué par les békés", racontent ses conseillers. Lui qui pensait avoir le soutien des ultramarins a été débarqué la veille du départ du chef de l'Etat aux Antilles. Un ultime désaveu. Il a appris son sort une demi-heure avant l'annonce du nouveau gouvernement. A 19 h 41, M. Jégo reçoit un coup de téléphone de Claude Guéant : "Tu ne fais pas partie de la nouvelle équipe." A 20 h 16, à la télévision, il apprend le nom de sa remplaçante, Marie-Luce Penchard.  Malgré la crise antillaise, ce fidèle sarkozyste n'a pas revu le chef de l'Etat en tête à tête depuis le 25 février 2008. M. Jégo devrait regagner l'Assemblée mais, surtout, retrouver son droit de parole, assurent ses conseillers, et livrer sa propre version de la crise antillaise.

 

Publié dans Europe de l'Ouest

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