France. Cinéma: polémique sur un Alexandre Dumas jugé trop "gaulois".

Publié le par Un monde formidable

Cinéma. Polémique sur un Alexandre Dumas jugé trop "gaulois".  Par Maité KODA  (RFO. 10/02/2010)

Plusieurs voix dénoncent le choix de Gérard Depardieu pour interpréter le célèbre écrivain dans le film "l’Autre Dumas".

C’est une nouvelle polémique qui voit le jour. Alors qu’enfin, la vie du grand écrivain Alexandre Dumas est portée à l’écran, à l’initiative du réalisateur Safy Nebbou, des voix se font entendre pour désapprouver le choix de l’interprète. 
Ce dernier n’est pourtant pas un inconnu puisque c’est Gérard Depardieu, monstre du cinéma français qui incarnera l’auteur des Trois mousquetaires. Un acteur talentueux donc, qui a su interpréter brillamment des personnages célèbres fictifs ou réels, d’Obélix à Christophe Colomb, en passant par Jean de Florette et Cyrano de Bergerac. Seulement, Gérard Depardieu, aussi brillant soit-il, est blanc.

Des origines occultées
Or, peu de gens savent qu’Alexandre Dumas était en vérité quarteron. Son père, Thomas Alexandre Dumas Davy de la Pailleterie, plus connu sous l’appellation du général Dumas et surnommé « le Diable noir » en raison de son ardeur au combat était lui-même mulâtre, fils d’un noble et d’une esclave. Victime de l’épuration raciale de l’armée en 1802, alors même que l’esclavage était rétabli par Napoléon Bonaparte, il fut mis à la retraite et privé de pension. 
Hasard de la loterie génétique, Alexandre Dumas a hérité en partie des traits négroïdes de sa grand-mère. Cheveux crépus, nez fort, lèvres charnues, les origines africaines de l’écrivain transparaissaient de façon assez évidente.

« Un nègre avec l’accent créole »
C’est pourquoi, l’attribution du rôle à Gérard Depardieu, bronzé et affublé de frisettes pour l’occasion fait grincer quelques dents. A commencer par l’ancienne Miss France Sonia Rolland qui s’en émeut ce 10 février dans le Parisien/ Aujourd’hui en France. « En plein débat sur l’identité nationale, ça semble ne choquer personne, à part quelques Noirs ou métis.(…) On préfère fermer les yeux sur toute une partie de notre histoire parce qu’il est trop risqué de monter un film avec un acteur noir ou métis ? », s’interroge-t-elle ?

Sur le site Rue89.com, les journalistes et écrivains Serge Bilé et Emmanuel Goujon regrettent également le choix de l’acteur. « Que n’aurait-on pas dit, à l’inverse, si pour les besoins d’un film, Denzel Washington avait incarné Jean Moulin, si Pascal Légitimus avait donné son visage à Molière, et si Sonia Rolland s’était prise pour Jeanne D’Arc ? », écrivent-ils, rappelant qu’Alexandre Dumas « se décrivait, d’ailleurs, lui-même, dans ses « Mémoires », comme un « nègre », avec des « cheveux crépus » et un « accent légèrement créole ». Tout l’inverse, à l’évidence, de… Gérard Depardieu. »

Un « projet ignoble » pour Claude Ribbe
L’écrivain et historien Claude Ribbe, biographe du général Dumas ne fait de son coté pas dans la dentelle, attaquant violemment le travail du réalisateur et dénonçant sur son blog un film « nul et ouvertement négrophobe ». 
L’historien réfute surtout l’existence de Maquet, qui aurait été le « nègre » de Dumas, interprété par Benoit Poelvoorde dans le film. « Puisque les Français commençaient à être informés sur les origines d’Alexandre Dumas et qu’ils n’en étaient que plus admiratifs, il devenait urgent de le salir », conclut-il, qualifiant de « projet ignoble », le film de Safy Nebbou

Quelle place pour les Noirs dans le cinéma français ?
Le Cran, Conseil représentatif des associations noires rebondit également sur la polémique, rappelant que la majorité des Français ignore tout des origines africaines d’Alexandre Dumas. « Le fait que Gérard Depardieu interprète Alexandre Dumas ne poserait aucun problème si les acteurs Noirs pouvaient, eux aussi, interpréter des rôles de Blancs au cinéma français », souligne son président Patrick Lozès. En effet, c’est surtout là que le bât blesse. Tous rappellent la trop peu importante place des Noirs dans le cinéma français aujourd’hui. 
« En raison d’un préjugé tenace, les producteurs et les réalisateurs français ne misent pas sur les grands acteurs noirs français ou francophones pour interpréter des superproductions du type l’Autre Dumas, quand bien même le héros du film est supposé être... un Noir », précise Patrick Lozès, avant d’appeler Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde, à « s’engager dans la lutte contre la discrimination subie par les comédiens de la diversité dans le cinéma français. »

Depardieu, acteur bankable
Sur le net, les commentaires vont bon train. Accusation de racisme, voire de révisionnisme d’un coté, de paranoïa décuplée de l’autre, chacun y va de son analyse, rappelant ici le métissage du réalisateur Safy Nebbou, là les difficultés encourues par les acteurs noirs pour jouer dans des films en France.  Gérard Depardieu, est quant à lui l’un des acteurs les plus bankable du cinéma français. Un simple constat pragmatique qui peut influer sur le choix de n’importe quel réalisateur. Cette polémique sur son coté trop « Gaulois », pourrait bien ne pas l’émouvoir. « J’en ai rien à foutre d’être français où pas , a-t-il déclaré au Parisien /Aujourd’hui en France. Je suis un citoyen du monde. Je ne m’intéresse pas aux questions politiques », précise-t-il avant d’ajouter « avoir retrouvé du plaisir » à jouer en s’impliquant dans ce film.

 

Alexandre Dumas trop blanc ?   par Yves Jaeglé et Hubert Lizé (Le Parisien. 10.02.2010)

« L’Autre Dumas » est incarné par Gérard Depardieu. Un casting discuté, notamment par la miss France Sonia Rolland : aucun acteur métis n’a été retenu pour jouer l’écrivain quarteron 

Gérard Depardieu en Alexandre Dumas, le rôle semble écrit pour lui : stature, faconde, excès. Certaines voix critiquent pourtant le choix d’un acteur blanc pour interpréter, dans « l’Autre Dumas » de Safy Nebbou, le romancier quarteron, petit-fils d’une esclave ou affranchie noire de Saint-Domingue. Le débat agite depuis quelques jours blogs et sites Internet.

Et Sonia Rolland, ancienne miss France, métisse franco-rwandaise, monte au créneau. « Dumas avait des traits assez négroïdes. Dans ce film, on occulte son histoire, il est grimé, on lui met des bouclettes sur une tête de Gaulois. En plein débat sur l’identité nationale, ça semble ne choquer personne, à part quelques Noirs ou métis, s’insurge la comédienne. On préfère fermer les yeux sur toute une partie de notre histoire parce qu’il est trop risqué de monter un film avec un acteur noir ou métis ? On peut voir ça comme du mépris. A la différence de la France, les Etats-Unis savent révéler des stars de couleur. »

Lui-même métis, Safy Nebbou ne partage pas complètement cet avis. « Dumas était aux trois quarts blanc, ça aurait été une erreur historique de choisir un acteur métis, même si c’est une éventualité à laquelle on a réfléchi, justifie le cinéaste. Il avait les yeux bleus comme Depardieu et les cheveux crépus, on a frisé ceux de l’acteur et on lui a foncé le teint. » Pour autant, le jeune réalisateur admet, comme l’ancienne miss France, que « la France a un retard énorme sur les Anglo-Saxons en matière d’acteurs issus de la diversité, dans le cinéma ou la pub ». « Mais, en l’occurrence, Dumas n’est pas le bon exemple », tranche-t-il.

Le film s’appelle « l’Autre Dumas », Benoît Poelvoorde incarnant le nègre littéraire du romancier. Mais il reste encore un troisième Dumas à explorer : l’homme dont la grand-mère était noire. Un sujet très méconnu. Avec un acteur à trouver.

Publié dans Discriminations

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article