Egypte. Pèlerinage entre patriotisme et foi
Pâques. Une décision du patriarche de l’Eglise copte orthodoxe, Chénouda III, datant de 1989, interdit à ses fidèles de faire le pèlerinage à Jérusalem tant que la question palestinienne n’est pas résolue. Cette interdiction approuvée par une majorité suscite néanmoins la polémique chez quelques-uns.
Quelques jours avant Pâques, les préparatifs font bon train chez cette famille copte. Une occasion animée d’une grande nostalgie, car Hélène aurait souhaité faire un second pèlerinage. Elle se rappelle encore le premier qu’elle a effectué il y a dix ans. Mais ce souhait est de plus en plus difficile à être exaucé vu la détérioration de la situation en Palestine. « L’expérience de mon premier pèlerinage a marqué ma vie, j’avais l’impression de toucher le ciel », confie Hélène. Les préparatifs avaient commencé longtemps avant même le départ. « J’avais acheté une tonia blanche (tenue des prêtres) et ma femme s’est couverte les cheveux avec une écharpe. Nous sommes descendus avec cet accoutrement dans le fleuve du Jourdain pour obtenir la bénédiction de Dieu. On a dû faire sécher nos vêtements. Une tenue qui va servir comme linceul le jour où Dieu nous appellera à lui », raconte Georges, son mari. Une fois le couple arrivé à Rafah, il a dû traverser la frontière égyptienne pour atteindre les territoires occupés où un bus l’attendait pour le conduire à Jérusalem. « On faisait partie d’un groupe de touristes, c’est pour cela que l’on nous a accordé un permis de visite et non pas un visa. C’est une agence de tourisme qui s’est occupée de toutes les procédures, et l’obtention des autorisations nécessaires à notre sécurité. Nous sommes rentrés par le biais des autorités palestiniennes, mais en cours de route, nous avons subi plusieurs fouilles de la part des Israéliens », se souvient Hélène. De l’étable à Bethléem, berceau de Jésus-Christ, en passant par Nazareth, à la montagne d’Al-Zeitoun à Jérusalem en passant par l’église de la Résurrection, la visite a été extraordinaire. « Une grande dose de spiritualité et une occasion à ne pas rater pour avoir une vision des endroits où Jésus a fait son périple, des lieux qui témoignent des miracles accomplis par Jésus », confie Hélène.
De nombreux coptes rêvent du parcours accompli par Hélène et Georges et aspirent aujourd’hui à faire le pèlerinage qui aura lieu durant cette semaine sainte qui précède Pâques. Après la signature des accords de Camp David, le pape Chénouda III, patriarche de l’Eglise orthodoxe égyptienne, a décidé de ne pas approuver le départ des coptes pour Jérusalem tant que les Palestiniens sont sous occupation. « Les coptes n’iront là-bas qu’accompagnés de leurs frères de confession musulmane », a-t-il déclaré. Selon le père Abdel-Messih Bassit, prêtre de l’église de la Vierge Marie à Choubra, le nombre de coptes en Egypte est important, et si l’on autorise ce pèlerinage, au moins 50 000 pèlerins vont s’y rendre chaque année. Un simple calcul, des milliards en devises vont profiter à l’Etat israélien, peu scrupuleux des droits palestiniens. « Va-t-on offrir de l’argent aux Israéliens pour qu’ils commettent des crimes contre le peuple palestinien ? », s’interroge le père Bassit.
Une décision qui déplaît à des milliers de coptes dont les regards restent braqués sur la Ville sainte. Certains d’entre eux vont même jusqu’à transgresser la décision du pape. « Des milliers de coptes ont eu recours à plusieurs astuces pour aller faire ce pèlerinage, pour la simple raison qu’ils ne sont pas convaincus de la décision du pape. Il faut distinguer entre le jeu politique et les rituels religieux qui sont un droit sacré à tout fervent », confie Kamal Zakher, intellectuel copte opposant à l’Eglise. Zakher, qui s’apprête cette année à faire ce pèlerinage, estime que malgré les divergences politiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, cette dernière n’a jamais interdit aux Iraniens de se rendre à La Mecque. Convaincue par le point de vue de Zakher, Martha, 50 ans, pense faire le pèlerinage en passant par les Etats-Unis, l’Australie ou le Canada. Iman, qui a vu dans un rêve un appel de Jésus, confie à son tour qu’elle va partir avec un groupe de chrétiens catholiques dont l’Eglise autorise le départ de ses pèlerins. Quant à Mina, ingénieur, il assure avoir obtenu une autorisation de visite de la part du gouvernement jordanien. « La plupart des pèlerins ne détiennent pas de visa, mais ont un permis de visite, car un cachet israélien sur le passeport risque de leur coûter cher lorsqu’ils décideront de se rendre dans un autre pays arabe », précise Zakher. D’autres ont recours à des astuces moins détournées. Hala, 35 ans, a pu se rendre à Gaza par le biais des autorités palestiniennes pour faire son pèlerinage. De retour, et craignant d’être privée de la bénédiction du pape, elle a tenu à rédiger une lettre d’excuse qu’elle a publiée au quotidien Al-Ahram.
Cette dualité entre patriotisme et foi anime aujourd’hui de vives polémiques chez les coptes. Naguib Gabriel, président de l’Union égyptienne des droits de l’homme, avance que bien qu’il ne partage pas le même avis que l’Eglise, il estime qu’obéir au pape est un principe évangélique à ne pas discuter. Il ajoute : « Les scènes sanglantes ne cessent de faire monter la colère de la rue égyptienne et arabe. Comment donc les coptes osent-ils prendre le risque de partir à Jérusalem ? Ne craignent-ils pas d’être montrés du doigt ? Israël est en train de transgresser les droits de l’homme. Ceci donne plus d’appui à la décision du pape qui jouit d’une grande popularité dans le monde arabe au point que l’on surnomme le patriarche des Arabes ».
Mamdouh Nakhla, président du centre Al-Kalima (la parole) pour les droits de l’homme et avocat copte, partage cet avis. Il confie : « Bien que je ne sois pas convaincu par la décision du pape, je n’ose pas partir, car j’ai peur des conséquences. Mais cela ne m’empêche pas de soutenir celles ou ceux qui sont partis. J’ai défendu dans un procès, premier du genre au tribunal de Abdine, une femme copte qui a porté plainte contre la Banque du Caire. Cette banque a refusé de lui accorder un don pour le pèlerinage sous prétexte qu’elle était déjà partie sans avoir pris l’autorisation du pape ».
Cependant, d’autres voient la cause sous un autre angle. Youssef Ramez, responsable du dossier copte dans un nouveau quotidien, estime que le pape joue le rôle d’un leader politique alors que ses responsabilités ne doivent pas dépasser le contexte religieux. « Je comprends quand le chef de l’Etat me l’interdit en tant que citoyen égyptien, mais me soumettre à un ordre politique qui sort d’une institution religieuse, c’est vraiment illogique. Un brouillage de cartes que je dénonce », poursuit Ramez.
Et entre le pour et le contre, ceux qui ont pris l’initiative de partir et ceux qui hésitent encore, il existe des milliers d’autres gens qui attendent avec impatience ce départ. Ils souhaitent suivre les traces de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge. Mais les frontières semblent être de plus en plus difficiles à traverser. « Mais jusqu’à quand ? », se demande Angèle, 58 ans. « Le conflit arabo-israélien ne semble pas vouloir prendre fin. La vie est courte … J’aimerais visiter l’église de la Résurrection dont les cloches ne cessent de résonner dans mes oreilles, une simple visite avant la mort », soupire-t-elle.
Hélène, quant à elle, contemple sa tonia qu’elle garde précieusement dans son armoire comme s’il s’agissait d’une robe de mariée. Pour elle, c’est une pièce chère à son cœur en attendant un autre départ, un autre pèlerinage.