Dubaï. Skieur des sables.

Publié le par unmondeformidable

Skieur des sables. Par Yves Genier (Le Temps. Genève. 7/02/09)

Dubaï exploite depuis quatre ans l’une des plus spectaculaires pistes de ski en salle au monde.

Pour changer de Verbier ou de Crans-Montana, une petite descente à skis dans le désert? Le pari de l’impossible a été relevé par Dubaï, explosive métropole des Emirats arabes unis. Depuis octobre 2005, elle exploite la station de sports d’hiver la plus improbable et certainement aussi la plus écologiquement incorrecte du monde.

L’émirat du golfe Persique est évidemment le dernier endroit où l’on songerait à jouer dans la neige. Dressée dans l’un des déserts les plus plats et les plus inhospitaliers qui soient, en bord de mer, dans une zone climatique qui ne connaît tout simplement pas le froid, Dubaï se distingue au contraire par des étés écrasants de chaleur et d’humidité, et ne reçoit que quelques rares gouttes de pluie par an. Et, pourtant, en un lieu où il n’y avait tout simplement rien il y a moins de 20 ans se dresse aujourd’hui l’une des plus spectaculaires stations de sports d’hiver entièrement en salle. De l’extérieur, l’installation prend la forme bizarre d’un immense sarcophage de béton de 80mètres de hauteur, soit un immeuble de 27étages. La construction en impose non seulement par ses dimensions massives, mais aussi par sa forme inclinée et articulée. Elle domine de la tête et des épaules l’immense centre commercial Mall of the Emirates auquel elle est rattachée. Le sommet du sarcophage domine de plusieurs dizaines de mètres le quatrième niveau du parking à étages du centre d’achats.

La piste de ski, c’est le produit d’appel, le facteur de différenciation de cet énorme mall abritant 250boutiques et une grande surface. Il faut dire que la concurrence locale est rude. Capitale du shopping au Moyen-Orient, au point qu’un festival hivernal soit consacré à cette activité, Dubaï ne compte plus les galeries marchandes géantes et ultramodernes. Elles s’égrènent du traditionnel souk de l’or en vieille ville aux centres les plus chics des Tours des Emirats, dans le quartier financier, ou du Souk Madinat al-Jumeira, au pied du Burj al-Arab, le palace en forme de voile dominant la plage et la mer. Au Mall of the Emirates, les badauds peuvent contempler la neige et ses adeptes à travers de vastes vitrines tout en dégustant une crème glacée.

Comment passer des échoppes au ski? Par un vaste mais simple vestiaire. Moyennant le prix d’une journée à Verbier, le domaine fournit presque tout avec le forfait des remontées: le matériel sportif bien sûr, mais aussi une veste et des pantalons, ce qui fait un drôle d’effet car tout le monde porte les mêmes vêtements rouges et bleus. Et les gants? Il faut aller les acheter au magasin de sport voisin. Une fois équipé, le skieur se retrouve en terrain (presque) familier: il franchit un portique où il montre une carte magnétique en tous points similaire à celles de nos stations, puis monte quelques marches d’escalier. Encore une porte à tambour à franchir, et on passe d’un univers agréablement climatisé à celui franchement rafraîchi de la piste.

Choc thermique. En un instant, le froid saisit le corps qui en a complètement perdu l’habitude. Dehors, il peut faire jusqu’à 50 degrés en été, avec 80% d’humidité. Dedans, la température est maintenue entre –1 et –2 degrés Celsius. De vraies conditions hivernales. Des murs de béton de 3 mètres d’épaisseur séparent les deux univers. Puis vient la découverte de la journée, la neige. Un peu savonneuse, certes, mais bien réelle: elle est produite par des canons à neige ressemblant à de vastes ventilateurs montés en bord de piste. La blancheur de la surface se mêle au gris des murs et du plafond. Le grand absent est le soleil, ce qui fait de Dubaï la seule station de ski au monde où les lunettes et la crème sont totalement superflues.

La piste s’offre comme n’importe quelle descente facile de Villars ou de Gstaad, la foule en moins. Pas de file d’attente avant de monter sur le tire-fesses ou le télésiège, peu de skieurs en descente: à peine quelques expatriés, gens de passage ou rares Emiratis en plein apprentissage. Si la montée semble longue, c’est en raison du rythme ralenti des installations de remontée. La piste, elle, sera vite dévalée: 200 mètres d’une gentillette pente rectiligne, puis une courbe, puis encore 200 mètres tout droit. En une dizaine de virages, la descente est consommée. A mi-parcours se dresse une sorte de chalet alpin, lequel abrite le bistro de piste arborant l’enseigne Avalanche Café. On peut remonter autant de fois qu’on le dési­re, mais, vu l’exiguïté du domaine, le skieur le plus enthousiaste se lasse avant d’atteindre la limite de deux heures fixée par le forfait.

En fait, ce n’est pas tellement la glissade qui procure le vrai divertissement, mais plutôt le sentiment de vivre une totale absurdité écologique. Le comble, pour un skieur habitué aux vastes espaces alpins, c’est de s’abandonner à un certain voyeurisme, celui du sportif des neiges venu exhiber son exotisme aux clients en tenue estivale des innombrables restaurants et galeries marchandes donnant directement sur la piste. Chaque jour, des milliers de chalands vivent ainsi le froid par procuration entre les courses et la pause-café.

Dernière aventure: la sortie. Pas celle qui consiste à repousser la porte de la piste et à se débarrasser de ses affaires au vestiaire. C’est au moment de quitter le centre commercial que sonne l’heure de vérité, lorsque la rude réalité climatique du Golfe rappelle au pauvre homme des neiges sa condition d’hôte du désert. Après le frigidaire, c’est comme entrer dans un four, au point de n’avoir qu’une idée en tête: vite, retourner dans une nouvelle zone climatisée.

 

 

 

Publié dans Moyen Orient

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