Côte d'Ivoire. Mort de Michaël Jackson, Krindjabo pleure son roi

Publié le par Un monde formidable

Krindjabo pleure son roi. par Catherine Morand (Source : Le temps. 07/0709)

Le monde rend hommage à Michael Jackson. Le village ivoirien de Krindjabo, où il a été intronisé prince en 1992, le pleure. Catherine Morand, alors correspondante du «Journal de Genève» en Afrique, y avait assisté. 

Krindjabo, petit village du sud-est de la Côte d’Ivoire, à 80 kilomètres d’Abidjan. C’est de là, au cœur du royaume des Akan, qui s’étend jusqu’au Ghana et au Togo voisins, que Michael Jackson avait «senti» qu’il était originaire. Il y avait fait une halte remarquée le 14 février 1992 lors d’un voyage «back to the roots», dont les Africains Américains sont friands. Les rois des environs avaient fait le déplacement pour assister au sacre du chanteur. Protégés du soleil par une ombrelle portée par l’un de leurs sujets, drapés dans leur pagne kita de cérémonie, ils avaient revêtu leurs attributs comme le veut la tradition akan: couronne, longue chaîne dorée, multiples bagues en or, sceptre.

Le convoi de Michael Jackson avait déboulé en trombe dans le village: une quinzaine de véhicules, précédés de motards et d’une voiture de police surmontée d’un gyrophare. Lui, totalement irréel, vêtu d’une chemise orange flamboyante, un feutre noir vissé sur le crâne, était descendu d’un 4x4 blanc, en tenant par la main le jeune garçon d’une dizaine d’années qui l’avait accompagné durant sa tournée africaine. «Son neveu», m’avait sobrement indiqué un membre de son entourage. Après avoir salué le maître de la cérémonie, le roi du Sanwi Amon N’Douffou IV, l’auteur de «Thriller» avait pris place sur un trône entouré d’un pagne royal kita sous un immense fromager, l’arbre sacré du village. Derrière lui, deux jeunes vierges, les seins nus, le corps passé au kaolin et paré de lourds bijoux en or, agitaient des pagnes pour aérer le futur roi. «Cher frère Jackson, tu es bien l’un des nôtres. On dit que les artistes n’ont pas de patrie, mais te voilà chez toi, de retour sur la terre de tes ancêtres», avait ânonné un ancien du village. Entouré d’une foule qui se pressait pour l’apercevoir, Michael Jackson semblait pourtant absent. De temps en temps, comme s’il pensait à quelque chose d’amusant, il se mettait à rire tout seul. Ou faisait de petits signes de connivence en direction du jeune garçon qui l’accompagnait, assis plus loin. Dans l’assistance, fascinée, les commentaires étaient allés bon train: «Comme il a l’air fragile, il fait pitié», lance une solide mama. «Il n’aurait pas dû venir ici, c’est trop chaud pour lui», rétorque sa voisine. «Tu as vu son teint? Il a trop blanchi. Il ne devrait pas aller au soleil, c’est dangereux…» Le sacre ne durera que quelques instants: après avoir versé du gin sur le sol pour honorer la mémoire des ancêtres, le roi Amon N’Douffou IV, secondé par des dignitaires de la cour, l’avait intronisé «prince des Agni sanwi» en drapant le chanteur dans un pagne violet et en posant une couronne sur sa tête.

Aujourd’hui, le successeur, le roi Amon N’Douffou V, réclame le corps de Michael Jackson «pour qu’il soit enterré dignement à Krindjabo». Sinon, «cela serait une honte, car dans la tradition akan, un roi est toujours enterré chez lui», sur la terre de ses ancêtres. Le sacre de Krindjabo avait été le point fort d’une tournée à laquelle Michael Jackson rêvait depuis longtemps. Mais visiblement, l’Afrique qui lui avait été servie à chacune de ses étapes – au Gabon, en Côte d’Ivoire et en Tanzanie – ne fut pas celle qu’il aurait souhaitée. Venu pour voir de près l’Afrique profonde, ses animaux et sa musique, la superstar américaine s’était retrouvée emberlificotée dans des obligations protocolaires qui l’avaient ennuyé. Et les malentendus avec ses fans s’étaient multipliés. Ainsi, le fait qu’il se pince le nez lors de sa sortie d’avion avait été ressenti comme une insulte et provoqué une polémique.

Les médias des pays qui l’avaient reçu avaient par ailleurs multiplié les remarques acerbes sur son teint, son nez refait et ses multiples opérations chirurgicales. Le fait qu’il ait gommé avec un tel acharnement toutes les manifestations de sa «négritude» avait fait planer un certain malaise. L’éditorialiste du quotidien ivoirien Fraternité Matin s’était ainsi demandé: «On ne sait plus s’il est noir, blanc, jaune… ou vert.» Mais qu’importe, avait-il conclu, «il aurait tout aussi bien pu être violet, puisqu’il a décidé de ne plus faire partie du genre humain.»

Reste qu’à l’annonce de sa mort, le divorce de Michael Jackson d’avec ses racines africaines a été totalement oublié et le continent tout entier a pris part à la communion planétaire. A Abidjan, où je me trouvais le jour où sa mort fut annoncée, j’ai vu ses nombreux sosies reprendre aussitôt du service dans des shows époustouflants de ressemblance. Pour le plus grand bonheur de ses fans 

Publié dans Afrique de l'Ouest

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