France. A propos de "l'affaire Siné" et Charlie Hebdo
Gisèle Halimi : "On tente de museler Siné-le-libertaire"
Voici un texte de Gisèle Halimi, communiqué vendredi 18 juillet, en soutien au caricaturiste Siné, licencié de Charlie Hebdo pour des propos que la direction de l'hebdomadaire satirique juge antisémites :
"Siné n'est pas ce qu'il est convenu d'appeler un ami. Sa misogynie volontairement primaire nous a tenus éloignés l'un de l'autre, malgré quelques causes communes essentielles. (anticolonialisme, antiracisme etc.).
La direction de Charlie Hebdo vient de le licencier brutalement. Motif allégué : propos antisémites. A la lecture attentive de ses quelques lignes, je suis en mesure d'affirmer - en spécialiste du droit de la presse - qu'il ne s'agit que d'un prétexte ; un procès pour antisémitisme n'aurait guère de chances d'aboutir. Cette opération participe donc des procès en sorcellerie qui se multiplient aujourd'hui pour maintenir une psychose du juif persécuté.
Charlie Hebdo s'est toujours posé en champion de la liberté d'expression. Rappelez-vous le tonitruant procès mis en scène, filmé, supermédiatisé des caricatures de Mahomet. Aujourd'hui il porte à cette liberté un coup terrible en tentant de museler Siné-le-libertaire.
J'ai participé en son temps avec Cavanna et d'autres, à la création de Charlie Hebdo. Cette aventure superbe risque de s'achever dans la honte. J'ai bénéficié jusqu'à présent d'un service de presse du journal. Arrêtez. Je ne veux plus vous entendre ni vous lire
SINE ANTISEMITE ? "La phrase de Siné avait été prononcée par le président de la Licra!" par Delfeil de Ton, cofondateur du premier Charlie Hebdo et journaliste au Nouvel Observateur
"Philippe Val dit que Siné a refusé de signer un texte d'excuses qu'il avait d'abord accepté de signer. En réalité, ce texte était une autocritique rédigée par Philippe Val, dans un système qui rappelle les méthodes soviétiques. On dit que Siné a refusé de s'expliquer. Mais quand Siné s'est expliqué dans sa chronique, Val a refusé de la publier et c'est le Nouvel Obs qui l'a publiée.
Sur le plan factuel, il s'agissait des fiançailles de Jean Sarkozy et de sa conversion au judaïsme. Deux notes ont été publiées dans Charlie Hebdo pour signifier le départ de Siné. Le premier était signé de Val, que je qualifierai de "directeur propriétaire de Charlie Hebdo", et le second de Bernard Maris, "sous-directeur et copropriétaire". Tous les deux reprochent à Siné d'avoir publié une information fausse. Marianne, cette semaine, qui donne volontiers des leçons à la presse, dit que la rumeur concernant Jean Sarkozy vient de la presse people. La réalité est la suivante : Siné, comme tout bon chansonnier ou chroniqueur humoristique, commente l'actualité. Et l'actualité, c'était que Patrick Gaubert, président de la Licra, se réjouissait, dans les pages de Libération du 23 juin, que "le fils de Nicolas Sarkozy, Jean", vienne "de se fiancer avec une juive, héritière des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l'épouser". Siné ne dit rien de plus si ce n'est sa petite conclusion : "Il ira loin ce petit". Or tout le monde pense que Jean Sarkozy, qui est, à 21 ans, président du groupe UMP au conseil général des Hauts de Seine, ira loin. Sur cette question du faux procès pour antisémitisme, les lecteurs n'ont qu'à se reporter au texte de Siné publié par nouvelobs.com.
Siné rebondit donc sur l'information lue dans Libération et sur une photo publiée dans le Nouvel Obs : dans un dossier de l'hebdomadaire consacré aux héritiers, la première héritière citée en couverture était Jessica Darty, et, quand on ouvrait le dossier, on avait sur deux pages une photo du couple Jessica Darty-Jean Sarkozy. Siné n'est pas un journaliste d'investigation. Il réagit à ce qu'il voit dans l'actualité. Il apparaîtrait maintenant qu'il ne serait pas question de conversion. Mais Patrick Gaubert ne l'a pour l'instant pas démenti. C'est donc un faux procès que l'on fait à Siné. Et il est lamentable de voir Le Figaro et Libération, unis dans le même combat douteux, et d'ailleurs bien solitaires, faire de Siné l'égal d'un Edouard Drumont, théoricien de l'antisémitisme, et d'un Robert Brasillach, fusillé à la libération."
Tuer Siné ? par Delfeil de Ton, cofondateur du premier Charlie Hebdo et journaliste au Nouvel Observateur
Où l'on voit que l'acharnement contre Siné n'est pas beau à voir et en a ridiculisé plus d'un
Nicolas Sarkozy, président de la République, se rend en Israël. Patrick Gaubert, président de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme, la Licra, confie à cette occasion à «Libération» (23 juin), qui le rapporte en style indirect, que «le fils de Nicolas Sarkozy, Jean, vient de se fiancer avec une juive, héritière des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l'épouser».
Dix jours plus tard (numéro du 3 juillet) «le Nouvel Observateur» présente en couverture «La France des héritiers». Sous-titre: «Les riches s'enrichissent, les pauvres s'appauvrissent». Suit une liste, toujours en couverture, de sept de ces «héritiers». En tête: Jessica Darty. En quatrième position: Jean Sarkozy. Le dossier s'ouvre sur la photo d'un couple: «Jean Sarkozy et sa fiancée Jessica Sebaoun-Darty ». Rien d'anormal à tout ça. La presse fait son travail d'information. De son côté, Siné, chroniqueur humoristique à «Charlie-Hebdo», fait le sien. Il lit la presse pour s'informer de ce dont on parle, la presse de gauche en l'occurrence, ce qu'il serait malvenu de lui reprocher.
Dans le même temps que «les héritiers» Sarkozy et Darty font la une, l'héritier Sarkozy, Jean, âgé de 21 ans, déjà conseiller cantonal, est élu président du groupe UMP (le parti politique de son père) du Conseil général des Hauts-de-Seine, connu pour être le département le plus riche de France. Venant de grimper ainsi les deux premières marches d'une carrière politique qui s'annonce prospère, il se trouve que le jeune homme passe en justice. Rien de grave: un délit de fuite, qu'il aurait commis sur un scooter en octobre 2005, et qui aura donc mis près de trois ans pour arriver au tribunal.
Que fait Siné? Rapprochant les révélations du président de la Licra sur la conversion de Jean Sarkozy qui souhaite épouser une héritière juive (voir plus haut) et cette affaire de délit de fuite, il donne cette brève dans sa chronique, que voici in extenso et qui lui a valu d'être mis à la porte de «Charlie-Hebdo»: «Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet (encore lui) a même demandé sa relaxe! Il faut dire que le plaignant est arabe! Ce n'est pas tout: il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !»
Pour cette brève, que je viens de situer dans son contexte, Siné est cité à comparaître à Lyon, le 9 septembre, pour pas moins que «complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence». La plainte vient de la Licra, alors que c'est son président qui a lancé le bobard d'une conversion de Jean Sarkozy!
Cette histoire devient nauséeuse. Quelques-uns, à la Licra, ont certainement conscience du ridicule. Pour donner du poids, paraître équitable, la Licra produit maintenant deux autres brèves, pas plus convaincantes, mais celles-ci censées offenser, outre les juifs, les musulmans. Antisémite ne suffit plus. Le procès qu'on fait à Siné prend des airs de chasse à l'homme. On l'a déjà déshonoré. On veut le tuer? Depuis toujours antiraciste, quand le mot n'était pas dans les dictionnaires, pourquoi est-il soudain si nécessaire de faire croire qu'il est le parangon du racisme français?
Moins que jamais, pour ma part, je ne regrette d'avoir passé ces dernières semaines à m'élever contre si grande injustice, à dénoncer cette affaire extravagante où l'on a vu les pétitionnaires pro-Siné se faire traiter de «bataillons quelque peu cacochymes» par le directeur de «Libération» et se voir reprocher, dans «le Figaro», d'avoir «la bassesse de Drumont». La palme revient pourtant à Mme Albanel, ministre de la Culture. A propos du persiflage de Jean Sarkozy, elle a tenu à faire savoir au peuple, par un communiqué, le dégoût qu'elle éprouve devant «le dessin de Siné». La malchance a voulu que de dessin, il n'y en avait point.
Cabu et Val, duettistes par Delfeil de Ton, cofondateur du premier Charlie Hebdo et journaliste au Nouvel Observateur
Où l'on voit que Cabu et Val ont pu virer Siné grâce à leurs talents d'hommes d'affaires
Je me suis tout de suite désintéressé de la question. Je n'en ai rien dit. Je n'ai même pas exposé le détail à mes proches. Seulement voilà. MM.Cabu et Philippe Val ont foutu Siné à la porte de leur journal sous l'accusation infamante d'antisémitisme.
Du coup, de nombreux confrères me demandent comment il a pu se faire que Philippe Val se trouve être directeur de «Charlie-Hebdo». Sur Internet, la même interrogation fuse de toutes parts. Vous voulez savoir comment ça s'est passé? Je vais vous raconter comment je l'ai vu et vécu. Comme on vient de le lire, il ne s'agit pas que de Val, il s'agit de Val et Cabu. Je vous la fais courte.
En 1992, Cabu et Val forment une société pour éditer un hebdo. Ils n'ont pas de titre. Je le sais d'autant mieux que pendant deux jours j'ai passé des heures au téléphone avec Val à en chercher un.
A la veille de paraître, Wolinski dit: «Pourquoi pas Charlie-Hebdo?» C'est parti. Sur la légende du titre, les annonces partout dans la presse, le 20-heures de TF1, etc., 150.000 exemplaires du premier numéro vendus, 200.000, je ne sais. C'est la valeur patrimoniale du titre qui fait le succès immédiat. Pas eu besoin de dépenser un sou et de quoi déjà tenir des mois. Bernier (alias Professeur Choron) proteste mais, en fait, il n'avait pas la propriété, le titre n'ayant jamais été déposé. Procès.
Nous témoignons tous, sur le conseil de l'avocat Richard Malka, que Cavanna a inventé le titre. En réalité, bien malin celui qui pourrait dire qui l'a inventé. Tout le monde a tout de suite pensé à faire un «Charlie-Hebdo», en 70, quand «l'Hebdo hara-kiri» a été interdit, puisque outre le mensuel «Hara-Kiri» on avait un autre mensuel qui s'appelait «Charlie», que j'avais d'ailleurs fondé. Des lecteurs, des confrères, nous le suggéraient aussi mais on ne pouvait rien leur dire pour que les flics ne sachent pas qu'on allait continuer à paraître malgré l'interdiction. Le titre, comme le reste, on l'a inventé tous ensemble.
L'astuce de Malka c'était que, comme il n'y avait pas de propriété commerciale établie, il fallait jouer le droit d'auteur. Donc, tous ensemble, lettres au tribunal, comme un seul homme et tous fabulateurs: «C'est Cavanna qui a inventé le titre». Voilà Cavanna proclamé auteur du titre par le tribunal. Conséquemment, il se retrouve également propriétaire de la valeur patrimoniale de «Charlie-Hebdo», de la marque «Charlie-Hebdo» comme disent les économistes.
Pendant ce temps, c'était la société fondée par Cabu et Val, pour un journal sans titre, qui gérait «Charlie-Hebdo». Il fallait donc régler ça. Cavanna souhaite partager sa propriété toute neuve. Un jour, Cavanna, Val et moi, on se retrouve chez Malka. Pour Cavanna et moi, il était notre avocat à tous. En fait, il était l'avocat de Cabu et Val. Nous lui demandons de préparer des statuts à la manière de ce que nous pensions être ceux du «Canard enchaîné»: les sept (dont Cabu) fondateurs encore vivants de «Hara-Kiri hebdo» (notre premier titre), puis de «Charlie-Hebdo», plus Val, seraient propriétaires temporaires à parts égales. Chaque part reviendrait à un collaborateur du journal choisi par les survivants après chaque décès. Cavanna, que «ça faisait chier»(et moi donc!) me confie le soin de suivre l'affaire.
Les semaines succèdent aux semaines et rien ne vient. Je fais irruption chez Malka. Je lui demande où il en est de ces statuts pour une société. Il me sort un brouillon de charte. J'ai compris qu'on se foutait de nous. Comme, déjà, l'autoritarisme de Val m'était insupportable, sa morgue, sa prétention, à quoi s'ajoutait l'ennui qui régnait dans la salle de rédaction, j'ai foutu le camp sans phrase, après cinq mois de collaboration, me contentant un dimanche de bouclage de ne pas envoyer mon article. Le mardi je recevais par la poste, sans un mot d'accompagnement, un «pour solde de tous comptes». C'était en mars 1993.
La suite, je ne la connais pas. Je constate que quinze ans plus tard, Cabu et Val se partagent, avec chacun 40% des parts, la société éditrice et une société immobilière, auxquelles sont seuls associés Bernard Maris et leur comptable. Je n'en ai jamais parlé avec Cavanna.
Le théorème de Joffrin par Delfeil de Ton, cofondateur du premier Charlie Hebdo et journaliste au Nouvel Observateur
Où l'on voit comment la défense de l'indéfendable Philippe Val peut mener aux pires incongruités.
1970. «L'Hebdo Hara-kiri» est interdit. «L'Obs» nous offre ses pages centrales pour y paraître jusqu'à ce que la censure soit levée.
2008. Siné est censuré. «L'Obs» lui offre l'asile et publie sa chronique sur Nouvelobs.com.
L'histoire se répète, avec cette différence, pas petite, qu'en 1970 c'est le ministre de l'Intérieur qui interdit et qu'en 2008 le censeur est «Charlie-Hebdo», qui succéda en 1970 à «L'Hebdo Hara-kiri».
C'est-y pas merveilleux, une histoire pareille. Qui l'aurait inventée? Philippe Val l'a inventée. Il n'y a qu'un Philippe Val pour salir l'image de «Charlie-Hebdo» avec un acharnement si conséquent. Le drame de l'affaire, c'est qu'elle nous oblige à lire du Philippe Val, ce que nous ne faisions jamais, du B.-H. Lévy, ce dont nous nous gardons, et maintenant, horrible à faire et déjà horrible à écrire, d'aller lire Alexandre Adler et Ivan Rioufol dans les colonnes du «Figaro». Car B.-H. Lévy et «Le Figaro» sont devenus les quasi seuls soutiens, dans la presse nationale écrite, de «Charlie-Hebdo».
J'entends le lecteur: «Et "Libération"? Et Laurent Joffrin?»
En étudiant l'argumentation, mot un peu fort, de Laurent Joffrin, on a aussi celle des Rioufol, Adler, Lévy. Elle consiste à dire que Siné a refusé de s'excuser auprès de Jean Sarkozy (à propos d'une conversion annoncée par le président de la Licra lui-même dans «Libération» du 23 juin!) et que donc Siné est le nouveau Drumont. Ces quatre mousquetaires ne sont pas obtus (encore que pour deux d'entre eux c'est pas sûr) mais ils sont de mauvaise foi, cette fois-ci mot faible.
Laurent Joffrin accable Siné sous Marcel Déat, Brasillach (condamnés à mort) ce dont se gardent ses confrères du «Figaro», ne me demandez pas pourquoi, je serais foutu de vous répondre, eux l'accablent sous Mao Zedong, Jacques Vergès et Enver Hodja. La péroraison du pérorant Adler vaut son pesant de moutarde, servons-la généreusement: «Aujourd'hui, on voit qui a la trempe d'un Zola, d'un général Picard: c'est Philippe Val. Et qui a la bassesse de Drumont, de Maurras ou de Bernanos: ce sont les pétitionnaires semi-trotskistes en faveur de l'éternel stalinien Siné.» Rions. Pas qu'un peu. Surtout que ça vient d'un ancien du PCF (1968-1980).
Et notre ami Laurent? Lui, il dénonce en les pétitionnaires pro-Siné «les bataillons quelque peu cacochymes de l'extrême-gauche "antisioniste"». «Libération», «Le Figaro», même vocabulaire: pétitionnaires semi-trotskistes d'un côté, bataillons cacochymes de l'autre. C'est pas bien d'imiter, Laurent Joffrin.
Voici ma réaction, postée à l'aube, sitôt la parution en ligne de son article, réaction signée de mon nom: «Mon cher Laurent, ton article est immonde qui affecte de croire que Siné n'a pas précisé le sens de son propos, qui était pourtant déjà très clair, voir les innombrables témoignages. Quant aux "bataillons cacochymes", ils comprennent la fine fleur de l'humour d'aujourd'hui. Dont le dessinateur de ton journal! »
Il a fallu quatre envois successifs tout au long de la journée à Libération.fr, plus trois coups de téléphone, un échange de mails, pour qu'elle finisse par paraître le soir mais mise sous le boisseau (pas la place d'expliquer le vice de l'affaire). Ai-je été victime d'une censure? C'est peut-être que «Libération» a été noyé sous les réactions indignées. L'après-midi même, à16h48, ils ont cessé d'en publier, alors qu'elles arrivaient par centaines, peut-être par milliers. Aucun journal, en France, à ma connaissance, n'avait encore fait ça: stopper net les réactions des internautes à un écrit de son directeur. Le seul précédent que je connaisse, mais du temps où la presse n'était qu'en papier, c'est quand Serge July a supprimé le courrier des lecteurs pendant bien une dizaine d'années, alors que c'était l'essence même de son journall.
Si «Libération» s'est retrouvé ainsi noyé sous les réactions, c'est moins à cause de Siné, en fait, qu'à cause de Laurent Joffrin qui ressuscitait la notion de «race juive» dans son article. Les gens sont méchants. Ils ne veulent pas admettre que Laurent Joffrin a droit à tous les lapsus. C'est Siné, qui a droit à rien. Théorème de Joffrin.